06/11/2011 elcorreo.eu.org  6min #59498

 Le mouvement anti-wall Street gagne d'autres pays

Mouvements sociaux : de la difficulté de gérer nos désaccords Raúl Zibechi - El Correo

Raúl Zibechi *

Quand des millions de personnes commencent à occuper les espaces publics dans le mode entier, rues et places, édifices abandonnés du marché et immeubles des institutions de l'Etat, de nouveaux débats apparaissent qui affectent, d'une manière presque inévitable, les forces qui luttent pour un monde nouveau. Ces derniers mois se sont fait jour de sérieuses contradictions qui touchent les mouvements tant du centre que de la périphérie, et ceux qui sont en action tant dans des pays gouvernés par des forces conservatrices que de gauche.

Par moments, le caractère de ces contradictions semble revivre de vieux débats entre sociaux-démocrates et communistes, entre staliniens et trotskistes, ou entre des partisans de la voie armée et ceux de l'électorale. Quelque chose de cela arrive, mais font surface en plus des divergences que les mouvements antisystémiques n'ont pas résolues et qui menacent de neutraliser les luttes en cours. Il ne s'agit non seulement de divisions plus ou moins sérieuses et profondes, mais ces divisions révèlent souvent l'existence d'objectifs opposés dans un contexte dans lequel personne n'a de stratégie pour faire devenir réalité de la célèbre consigne un « Autre monde est possible ».

Deux exemples, sont survenus ces jours-ci dans des lieux distants, et mettent en évidence cette situation. En Grèce, où une partie considérable de la population est en fait dans la rue tous les jours, et ont été occupés des dizaines de bâtiments de l'État, depuis les services de santé et d'éducation jusqu'à certains ministères et d'autres dépendances du Pouvoir exécutif. Le 20 octobre, journée de grève générale, une grande manifestation a cherché à s'approcher du Parlement avec l'intention de le prendre, ou bien d'entrer de force dans l'enceinte sacrée de la démocratie électorale. Au-delà de la viabilité de cette intention, qui peut être considérée comme correcte ou non, des milliers de personnes désiraient le faire.

Ils se sont trouvés face à une double barrière formée par des policiers et des militants du Parti Communiste (KKE), qui a été mobilisée pour défendre le parlement et pour contrôler la manifestation. Il y a eu de durs affrontements entre les manifestants communistes et ceux qui voulaient prendre l'enceinte parlementaire. Les communistes, protégés par la police, ont accusé les radicaux « de fascistes potentiels ». Le résultat fut des dizaines de blessés, un mort par les gaz lacrymogènes, et une forte démoralisation qui peut arriver à freiner le processus de luttes.

Dans les faits, les communistes grecs ont agi comme défenseurs du système. Ce n'est pas la première fois que cela survient ni sera la dernière. Au fond, ni les communistes, ni les anarchistes, ni les autonomes, aucun n'avons de stratégie pour renverser le système. Cependant, des tactiques efficientes existent pour diviser les forces antisystémiques. Il est possible que la police ait infiltré des provocateurs, comme le dit le KKE, pour radicaliser les manifestations. Mais rien ne devrait autoriser à personne qui se proclame de gauche d'agir comme la police contre la mobilisation sociale.

En Bolivie, à la suite de la marche indigène contre la construction d'une route qui cherche à traverser le TIPNIS (Territoire Indigène et le Parc national Isiboro Sécure), le vice-président Álvaro García Linera a accusé le mouvement de faire le jeu de l'USAID et de l'impérialisme yankee. Il est évident, et cela ne requiert pas une plus grande explication, que Washington désire que des manifestations aient lieu contre tout gouvernement qui maintient des différences. Il est même très probable que l'ambassade des États-Unis encourage les mouvements qui s'opposent à des projets du gouvernement d'Evo Morales. Cependant, dire que les indigènes sont les ouvriers de la déstabilisation impériale serait abusif.

En avril 1917, Lénine a effectué un audacieux voyage de la Suisse à Saint-Pétersbourg, traversant le front de guerre russo-allemand, protégé par l'Etat Major de l'armée teutone, puisque les Forces Alliées ont refusé de lui accorder un visa. Lénine a traversé l'Allemagne dans un train blindé et est arrivé à destination avec l'engagement de négocier une paix. Pierre Broué a écrit : « Avec cette concession, l'Etat Major allemand croit introduire en Russie un nouvel élément de désorganisation qui finira par faciliter leur victoire militaire » (Le Parti Bolchevique, Ayuso, Madrid, 1973, p. 117).

N'ont pas manqué les voix qui ont dénoncé Lénine pour cet accord avec les militaires allemands. Lénine a-t-il travaillé pour les Allemands ? Non. L'arrivée du révolutionnaire russe dans son pays a été décisive pour entreprendre la révolution, mais cette dérive nous l'avons connu après et il semblait impossible d'anticiper comment seraient les choses, puisque Lénine était juste une petite minorité dans son parti.

Le problème de fond n'est pas à qui bénéficient ou nuisent certaines actions ponctuelles. Est-ce que lutter contre la politique de l'Union Européenne n'affaiblit pas l'euro face du dollar ? Les indignés feront-ils le jeu de l'impérialisme, qui se frotte les mains avec les crises grecque, islandaise et espagnole ? La question est absurde, aussi bien au nord et qu'au sud. Ce qui décisif, ce qui réellement a de l'importance, c'est si ces actions poussent ou affaiblissent les mouvements antisystémiques ; s'ils cherchent, même dans l'erreur, d'aller au-delà de l'existant.

De ce point de vue, la prise du parlement à Athènes pourrait avoir été une grave erreur. Mais une erreur sur le chemin de renforcer la lutte antisystémique. Travailler à côté de la police contre les manifestants c'est préparer l'échec par la démoralisation. Ce ne sont pas deux « erreurs » comparables. De la même façon, les affirmations de García Linera, et son travail pour diviser les mouvements, coupent l'herbe sous les pieds du gouvernement d'Evo Morales, parce que l'affaiblit son principal soutien.

Dans d'autres époques, nous nous sommes opposés avec dureté à des courants parce que nous avions des stratégies différentes et opposées pour changer le monde. Nous avons été battus. Aujourd'hui personne ne peut assurer qu'il tient entre ses mains le tracé du chemin pour arriver à bon port. C'est pourquoi, beaucoup plus d'humilité pour débattre de nos différences serait nécessaire. Pour ne pas nous infliger plus dommages que ceux que nous inflige déjà, ce un pour cent qui cherche à nous écraser.

 La Jornada. Mexique, le 4 novembre 2011.

Traduit de l'espagnol pour  El Correo par  : Estelle et Carlos Debiasi

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 El Correo . Paris, le 5 novembre 2011.

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