Robert BIBEAU
LE PEUPLE GREC PASSE LA MAIN AU PEUPLE BRITANNIQUE
Comme vous, j'ai cru au début de l'été 2011 que la révolte spontanée du peuple grec sonnait la charge du soulèvement populaire européen contre les politiques du FMI, de la Banque Mondiale, de la Banque européenne et des bureaucrates de l'Union européenne (1).
Ce ne fut pas le cas. Après une succession d'affrontements violents contre les forces de l'ordre, le peuple grec dans sa sagesse a redirigé sa résistance quotidienne vers les lieux de travail (pour ceux qui ont toujours un emploi), dans les commerces touristiques, contre le fisc et dans la rue. Le peuple grec, ne se sentant pas prêt à renverser l'appareil répressif de l'État grec, a donc passé la main aux autres peuples européens. Voici la rose, dansez mes frères d'Europe !
Voilà que le courageux et inexpugnable peuple britannique a repris le gant laissé par les grecs et lancé sa propre offensive en révolte contre les politiques de banqueroute économique du FMI, de la Banque Mondiale et de la Banque européenne. À Tottenham dimanche le 7 août 2011, les capitalistes britanniques ont tremblé dans leurs escarpins de cuir fin face aux bottines de cuir cloutées des travailleurs britanniques.
Le quartier de Tottenham à Londres a été transformé en champ de bataille suite à l'assassinat d'un résistant noir par la police londonienne (2). Cette fois la répression raciste fut l'étincelle qui mit le feu aux poudres et le soulèvement s'étend depuis à tout le Royaume-Uni (3). Rappelez-vous simplement qu'il y a quelques mois ce sont les hausses drastiques de frais de scolarité contre les étudiants anglais qui déclenchèrent les foudres populaires et soulevèrent l'Ire britannique. Demain la cause sera différente mais tous ces soulèvements ont la même origine, une même source profonde, sur laquelle nous reviendrons bientôt.
RÉVOLTES ARABES
Auparavant examinons les causes des soulèvements populaires à travers le monde arabe. Ces motifs de guerre civile semblent nombreux mais en réalité il n'en n'est rien. En Libye par exemple, le peuple refuse que les puissances impérialistes européennes, néo-colonialistes, viennent s'ingérer davantage dans la gestion politique, économique, fiscale, pétrolière et bancaire du pays pour le mettre à sac (4).
Mouammar Kadhafi a toléré cette ingérence et ces dernières années il s'était plié aux dictats imposés par ses maîtres européens. Quand ceux-ci, prenant prétexte des « printemps floraux » qui s'épandaient un peu partout dans la sphère arabe, ont voulu écarter le guide de la Jamahiriya du pouvoir pour y placer une marionnette plus souple et plus docile, ce dernier a refusé d'être écarté de la sorte estimant avoir rempli convenablement le mandat que la soi-disant « communauté internationale » lui avait confié - lire, le petit groupe de dirigeants rapaces qui prétendent gouverner le monde par l'entremise de quelques organisations internationales criminelles - (5).
Kadhafi s'est donc accroché au pouvoir et a fourni au peuple libyen le motif et l'organisation pour déchaîner sa fureur contre l'OTAN et les politiciens européens de la canonnière qu'ils sont en train de mettre en déroute. Honneur au courageux peuple libyen qui montre ainsi la voie de la résistance à tous les peuples d'Afrique. Après les échecs irakien, afghan, pakistanais et somalien voilà que nous assistons à la débandade européenne et états-unienne en Libye. Et ce n'est pas fini (6).
Mais le motif véritable de ces agressions occidentales contre la Libye, et en sous main contre la Tunisie (où le processus de réforme est bloqué par les ambassades étrangères) ; contre la Syrie (où l'empire pêche en eau trouble afin de disloquer l'alliance Iran-Syrie) ; contre l'Égypte (où l'empire voudrait instituer le Moubarakisme sans Moubarak) est toujours le même, le repartage des zones d'influence, des marchés, des sources de matières premières et d'énergie entre les deux grands camps impérialistes mondiaux (7).
Les prétextes pour ces interventions néo-coloniales européennes et états-uniennes (l'OTAN) dans les affaires internes des pays arabes peuvent varier localement, mais le motif profond est toujours le repartage des zones d'influence interimpérialistes.
