Par Robert Stevens
18 août 2011
Les tribunaux de première instance de Londres et d'autres villes britanniques ont commencé à infliger les peines les plus sévères possible aux personnes accusées d'être impliquées dans les émeutes qui en début de semaine dernière ont balayé Londres et d'autres grandes villes de l'Angleterre.
Les jeunes face à la police anti-émeute dans les rues du district de Croydon[Photo: Raymond Yau]
Les tribunaux de Londres, de Birmingham et de Manchester fonctionnent jour et nuit pour juger le nombre important de personnes arrêtées lors de rafles policières continues. Environ 2.000 personnes ont été interpellées dans le pays depuis que samedi 6 août, après une manifestation pacifique contre la fusillade par la police de Mark Duggan, 29 ans, les premiers troubles ont d'abord éclaté dans le district de Tottenham, près de Londres.
Plus d'un millier de personnes ont été arrêtées rien qu'à Londres, dont 600 ont été à ce jour inculpées. Ces chiffres sont susceptibles de croître étant donné qu'une chasse aux sorcières est en cours pour traquer ceux qui sont accusés d'avoir été impliqués dans les émeutes. Des séquences de films qui montrent la police enfonçant des portes d'entrée et arrêtant des gens passent en boucle sur les chaînes de télévision ; à Birmingham on fait circuler dans le centre ville des camionnettes (« digi-van ») montées d'un écran géant de près de 6 mètres de haut montrant des photos de vidéo surveillance (CCTV) de personnes suspectées de participation aux émeutes.
De longues peines de prison ont déjà été imposées, dont la plupart pour des infractions mineures. A Manchester, un homme est détenu et inculpé pour avoir « volé dans un kiosque à journaux des articles d'une valeur totale d'une Livre Sterling ».
Une infirmière dentaire de 20 ans, accusée de vol dans un supermarché, a été condamnée à trois mois d'emprisonnement par un tribunal de Londres. Un étudiant de Londres de 23 ans qui a été reconnu coupable du vol de six bouteilles d'eau d'une valeur de 3,50 Livres Sterling a été condamné à six mois d'emprisonnement. Comme c'est le cas de beaucoup d'autres, il avait un casier judiciaire vierge.
Un autre jeune homme de vingt ans de Manchester a écopé d'une peine de prison de six mois après avoir reconnu avoir transporté des sacs dans le but de collecter des chaussures de sport laissées dans les rues après les émeutes.
Des enfants d'à peine 11 ans sont passés en comparution immédiate. Un jeune garçon de 12 ans, accusé d'avoir volé une bouteille de vin, a été placé sous contrôle judiciaire pour neuf mois et condamné à payer les frais s'élevant à 50 Livres Sterling.
Les médias et la police exigent un changement de la loi pour que des peines d'emprisonnement plus dures puissent être infligées aux « enfants pilleurs ». Le journal Daily Mail s'est plaint, « On libère les enfants pilleurs et on les autorise à rentrer chez eux et à retrouver leur famille - et, en raison de leur âge, la loi impose que leur identité soit protégée. »
La mort de trois hommes, mardi à Birmingham, supposés avoir été renversés par une voiture alors qu'ils gardaient une station essence pour tenter de la protéger des pillards, a servi de justification à cette répression de masse.
Un semblant de procédure régulière a lieu, alors que des tribunaux fantoches prononcent une « justice expéditive » pour satisfaire les médias et la police. Le quotidien Evening Standard a décrit comment cela se passe au tribunal de Westminster, l'un de ceux qui siègent 24 heures sur 24 dans la ville. « Les dossiers du tribunal sont parcourus en 15 minutes avant les audiences », tandis que « les accusés sont présentés à la cour alors même que leurs avocats se trouvent encore dans les cellules occupés avec d'autres clients. »
Le Guardian a révélé que « sur les 1,7 millions d'affaires jugées l'année passée par les tribunaux d'instance, seuls 3,5 pour cent ont été condamnés à la prison. » Ces derniers jours, ceux qui ont été reconnus coupables d'avoir participé à des émeutes ont été écroués à « un taux variant entre 50 et 60 pour cent. »
Pourtant, de nombreuses affaires sont transférées des tribunaux d'instance aux cours d'assises parce que les juges affirment que les compétences maximales qui sont à leur disposition pour les condamnations sont insuffisantes. Les tribunaux d'instance ne peuvent condamner les gens qu'à des peines qui ne peuvent dépasser six mois ou à une amende de 5.000 livres Sterling. Pour un cambriolage, une cour d'assises peut imposer une peine allant jusqu'à 10 ans de prison ferme.
Un avocat au tribunal de Westminster a dit au Guardian que dans beaucoup de cas les gens qui seraient normalement libérés sous caution étaient systématiquement placés en détention provisoire. « Les décisions semblent être prises sans y regarder de plus près et sans prendre en considération les éléments spécifiques à chaque cas. J'ai vraiment l'impression qu'il y a des pressions politiques. »
Selon l'analyse du journal, sur plus de 150 audiences conduites par les tribunaux, la majorité des accusés qui sont « pour la plupart jeunes, de sexe masculin et chômeurs, » sont placés en détention provisoire en dépit du fait qu'ils ont plaidé coupable à des infractions relativement légères.
