26/08/2011 elcorreo.eu.org  10min #56742

 La rapine du siècle : l'assaut des volontaires sur les fonds souverains libyens

Bienvenus dans la « démocratie » de la Libye - pepe Escobar - El Correo

Pepe Escobar *

Le Grand Kadhafi a à peine quitté l'édifice - le complexe Bab-al-Aziziyah - que les vautours occidentaux font déjà une ronde là haut ; la rapine a commencé pour s'emparer du « grand prix » - la richesse libyenne de pétrole et de gaz. [1]

La Libye est un ouvrier agricole dans un échiquier idéologique, géopolitique, géoéconomique et géostratégique sérieux, au même degré qu'une pièce de théâtre de rue est comme un reality show de la télévision ; les « rebelles » idéalistes gagnent contre l'Ennemi Public Numéro Un. Autrefois l'ennemi public fut Sadam Hussein, ensuite c'était Oussama Ben Laden, maintenant c'est Mouammar Kadhafi, demain ce sera le président Bashar el-Asad en Syrie, un jour ce sera le président de l'Iran, Mahmud Ahmadineyad. L'ennemi ne sera jamais l'ultra-réactionnaire Maison de Saud.

Comment l'OTAN a gagné la guerre.

Malgré la réapparition spectaculaire du fils de Kadhafi, Saif al-Kadhafi, l'OTAN a virtuellement gagné la « guerre civile » libyenne (ou « une activité militaire cinétique », selon la Maison Blanche). Les masses du « peuple libyen » ont été spectateurs dans le meilleur des cas, ou acteurs secondaires dans le rôle de quelques milliers de « rebelles » portant des kalachnikovs.

L'acteur principal a été R2P (« responsabilité de protéger »). Depuis le début R2P, dirigé par la France et la Grande-Bretagne et appuyé par les Etats-Unis, s'est transformé comme par magie en changement de régime. Cela a mené à ce que les étoiles non dûment reconnues dans cette production furent les « conseillers » occidentaux et arabes monarchiques, comme « sous traitants » ou « mercenaires ».

L'OTAN a commencé à gagner la guerre après avoir lancé l'« Opération Sirène » à Iftar - la rupture du jeûne du ramadan - ce dernier samedi soir, à l'heure libyenne. « Sirène » fut le nom de code pour l'invasion de Tripoli. Elle a été, le dernier - et désespéré - stratagème de l'OTAN, parce que les « rebelles » chaotiques étaient arrivés nulle part après cinq mois de combat contre les forces de Kadhafi.

Jusqu'alors, le plan A de l'OTAN était d'essayer de tuer Kadhafi. Ce que les « cerveaux malins » de R2P - de gauche et de droite - avaient baptisé « usure permanente par l'OTAN » a fini par être une prière à trois issues : Kadhafi mort, Kadhafi se rend, Kadhafi fuit.

Rien de tout cela a empêché que des bombes de l'OTAN tombent sur des maisons privées, des universités, des hôpitaux ou même près du Ministère d'Affaires Etrangeres. Tout - et tous -étaient des objectifs.

« Sirène » incluait un casting pittoresque « des rebelles de l'OTAN », fanatiques islamistes, journalistes crédules encadrés, télévision amies, et des jeunes de Cyrénaïque manipulés par d' opportunistes déserteurs du régime de Kadhafi dans l'attente de généreux chèques des géants pétroliers Total et BP.

Avec « Sirène », l'OTAN brille (littéralement) de tous ses feux. Des hélicoptères Apache tirant sans arrêt et des chasseur-bombardier attaquant tout. L'OTAN a supervisé le débarquement de centaines de soldats à Misrata sur la côte est de Tripoli, tandis qu'un bateau de guerre de l'OTAN distribuait de l'armement lourd.

Dimanche seulement il y pu avoir 1.300 morts civils à Tripoli, et au moins 5.000 blessés. Le Ministère de la Santé a annoncé que les hôpitaux étaient débordés. Qui a continué de croire que les bombardements implacables de l'OTAN avaient quelque chose à voir avec R2P et la Résolution 1973 des Nations Unies, vivait dans une unité de soins intensifs.

