Par Khaled Amayreh
Les Frères Musulmans sont une des principales forces de l'opposition politique égyptienne en filigrane de la révolution du peuple contre le régime égyptien du président Hosni Moubarak. Depuis l'époque de Nasser, le régime militaire s'est efforcé d'étouffer et de tuer le mouvement de renouveau populaire islamique, qui appelle à une société égalitaire, à la justice sociale et à une forme de démocratie islamique.
Logo des Frères Musulmans
Pendant la présidence d'Anwar Sadat, les relations entre les Frères (Ikhwan) et le régime ont connu un bref dégel lorsque le gouvernement a tenté de monter les Frères contre ses opposants laïques, dont la gauche et les forces nasséristes. Cependant, cette politique du 'diviser pour régner' s'est interrompue de façon abrupte lorsque Ikhwan a exprimé sa ferme opposition à la "trahison" de la cause palestinienne par Sadat, qui a culminé avec la signature du traité de paix de Camp David avec Israël.
Le successeur de Sadat, Hosni Moubarak, a adopté une attitude beaucoup plus hostile envers les Frères, en particulier après la révolution iranienne. Certains experts politiques ont dit que "l'hostilité envers Ikhwan" a toujours été, pour Moubarak, une obsession personnelle. Ce qui expliquerait pourquoi il ne s'est jamais privé de brandir l'épée de l'autorité et de priver les membres d'Ikhwan de leurs droits de l'homme fondamentaux et de leurs libertés civiles.
Même aujourd'hui, un des principaux arguments de Moubarak pour justifier son refus d'abandonner son poste, alors que des millions d'Egyptiens le réclament, est qu'il craint une prise de contrôle du gouvernement du Caire par les Frères Musulmans. Il est cependant plus vraisemblable que le vieux tyran de 83 ans ne soit en train d'agiter l'épouvantail des Frères pour justifier le fait qu'il se cramponne au pouvoir. Cela explique aussi la campagne de propagande haineuse que les médias contrôlés par le gouvernement ont lancée contre Ikhwan.
Ironiquement, plus l'approche du régime Moubarak est haineuse et vindicative envers les Frères Musulmans, plus les masses égyptiennes soutiennent le mouvement. De toute évidence, les tactiques hostiles auxquelles a recours le régime contre Ikhwan, dont les vagues d'arrestations et les campagnes de propagande venimeuses, n'ont pas réussi à entamer sa popularité.
Le régime Moubarak veut nous faire croire qu'un futur gouvernement dans lequel les Frères Musulmans joueraient un rôle important serait une évolution désastreuse équivalant à une répétition de la révolution iranienne et à une réplique du régime iranien. Ceci est cependant plus alarmiste que rationnel et objectif s'agissant d'un mouvement islamiste qui est largement considéré comme modéré, mûr, sage, et surtout enclin à la résolution des différences par la réconciliation plus que par la confrontation.
Néanmoins, le gouvernement de Moubarak semble avoir admis qu'il était inutile d'ignorer le groupe politique d'opposition le plus important et de loin le plus fort d'Egypte. Selon des rapports du Caire, les Frères ont été invités à participer aux "consultations" entre le gouvernement et les groupes d'opposition. Le nouveau premier ministre nommé, Ahmed Shafik, a dit à la télévision égyptienne qu'il attendait le jour où les Frères deviendraient un parti politique "comme les autres". Beaucoup de doutes demeurent cependant sur la sincérité du régime qui doit faire une réelle rupture avec la politique précédente qui consistait à écarter tout rapprochement avec Ikhwan.
Le Mouvement des Frères Musulmans est le mouvement islamique le plus important et le plus répandu dans le monde arabe. Avec ses dérivés, il constitue le principal groupe d'opposition non seulement en Egypte mais aussi en Jordanie, en Syrie, en Tunisie, en Libye, en Algérie et au Maroc. Même dans l'Irak à dominance shiite, les Frères sont la force dominante au sein de la communauté sunnite du pays, tant parmi les Arabes que les Kurdes. En Palestine occupée, le Mouvement de la Résistance islamique Hamas est issu des Frères et a gagné les élections parlementaires en 2006, défaisant l'OLP laïque et soutenue par l'occident.
Il est important de souligner que l'attitude occidentale souvent convulsive envers les Frères semble avoir un caractère évident de phobie de masse, comme illustré par les efforts déterminés d'exclure les islamistes égyptiens de tout gouvernement post-Moubarak. Une telle attitude est raciste et elle est le signe d'une mentalité impérialiste, totalement refusée par les Musulmans sincères. De plus, l'occident n'a pas le droit de dire aux Arabes et aux Musulmans quels mouvements ou partis politiques ils doivent inclure ou exclure de leur paysage politique. En tant que tels, les Frères Musulmans ne peuvent et ne doivent être exclus du processus politique en Egypte, sinon les troubles et l'instabilité persisteront.
Quelques voix hypocrites arguent que l'entrée des Frères portera tort à la cause des droits de l'homme et à la démocratie dans la "nouvelle Egypte", comme si l'Egypte de Moubarak avait été un oasis où ces valeurs étaient florissantes. Il semble cependant que ceux qui s'opposent à l'entrée des Frères dans le processus démocratique ont des objectifs moins sincères qui ont peu à voir avec la démocratie ou les droits de l'homme.
L'interférence étrangère ne devrait jouer aucun rôle dans aucun processus démocratique de choix de gouvernement en Egypte ou ailleurs ; ce droit appartient aux citoyens du pays en question. Si les Egyptiens optent pour une entrée au gouvernement des Frères Musulmans ou d'un autre parti officiel d'opposition, alors qu'il en soit ainsi. Tous les groupes et mouvements politiques en Egypte doivent être responsables et comptables devant les masses égyptiennes, et non devant des cercles pro-Israël qui pensent qu'ils ont un mandat pour décider au nom des millions d'Arabes par quel gouvernement ou régime ils doivent être dirigés.
Il est pertinent de demander pourquoi il est parfaitement acceptable d'avoir des partis démocrates chrétiens et même des groupes évangéliques tout-à-fait antidémocrates, comme c'est le cas aux Etats-Unis, déterminés à remodeler la carte politique dans leurs pays respectifs, alors que c'est un tabou international de tolérer des partis politiques fondés sur l'Islam au Moyen Orient arabe. Les Musulmans doivent-ils se convertir à une autre religion pour que leur foi soit acceptée dans le processus politique ?
L'hypocrisie occidentale est nulle part plus nettement évidente que dans la position américaine et européenne sur Israël, où des partis religieux juifs d'extrême-droite - limite fascistes - contrôlent la coalition gouvernementale et l'obligent à adopter une politique basée sur le racisme et l'expansion territoriale. Certains d'entre eux considèrent réellement le reste de l'humanité, y compris des démocrates chrétiens aveugles en occident, comme de simples bêtes de trait parce qu'ils ne sont pas juifs. Et ils continuent de fermer les yeux sur les excès et les illégalités du gouvernement israélien.
La participation des Frères musulmans aux élections post-Moubarak, et même au gouvernement, doit se produire, avec ou sans le consentement de l'occident. C'est un droit légitime du peuple égyptien, obtenu par de nombreuses années de persécution et de lutte, de larmes, de sang et de souffrances.
Source : Middle East Monitor
Traduction : MR pour ISM