29/06/2011 bastamag.net  5min #54606

 La jeunesse sénégalaise recourt à l'émeute pour faire plier l'oligarchie

Le Sénégal au bord de l'embrasement

Indignés africains

Par  Benjamin Sourice (28 juin 2011)

Suite aux émeutes du 23 juin, le collectif « Y'en a marre » a appelé au calme et demandé aux autorités de respecter la Constitution. Malgré ce discours d'apaisement, de nouveaux troubles agitent la région de Dakar, soumise aux coupures d'électricité pendant que l'armée se déploie dans les rues.

« Le 23 juin 2011, notre peuple s'est levé, uni et déterminé, pour briser les chaînes du fatalisme et protéger son choix : la République et la Démocratie ! » C'est sur ces mots, prononcés juste après l'hymne national, que le Collectif Y'en a marre débute sa « déclaration du 27 juin ». Depuis sa création en janvier 2011 par des rappeurs [1], le collectif a fédéré l'énergie de tous ceux qui « ne supportent plus la gestion calamiteuse du pays ». Dans une rafale verbale dont les rappeurs ont le secret, le collectif brocarde « les violations des libertés démocratiques, les coupures quotidiennes d'électricité, les hausses incessantes du coût de la vie, les campagnes agricoles chaotiques, la crise scolaire chronique, l'impasse de la santé et de la justice... ».

« Nous sommes un mouvement citoyen de veille républicaine, nous sommes des sentinelles de la démocratie et souhaitons remettre le Sénégalais au coeur de la politique de son pays, » explique le journaliste Cheikh Fadel Barro, porte-parole du groupe. Les membres de Y'en a marre se définissent comme « des esprits contestataires, des messagers anonymes qui vont de porte en porte pour inciter les Sénégalais à assumer leur responsabilité et à prendre leur carte d'électeur ».

« Touche pas à ma Constitution »

Le 23 juin, les Sénégalais étaient  descendus dans la rue pour s'opposer au projet du Président Wade de modifier la Constitution sénégalaise afin d'instituer « une majorité absolue à 25%, » permettant à un candidat d'accéder dès le premier tour au poste de Président s'il obtenait le quart des suffrages exprimés. Après le retrait complet du projet, la nouvelle bataille du collectif est la reconnaissance de « l'inconstitutionnalité de la candidature de M. Abdoulaye Wade à l'élection présidentielle de 2012 ».

Abdoulaye Wade, officiellement 85 ans, a accompli deux mandats consécutifs. Il avait annoncé dès 2009 sa volonté de briguer à nouveau la présidence, en contradiction avec la Constitution limitant à deux les mandats présidentiels. L'opposition le suspecte de vouloir imposer par la suite son fils, Karim Wade. « Les membres du Conseil constitutionnel doivent prendre leur responsabilité et demander au Président Wade de respecter la constitution en retirant sa candidature », tonnent les rappeurs durant la conférence de presse télévisée de ce 27 juin.

« Le changement par les urnes, pas le feu ! »

Extraordinairement posés et calmes, dans ce contexte de surchauffe générale, les porte-paroles du groupe ne souhaitent pas « embraser le pays comme en Tunisie », et rappellent que les échéances électorales de 2012 sont « une opportunité pour les jeunes de se réapproprier leurs institutions démocratiques en allant s'inscrire sur les listes électorales ». Un combat stratégique de première importance lorsque l'on sait qu'en 2010 seulement 12% des 18-22 ans étaient enregistrés sur les listes, soit une réserve de plus d'un million de voix d'après un audit international (le Sénégal compte 14 millions d'habitants dont la moitié a moins de 18 ans).

Les membres féminins du collectif mènent également une campagne stratégique dans la région de Pikine pour inciter les femmes « à ne plus vendre leur vote pour un sac de riz ou des cadeaux de pacotille ». « Les femmes doivent se réapproprier leur destin et retrouver leur fierté de Sénégalaises ! », s'exclame Fatou, animatrice de rue. Refusant d'être assimilés à un quelconque parti de l'opposition, les membres du collectif n'excluent pas pour autant de « jouer un rôle éclairant sur les futurs candidats, de commenter leurs programmes ou de dénoncer ceux qui cherchent à tromper la jeunesse », avertit Cheikh Fadel Barro à la tribune.

Risque du survoltage face au black-out

Face à l'exaspération de la population, ce discours républicain et responsable pourrait atteindre ses limites. Quelques heures après la conférence de presse, de violentes émeutes spontanées ont eu lieu dans plusieurs villes de la banlieue dakaroise suite aux coupures d'électricité prolongées de ces derniers jours. Plusieurs sièges de la Sénélec, la compagnie sénégalaise d'énergie, ont été saccagés dans la nuit. Les maisons de plusieurs ministres ont également fait l'objet d'attaques ciblées, entraînant dans la nuit le déploiement de l'armée pour riposter aux émeutiers. Par ailleurs, les étudiants protestent contre le retard du paiement des bourses universitaires, phénomène qui touche également les salaires de certains fonctionnaires. Le collectif Y'en a marre met « en garde les autorités contre les intimidations et la violence » en appelant les forces de l'ordre « à maîtriser les bavures individuelles » dans ses rangs afin d'éviter « une dérive aux conséquences incalculables ». Dans cette ambiance survoltée, le Président Wade saura-t-il réagir raisonnablement pour éviter l'embrasement général qui menace le Sénégal ?

Benjamin Sourice

Photos : © Benjamin Sourice

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Notes

[1] Le groupe Keur Gui, appuyés par Fou Malade et Simon.

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