L'OTAN a fait précéder « Sirène » avec des bombardements massifs de Zawiya - la principale ville de raffinerie du pétrole à 50 kilomètres à l'ouest de Tripoli. Cela a coupé l'alimentation de pétrole de Tripoli. Selon l'OTAN elle même, au moins la moitié des forces armées de la Libye a été « dégradée » - jargon du Pentagone pour morts ou gravement blessés. Cela signifie des dizaines de milliers de morts. Cela explique aussi la disparition mystérieuse des 65.000 soldats en charge de la défense de Tripoli. Et voilà qui explique aussi en grande partie pourquoi le régime de Kadhafi, a pouvoir pendant 42 ans, s'est écroulé en environ 24 heures.

La Sirène de l'OTAN - après 20.000 raids aériens, et plus de 7.500 attaques contre des objectifs à terre - ft rende possible seulement par une décision cruciale du gouvernement de Barack Obama au début de juillet, facilitant, comme l'a informé The Washington Post, « le partage des matériels les plus délicats avec l'OTAN, y compris les images et les interceptions de signaux qui peuvent être fournis aux forces d'opérations spéciales britanniques et françaises sur le terrain en plus des pilotes dans l'air ».

Cela signifie que, sans le savoir faire sans égal de puissance de feu, des satellites et drones, du Pentagone, l'OTAN serait encore impliquée dans l'Opération Bourbier pour Toujours - et une victoire importante ne pourrait pas profiter du gouvernement d'Obama dans ce drame « cinétique ».

Qui sont ces gens ?

Qui sont ceux qui ont subitement éclaté de joie sur les écrans de télévision des Etats-Unis et européens ? Après les sourires devant les caméras et les coups de feu de kalachnikovs vers le ciel, il faut se préparer pour des grands feux d'artifice fratricides.

Il est sûr qu'éclateront des problèmes ethniques et tribaux. Nombre de Berbères des montagnes occidentales, qui sont rentrés dans Tripoli depuis le sud ce dernier week-end - sont des salafistes du noyau dur. Le même de la nébuleuse de Frères Musulman/salafistes de la Cyrénaïque qui ont été instruits par les hommes du terrain de la CIA. Bien que ces fondamentalistes « utilisent » des Européens et des USAméricains pour s'approcher du pouvoir, ils peuvent devenir une terrible force de guérilla s'ils sont marginalisés par les nouveaux maîtres de l'OTAN.

Une grande « révolution » basée au Benghazi, vendue par l' Occident comme si c'était un mouvement populaire, a toujours été un mythe. il y a seulement deux mois les « révolutionnaires » armés étaient à peine 1.000. La solution de l'OTAN fut de créer une armée mercenaire - en incluant toute espèce de sujets pas fréquentables, depuis les ex-membres d'escadrons de la mort colombiens aux recruteurs du Qatar et des Émirats Arabes Unis (EAU) qui ont cherché de nombreux chômeurs tunisiens et gens de tribus mécontentes avec Tripoli. Tous ceux-ci, en dehors de l'escadron des mercenaires de la CIA- salafistes à Bengasi et à Derna - et de l'escadron de la Maison de Saud - la bande de des frères Musulmans.

Il est difficile de ne pas se souvenir de la bande de trafiquants de drogue de l'UCK au Kosovo - la guerre que l'OTAN a « gagnée » aux Balkans. Ou des Pakistanais et saoudiens, qui avec l'appui des Etats-Unis, ont armé les « combattants de la liberté » de l'Afghanistan dans les années quatre-vingt.

Et ensuite il y a eu, le casting suspect des personnages du Conseil national de la Transition (TNC, par ses initiales en anglais) basé à Benghazi.

Leur chef, Mustafa Abdel-Jalil, Ministre de la Justice de Kadhafi dès 2007 jusqu'à sa démission le 26 février 2011, a étudié la Sharia et le droit civil à l'Université de Libye. Cela lui permettra de croiser la rhétorique avec les fondamentalistes islamiques à Benghazi, El-Beïda et à Derna - mais il pourrait utiliser ses connaissances pour défendre leurs intérêts dans une répartition du pouvoir.

En ce qui concerne Mahmud Jibril, président du conseil exécutif du TNC, il a étudié à l'Université du Caire et ensuite à l'Université de Pittsburgh. C'est la connexion quatari clé - après avoir été partie prenante dans la gestion d'actifs pour Sheikha Mozah, l'épouse ultra influente de l'émir du Qatar.

Il y a aussi le fils du dernier monarque de la Libye, le roi Idris, déposé par Kadhafi il y a 42 ans (sans bain de sang) ; cela enchanterait la maison de sad, une nouvelle monarchie au Nord de l'Afrique. Et le fils d'Omar Mukhtar, le héros de la résistance contre le colonialisme italien - un personnage plus laïque.

