La Tunisie s'est engagée depuis le 14 janvier sur la voie de la démocratisation, mais des survivances du système dictatorial demeurent. C'est tout à fait normal dirions-nous, le passage de la dictature à la démocratie ne fait pas par un tour de magie... le fait que des résistances au changement se font jour est tout ce qu'il y a de plus naturel.
Ben Ali est parti, mais son système est encore là, ne cesse-t-on de le répéter. Un peu plus de six mois après le 14 Janvier, la chape de plomb qui pesait sur les Tunisiens a été levée, la parole s'est libérée, et la scène politico-médiatique vit une effervescence sans précédent. La démocratie tunisienne est en gestation, mais ses premiers balbutiements semblent être difficiles. Les vieux réflexes sont encore là, et font recette, est-ce si compliqué de s'en débarrasser, ou faut-il laisser du temps au temps.
S'il y a un baromètre qui pourrait mesurer le degré des libertés et de démocratie dans le pays, c'est bien celui des médias. Ont-ils brisé les chaînes et recouvré leur liberté de révéler les vérités, et de dénoncer ce qui ne va pas ? Ils font mieux qu'avant certes, et leur mue est perceptible, nonobstant les dérapages, dans la presse écrite, audio-visuelle et électronique, mais pas assez. Beaucoup reste à faire.
L'évolution des médias incombe en premier lieu au journaliste certes, mais pas uniquement. Elle requiert, fondamentalement, une reconnaissance du devoir d'informer, et du droit de savoir. Ce qui sous-tend un accès plus facile aux sources d'information, qui étaient pendant de longues années hermétiquement fermées. Or, de ce côté-là, il n'en est rien, les mêmes pratiques de rétention de l'information persistent...et signent. Une collègue, attachée de presse d'un important ministère, reconnait incrédule que "les responsables et autres directeurs du département refusent de parler aux médias, car, ils ont peur que leurs propos ne suscitent des réactions imprévisibles". On croyait pourtant que la peur n'avait plus droit de cité, et qu'elle est partie avec l'ancien régime qui en faisait une marque de fabrique. Eh bien détrompons-nous, elle semble encore enracinée dans les coeurs et les esprits.
Qui est à même de passer outre cette peur et de la combattre ? Les bonnes volontés sont légion, leur combat risque d'être entravé par les forces contre-révolutionnaires, les nostalgiques de l'avant 14 janvier. Pour notre collègue Neji Zaïri, journaliste et porte-parole du ministère de l'Intérieur démissionnaire, "les journalistes tunisiens ont une occasion historique pour s'attacher à leur liberté, ils doivent conclure un pacte avec ce gouvernement ou le prochain pour ne pas céder d'un iota à leur liberté", sinon, le retour de manivelle serait inévitable.
Connu pour son ouverture, Neji Zaïri vient de jeter l'éponge en tant que porte-parole du ministère de l'Intérieur, dénonçant l'absence d'un climat de liberté. "J'ai préféré démissionner que de cautionner ce système de blocage de l'information. Je n'accepte jamais de maquiller les vérités ou de présenter des données fallacieuses, nous indique notre confrère démissionnaire, qui a été remplacé par un colonel des unités d'intervention. "Rien a changé, les mêmes pratiques persistent", déplore-t-il.
Et pourtant, fait rare, le ministère de l'Intérieur du gouvernement provisoire, a à sa tête deux ministres, dont un ministre délégué chargé des réformes, nommé lors du dernier remaniement. Pourquoi cette organisation bicéphale ? Quelles sont les prérogatives du nouveau ministre ? Quel type de réformes va-t-il mener ? Des questions qui restent sans réponses, d'autant que ce département accuse un grand déficit de communication. Le réformer est nécessaire... mais aucune réforme ne peut-être efficace si elle ne s'accompagne pas par un changement dans les mentalités...c'est là où le bât blesse.
H.J.