La Police Métropolitaine a dit mardi que grosso modo la moitié de ceux qui ont comparu devant le tribunal à Londres étaient âgés de 18 ans ou moins. Sur les 224 cas, 133 (55 pour cent) avaient entre 18 et 24 ans. Il est significatif de noter que c'est le groupe d'âge qui, sur le plan national, est confronté à des taux de chômage et de pauvreté tout particulièrement élevés. Les chiffres publiés au trimestre dernier ont montré qu'un jeune sur cinq (745.000) de la tranche d'âge entre 18 et 24 ans était sans emploi.
Le premier ministre David Cameron et le dirigeant du Parti travailliste, Ed Miliband, sont d'accord pour souligner que les émeutes sont exclusivement le fait de « gangs » de rue « criminels » et « immoraux » et qui doivent être réprimés par la « pleine force » de la loi. Jeudi, une session d'urgence du Parlement a autorisé la police à agir en toute impunité et a conçu une série de sanctions punitives contre les personnes accusées d'implication dans les troubles, dont le retrait des prestations sociales et l'expulsion des logements sociaux.
Ce faisant, l'establishment politique encourage les forces les plus réactionnaires et les plus sadiques.
N'importe quelle calomnie peut dorénavant être répétée dans les médias contre les jeunes de la classe ouvrière sans quelle soit remise en question - certains médias réclament même ouvertement des représailles violentes.
Ecrivant vendredi dans le Daily Mail, Richard Littlejohn a décrit ceux qui ont été interpellés comme étant « une horde de loups sauvages et miséreux des banlieues. » Il a dit, «Dans certains milieux on commence enfin à comprendre que nous avons affaire à présent à la troisième, voire la quatrième génération de la sous-classe urbaine. »
Se faisant l'écho de ceux qui ont appelé à recourir à l'armée pour « restaurer l'ordre » dans la rue, Littlejohn se plaint en disant, « La police a les pieds et les poings liés par la législation et elle est terrifiée d'être accusée de racisme. Et donc, il n'est guère surprenant qu'au lieu de matraquer ces pilleurs comme des bébés phoques, ce qu'ils méritent, les policiers sont tout d'abord restés en retrait en observant la situation pendant que les magasins étaient dévalisés et les maisons incendiées. »
Plus tôt, sa collègue du Mail, la chroniqueuse Melanie Phillips avait rédigé une diatribe tout aussi brutale dans laquelle elle attribuait les émeutes aux « résultats par trop prévisibles de trois décennies de l'expérience libérale qui a quasiment détruit toutes les valeurs sociales fondamentales. » En répétant l'affirmation de Cameron que la Grande-Bretagne était prise en otage par une section « malade » de la société, elle a identifié la cause de cette « maladie » comme étant « l'Etat providence », l'« intelligentsia libérale » et le « multiculturalisme », dans cet ordre.
Dans le Daily Express, le commentateur politique Chris Roycroft-Davis a également attaqué une « soi-disant intelligentsia » dont la « manipulation sociale » a changé « notre nation » « au point de la rendre méconnaissable. »
Il a réclamé une « puissante explosion de colère de la part des millions d'hommes et de femmes qui savent ce que c'est que la moralité, » et qui « doivent être en droit de reconquérir la rue, de répondre à la violence par la violence. Si une partie de la populace devait être blessée alors ce sera leur propre faute. »
Considérons les implications de telles déclarations.
Il y a trois semaines à peine le fasciste norvégien Anders Breivik commettait un meurtre de masse en déposant une bombe dans le centre d'Oslo puis en abattant un grand nombre d'enfants qui participaient à un camp du Parti travailliste norvégien.
Le « manifeste » que Breivik a fait circuler pour justifier ses actions utilisait des termes identiques à ceux utilisés par Phillips et les autres - dénonçant l'« élite libérale », le « multi-culturalisme » et « la dépendance sociale » qui détruiraient soi-disant la société norvégienne.
Breivik citait Phillips, parmi de nombreux autres chroniqueurs britanniques, comme l'une de ses sources d'inspiration, et avait reproduit l'intégralité de l'un de ses articles parus en 2009 dans le Mail.
Il faut tirer les leçons de tout cela. Les diatribes de Breivik, de Phillips et des autres indiquent l'existence d'une couche fasciste cultivée à l'intérieur de la Grande-Bretagne et de l'Europe qui à la fois craint la classe ouvrière et lui est profondément hostile, notamment sa jeune génération.
Cette couche a été encouragée par les guerres d'agression criminelles en Irak, en Afghanistan et en Libye et par la rhétorique antimusulmane qui les a accompagnées ; elle a été encouragée par la décrépitude et la faillite totale de la social-démocratie qui a adopté la politique économique et sociale de la droite.
Cette couche est tout à fait consciente de la détresse sociale aiguë qui se cache derrière les émeutes et elle sait que l'effondrement du système capitalise exacerbera ceci considérablement, en provoquant inévitablement une opposition de masse de la classe ouvrière.
Ses exigences d'une répression de masse contre les jeunes sont le premier jalon sur la voie de l'imposition de formes dictatoriales de gouvernement par lesquelles elle espère riposter face à de tels développements.
(Article original paru le 13 août 2011)