CRISE ÉCONOMIQUE RÉCURRENTE
Il en est de même dans les pays européens, sauf qu'en Europe l'objectif n'est pas le repartage des zones d'influence mais la mise au pas - la répression - des peuples saignés à blanc par les crises économiques récurrentes qui ont pris tantôt la forme d'une crise des « subprimes hypothécaires » laquelle ne fut qu'une des formes d'expansion adoptées par le capital financier spoliateur issu de l'économie irréelle (spéculative). Les faillites bancaires qui suivirent se sont répandues dans toutes les régions du monde à cause de l'inextricable interrelation qui entrelace le capital financier mondial en phase impérialiste avancée (8).
La crise économique a ensuite - printemps - été 2011 - pris la forme de menées spéculatives contre les monnaies, dont l'euro, que les États-uniens auraient bien voulu assujettir à leur dollar en faillite (chacun notera ici que les alliés européens et états-uniens peuvent se poignarder dans le dos si leurs intérêts impérialistes nationaux le réclament) ; coup de bluff perdu par les spéculateurs américains faute de discipline interne entre les politiciens et les grands magnats américains de la finance. Depuis samedi le 6 août 2011 la crise économique de l'impérialisme mondial a pris la forme de la dette souveraine, américaine d'abord, mais qui s'étendra sous peu à d'autres pays surendettés qui feront tour à tour défaut de paiement.
Chacun doit comprendre que c'est toujours la même crise économique de l'impérialisme occidental décadent qui se profile dans cette succession de crises sectorielles - spécifiques. Cette crise générale et saccadée mettant aux prises l'Alliance Atlantique (Europe et États-unis) décadente et l'impérialisme montant de la super puissance industrielle chinoise et de ses collaborateurs de l'Alliance de Shanghai.
Que ce soit en Grande-Bretagne, en Espagne, en Grèce, au Portugal et bientôt aux États-Unis d'Amérique, les soulèvements populaires spontanés ont toujours la même source profonde, le ras-le-bol populaire contre la paupérisation accélérée - 15 % à 20 % du peuple américain s'alimente grâce aux bons alimentaires de l'État, des millions d'Américains ont été jetés à la rue et sont sans logement, les propriétés se vendent pour une bouchée de pain dans plusieurs États américains, les prisons sont archi-surpeuplées, le taux de chômage réel frôle les 18 % aux États-Unis - (9) ; ainsi que la révolte contre le chômage généralisé, la dégradation des services publics, le racisme, la faillite économique globale, la spéculation boursière, le transfert du fardeau de la crise économique et financière, ainsi que de la dette souveraine, sur le dos des peuples travailleurs pour sauver la fortune des riches et des spéculateurs, des banques et des cartels internationaux.
Lors de la crise de 2008 les pouvoirs d'États dictatoriaux - soi disant élus démocratiquement - ont utilisé leur contrôle sur l'appareil fiscal des États souverains (Europe, Canada, Australie, Japon, USA) pour subventionner et renflouer les banquiers et les financiers à même les ressources financières de l'État. Mais cette activité de spoliation des fonds publics a elle-même entraîné le surendettement de ces États si bien que le même stratagème est aujourd'hui exclu sinon en coupant encore plus drastiquement dans les dépenses publiques destinées au peuple et aux pauvres et en transférant ces derniers deniers spoliés directement aux financiers.
Mais la marge de manoeuvre des États impérialistes décadents (Alliance Atlantique) est aujourd'hui si mince qu'il faudra d'énormes déboursés répressifs - polices, services secrets, armées et réservistes - pour parvenir à imposer ces nouveaux sacrifices aux peuples exsangues. Depuis 2001, ces guerres impérialistes de rapines, de répression des soulèvements nationaux libérateurs - ces guerres impérialistes occidentales pour écarter l'impérialisme chinois de ces zones d'hydrocarbures et des marchés africains et Moyen-orientaux ont coûté la modique somme de 3 200 milliards de dollars au trésor américain (10), ce qui représente environ 20 % de la dette souveraine des États-Unis d'Amérique. Aujourd'hui, l'administration américaine voudrait faire payer le prix de ses guerres d'agressions à l'ensemble des pays de la planète, y compris aux descendants de leurs tueries en Irak et ailleurs, en dévaluant les réserves de dollars américains que chacune des banques centrales nationales possèdent.
