M. Saadoune - Le Quotidien d'Oran
La guerre en Libye n'a rien à voir avec le pétrole. C'est ce qu'on disait à Paris et à Londres.
Et ceux qui, sans avoir la moindre once de sympathie pour Kadhafi, osaient mettre en avant l'enjeu pétrolier dans le grand engagement des Occidentaux pour la « liberté » des Libyens passaient pour des rabat-joie. Ou pire, pour des défenseurs des dictatures.
Il y avait pourtant quelques éléments factuels évidents. En 2007, alors que Mouammar Kadhafi, encore ami, plantait sa tente dans les jardins d'un grand hôtel parisien et au milieu des flatteries qui avaient suscité des sarcasmes indignés dans la presse française, on avait évoqué des contrats de plus de 10 milliards de dollars. Paris n'avait rien obtenu, sinon une exhibition grotesque du Guide en goguette. Et si Kadhafi est devenu un affreux dictateur après avoir été l'invité officiel de la République, cela a certainement quelque chose à voir. Et désormais, la France, qui n'a que des amis en Libye, de Benghazi à Tripoli, peut espérer la totale pour Total, sans compter les programmes de reconstruction et de fournitures d'équipements pour la future nouvelle armée libyenne... Ainsi vont les affaires dans le monde des marchés armés.
Les nouveaux dirigeants libyens, même provisoires, l'ont promis : ils seront généreux avec ceux qui les ont aidés. La morale politique de l'Occident, formule qui ressemble furieusement à un oxymore, est ainsi clairement déclinée : les beaux principes sont particulièrement utiles quand il s'agit de justifier le commerce. Et qu'est-il de plus élevé et de plus noble que le pétrole dans le champ des intérêts stratégiques ?
Avec la survie d'Israël, dernière frontière idéologique, l'approvisionnement énergétique est le centre des préoccupations impériales. L'OTAN, qui a démontré ce que valent les résolutions de l'ONU, inaugure un rôle nouveau, celui de chevalier blanc de la guerre mondiale pour l'or noir. En tout cas, le message est d'une limpidité impitoyable : les amitiés de l'Occident ne durent que le temps de leurs intérêts. Le ci-devant Guide de la Jamahiriya, habitué à ce que ses clients endurent ses foucades, doit en méditer l'amère leçon. Le pétrole, qui a construit son régime inepte, est précisément ce qui a précipité sa chute. L'histoire montrera si la guerre humanitaire pour les hydrocarbures peut déboucher sur un régime viable et efficace pour le malheureux peuple libyen. Et si les dépenses assumées par les Occidentaux dans leur guerre contre Kadhafi seront compensées - et au-delà - par les nouveaux dirigeants qui sont effectivement débiteurs.
Cette guerre confirme en tout état de cause que les dépenses d'armements de la Libye de Kadhafi n'auront servi à rien, sinon à améliorer les comptes des intermédiaires, et que l'impérialisme, en proie à l'une de ses crises les plus graves depuis des décennies, n'hésite pas à recourir aux armes quand il le juge rentable. La guerre est toujours menée au nom de la paix du monde et de l'ONU, qui n'est plus qu'une instance d'enregistrement. Tout autant que l'invasion de l'Irak, la guerre en Libye doit être évaluée à cette aune strictement matérielle. Le peuple libyen s'est débarrassé de son tyran, c'est un progrès incontestable. L'histoire montrera rapidement si la Libye s'est pour autant débarrassée de la domination.
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