par Hugo Domenach
(3 août 2011)
L'avenue Rothschild, dans le quartier huppé de Tel Aviv, presque entièrement couverte de tentes ; des manifestants qui affluent par dizaines de millier dans les villes du pays une fois la nuit tombée. Cent cinquante mille manifestants ont défilé samedi à Tel Aviv et près de 150 000 employés municipaux sont entrés en grève ce lundi. L'ampleur du mouvement social qui a débuté mi-juillet pour dénoncer la vie chère et la flambée des prix de l'immobilier est sans précédent dans l'Etat hébreu.
C'est la première fois dans l'histoire du pays qu'un mouvement social de cette ampleur, hors cadre institutionnel, éclate. "La contestation n'a pas été lancée par les syndicats et les politiques et ne vise pas le conflit avec la Palestine et les pays arabes. Au contraire, ce mouvement dépasse les clivages habituels entre religieux et non religieux, droite et gauche, musulmans et juifs", explique Annette Levy-Willars, écrivaine, journaliste et ancienne conseillère culturelle à l'ambassade de France en Israël. "Ce sont les classes moyennes qui sont dans la rue. Des gens qui ont un boulot, qui font des études, mais qui n'arrivent pas à vivre dignement", explique-telle.
La révolte des tentes comporte des similitudes avec les révolutions des pays arabes et des indignés espagnols. "On retrouve une jeunesse éduquée et qui se sert des réseaux sociaux pour mener la contestation", explique Pierre Renno, docteur en sciences politiques et membre du Centre européen de sociologie et de science politique. Des appels à la grève ont été lancés dimanche sur Facebook et près de 24 000 utilisateurs on fait part de leur volonté de suivre le mouvement. "La colère s'est rapidement propagée. Les médecins, les mères de familles, les profs, toutes les couches de la société se sont réunies pour exprimer un grand ras-le-bol", explique Annette Levy-Willars.
Si le moteur des manifestations arabes et israëliennes est la situation socio-économique, les revendications israëliennes sont différentes : "En Tunisie ou en Egypte, le peuple réclamait un espace public démocratique, ce qui n'est pas le cas des Israéliens ou des indignés espagnols. Le moteur des Israéliens est économique. C'est une demande d'Etat providence", décrit Pierre Renno : "Les jeunes se plaignent de faire l'armée, de se sacrifier pour l'Etat et de ne rien recevoir en retour", déplore Florence Heymann, historienne au Centre de recherche français de Jérusalem. Selon Pierre Renno, "il s'agit d'un appel à l'aide et non d'un rejet de l'Etat, contrairement à ce qui s'est passé dans les pays arabes".
"LE GOUVERNEMENT RISQUE DE TOMBER À CAUSE DE PROBLÈMES SOCIAUX ET NON GÉOPOLITIQUES"
Mais comme dans les révolutions égyptiennes ou tunisiennes, les revendications s'adressent à un seul homme. Les dirigeants de la contestation qui ont émergé de la base, exigent que seul le premier ministre Benjamin Nétanyahou négocie avec eux en présence de caméras et de micros. "Il faut changer de méthode et mener la négociation en pleine transparence et non pas en secret dans des bureaux comme cela a toujours été le cas jusqu'à présent", a affirmé lundi Orly Weissenberg, une représentante des manifestants à la radio militaire. "Nous voulons négocier non pas avec des ministres mais avec Benjamin Nétanyahou, car c'est le seul à pouvoir prendre des décisions sérieuses", a-t-elle ajouté.
Le secrétaire général de la Histadrout, principal syndicat de travailleurs en Israël, Ofer Eini, s'est élevé contre cette position : "Je ne soutiendrai pas un mouvement de protestation dont le but serait d'humilier ou de provoquer la chute du premier ministre qui a été élu démocratiquement, nous ne sommes pas en Égypte ou en Syrie", a-t-il affirmé à la radio militaire.
Pierre Renno explique la contestation par "des problèmes sociaux qui ont été laissé de côté car le pays s'est trop focalisé sur le conflit israélo-palestinien". Selon lui, "les manifestants constituent l'électorat de base des partis de gauche qui se sont effondrés au profit de la droite ces dernières années". Le gouvernement, qui dispose au Parlement d'une forte majorité basée sur l'alliance entre droite, extrême-droite et partis religieux, pourrait sortir affaibli. Pour Florence Heymann, "Le paradoxe, c'est que le gouvernement de Benjamin Netanyahu, qui a basé sa campagne sur des questions de sécurité, risque de tomber à cause de problèmes sociaux et non géopolitiques".