Il faut noter toutefois que dans la sphère impérialiste montante - Alliance de Shanghai - la situation politique et répressive, quoique difficile, est plus favorable. Les puissances impérialistes regroupées autour de la super puissance industrielle chinoise sont en train de développer leur capacité productive (elles sont en phase d'industrialisation et non pas en phase de désindustrialisation comme à l'Ouest), elles développent présentement leur marché intérieur (Chine, Inde, Russie, Kazakhstan, Iran, etc.) et elles imposent déjà, dans la plupart des cas, une dictature fasciste à leurs peuples réprimant sauvagement toute velléité de résistance. Actuellement les puissances impérialistes décadentes de l'Ouest s'acheminent à vitesse variable vers cette forme de dictature étatique camouflée sous des prétentions démocratiques électoralistes néo-libérales.
LES BOBOS À LA RESCOUSSE
Que font les forces de « gauche » pendant ce temps ? Les « bobos opportunistes » s'avancent rapidement sur le devant de la scène afin de détourner les contingents de résistants en colère et leur faire prendre la voie de garage. Un intervenant syndical écrivait ceci à propos de l'émeute du quartier de Tottenham à Londres : « Après Bari, Tottenham. Pourquoi pas bientôt Paris, Marseille ? Voilà où mènent des lustres d'incurie, d'imprévoyance et de lâcheté des dirigeants européens qui n'osent agir contre la crise ! ».
Les soulèvements populaires - anarchiques et spontanés - ne sont pas le fruit de l'incurie, de l'imprévoyance et de la lâcheté des dirigeants politiques européens. Les dirigeants européens ne veulent d'aucune façon satisfaire les réclamations de la population pas plus à Paris, à Londres, à Athènes qu'à Madrid. Ensuite, les dirigeants européens (ou américains) n'ont absolument aucun contrôle sur la faillite économique du système impérialiste moribond.
La seule chose que les politiciens européens peuvent faire, c'est de mettre la machine d'État au service des classes spoliatrices et d'organiser la répression des peuples qui se révoltent contre non pas « l'incurie, la lâcheté et l'imprévoyance » mais contre les politiques délibérément assassines, anti- populaires et exploiteuses de dirigeants qui organisent sciemment le transfert des richesses d'État et qui systématisent les coupures - le retrait - des capitaux des services publics et du soutien aux pauvres pour les diriger vers le soutien aux riches.
La récente décote de crédit américain (de AAA à AA+) n'est rien d'autre que la sanction des milieux d'affaires contre la Maison Blanche et le Congrès américain coupables de ne pas avoir suffisamment coupé dans les services et l'aide à la population américaine et pour ne pas avoir suffisamment soutenu la classe capitaliste monopoliste à même les crédits d'État (11). Cette décote, décriée par tous ceux qui possèdent des devises américaines (la Chine en possède à elle seule 3 000 milliards $) présage d'une éventuelle dévaluation importante du dollar US et donc d'énormes pertes pour tous ceux qui comme les Chinois sont plombés avec cette devise en débandade dans leurs coffres.
Ce n'est pas « lâcheté » de la part des politiciens occidentaux. Au contraire, il faut beaucoup de courage à ces bandits politiques pour spolier la population afin d'enrichir une poignée de riches, et pour ensuite lancer la police (16 000 policiers à Londres), et bientôt l'armée, contre leur propre peuple en révolte. Tous les Obama, Sarkozy, Cameron et Harper de ce monde ne font là que leur métier, ce pourquoi ils ont été placés aux postes qu'ils occupent par ceux qui ont financé leur campagne électorale frauduleuse.
C'est le système capitaliste et ses suppôts qu'il faut renverser, détruire, éradiquer, éliminer sans se plaindre de l'incurie, de la lâcheté ou de l'imprévoyance qui n'en furent d'ailleurs pas. Au contraire, tous ces comploteurs ont prévu la débâcle de leur système économique et ils se préparent à la répression des soulèvements populaires - la police de Montréal a créé cet été une cellule de répression politique - afin de ne rien changer à ce système qui s'écroule malgré leurs efforts conscients et systématiques.
Mes amis d'Athènes, de Madrid, de Tottenham et bientôt de Chicago... c'est la lutte finale qui commence, groupons-nous et demain....
Robert BIBEAU
(1) centpapiers.com« Je peux comprendre qu'ils soient en colère. En plus (de la mort du jeune homme), il y a du chômage et des coupes dans les allocations, donc tout ça fait que la coupe est pleine », explique Norman McKenzie, un agent de sécurité de 37 ans. Les gens ne sont pas contents. Je pense que le système est en train de craquer. Il est temps que les gens se lèvent et fassent quelque chose », enchaîne une jeune femme d'origine africaine. ».
(7) agoravox.fr
(10) James Petras. globalresearch.ca