Le nouvel Irak ?

Cependant, croire que l'OTAN gagnerait la guerre et permettrait que les « rebelles » contrôlent le pouvoir est une blague. Reuters a déjà informé qu'une « force de transition » d'environ 1.000 soldats du Qatar, des Émirats et de la Jordanie arrivera à Tripoli pour faire la police. Et le Pentagone fait savoir que les militaires d'Etats-Unis seront sur le terrain pour « aider à sécuriser les armes ». Un joli coup qui implique déjà qui sera réellement en poste : les néocolonialistes « humanitaires » plus leurs serviles agents arabes.

Abdel Fatah Younis, le commandant « rebelle » assassiné par les rebelles eux mêmes, était un agent des services français d'intelligence. Il a été tué par la faction des Frères Musulmans - précisément quand le Grand Libérateur Arabe Sarkozy essayait de négocier une étape finale du jeu avec Said, le fils de Kadhafi de la Londres School of Economics qui a ressuscité depuis.

Par conséquent les grands gagnants sont finalement Londres, Washington, la Maison de Saud et les qataries (qui ont envoyé des jets et « des conseillers », et qui gèrent déjà les ventes de pétrole). Avec une mention spéciale pour le complexe Pentagone/OTAN - puisque Africom établira finalement sa première base en sol africain sur la Méditerranée, et que l'OTAN est à un pas de déclarer que la Méditerranée est un « Mare Nostrum de l'OTAN ».

Islamisme ? Tribalisme ? Cela pourrait être les moindres maux de la Libye en comparaison d'un nouveau parc d'attraction ouvert au néolibéralisme. Il y a peu de doutes que les nouveaux maîtres occidentaux n'essayent de ressusciter une version plus amicale de la, corrompue, Autorité Provisoire de la Coalition (CPA) de l'Irak, en transformant la Libye en noyau dur d'un rêve néolibéral de la propriété totale des ressources libyennes, rapatriement total de bénéfices, des multinationales occidentales avec le même statut légal que les entreprises locales, les banques étrangères qui achèteront les banques locales et un très bas taux d'imposition sur le revenu et sr les bénéfices pour les multinationales.

Pendant ce temps, la fracture profonde entre le centre (Tripoli) et la périphérie pour le contrôle des ressources énergétiques s'enflammera. BP, Total, Exxon, tous les géants pétroliers occidentaux seront récompensés avec gratitude par le « Conseil de Transition » - au détriment des compagnies chinoises, russes ou indiennes. Les troupes de l'OTAN sur le terrain aideront certainement le Conseil à garder la ligne.

Les dirigeants pétroliers estiment que cela prendra au moins un an jusqu'à que la production du pétrole revienne aux niveaux précédents la « guerre civile » de 1,6 million de barils par jour, mais ils disent que les bénéfices annuels du pétrole pourraient alimenter les nouveaux gouvernants de Tripoli d'environ 50.000 millions de dollars par an. La majorité des calculs indiquent des réserves de pétrole de 46.400 millions de barils, 3 % des réserves mondiales et avec une valeur d'environ 3,9 milliards de dollars à l'actuel prix de pétrole. Les réserves connues de gaz sont d'environ de 1,52 milliards de mètres cubes [5 milliards de pieds cubes].

Par conséquent R2P a fini par gagner. L'impérialisme humanitaire gagne. Les monarchies arabes gagnent. L'OTAN comme gendarme mondial gagne. Le Pentagone gagne. Mais même cela ne suffit pas aux habituels suspects impériaux - qui appellent déjà à déployer une « force de stabilisation ». Et tout cela tandis que les progressistes perdus dans la trame d' une variété de latitudes continuent de saluer la Sainte Alliance du néo-colonialisme occidental, des monarchies arabes ultra réactionnaires et de salafistes du noyau dur.

Il n'aura pas de fin tant que chante la grosse dame Arabe. En tout cas, jusqu'au prochain arrêt : Damas.

Titre et un article original  :  Welcome to Libya's « democracy »

Pepe Escobar ©  Asia Times. Chine, le 24 août 2011.

Traduit de l'anglais pour El Correo par :  Estelle et Carlos Debiasi

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 El Correo . Paris, le 25 août 2011.

Notes

[1]  The Big Gaddafi. Asie Times, 20 Août 2011.

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