Par Ali Abunimah
Ali Abunimah est l'auteur de "One Country : A Bold Proposal to End the Israeli-Palestinian Impasse" et il a contribué à "The Goldstone Report : The Legacy of the Landmark Investigation of the Gaza Conflict". Il est co-fondateur du site en ligne "The Electronic Intifada" et conseiller politique à Al-Shabaka, The Palestinian Policy Network.
Que faites-vous si votre campagne, qui dure depuis des décennies, pour parvenir à un État indépendant sur ces fractions de la Palestine historique connues sous les noms de Cisjordanie et Bande de Gaza a abouti à un échec total ? La réponse semble être, si vous êtes une Autorité palestinienne sous perfusion financière occidentale, à Ramallah sous occupation israélienne, de prétendre avoir un État palestinien envers et contre tout, et d'obtenir qu'autant d'autres pays possibles se joignent à cette mascarade.
Ceci semble être l'essence de la stratégie de l'Autorité palestinienne pour obtenir l'admission de l'"État de Palestine" à l'Assemblée générale des Nations Unies en septembre.
L'AP a déjà lancé son lobbying pour que des pays soutiennent son initiative et, ces derniers mois, plusieurs États, en particulier en Amérique latine, ont offert une pleine reconnaissance diplomatique à l'autorité de Ramallah. Le New York Times a cité des diplomates disant que si elle était présentée au vote de l'Assemblée générale des Nations Unies, la mesure serait probablement adoptée.
Un État "imaginaire"
La poussée de l'AP pour la reconnaissance d'un État palestinien est la contre-partie diplomatique de sa "construction des institutions" et ses efforts de "développement économique" tant vantés, qui sont censés créer l'infrastructure d'un futur État.
Mais le programme de construction des institutions n'est qu'un mirage, dopé à coup de relations publiques et de bonne presse.
En fait, les principales "institutions" que l'AP a édifié sont l'appareil de police d'État et les milices, utilisés pour réprimer l'opposition politique et toute forme de résistance à l'occupation israélienne. Pendant ce temps, l'économie de la Cisjordanie, et l'AP elle-même, restent totalement dépendantes de l'aide étrangère.
La reconnaissance par les Nations Unies d'un semblant d'État palestinien n'aurait pas plus de sens que cette "construction d'institutions" chimérique, et pourrait éloigner encore davantage les Palestiniens d'une réelle libération et de l'autodétermination.
Des personnalités de l'AP de Ramallah ont justifié leur stratégie de reconnaissance par les Nations Unies comme un moyen de pression internationale sur Israël.
"Cette reconnaissance créerait une pression politique et juridique sur Israël pour qu'il retire ses forces de la terre d'un autre État reconnu dans les frontières de 1967," a dit en janvier à des journalistes le "ministre des affaires étrangères" de Ramallah, Riyad al-Malk.
De même, Nabil Shaath, responsable Fatah de haut niveau, a expliqué au New York Times que si les Nations Unies reconnaissaient un État palestinien, "Israël serait alors en infraction quotidienne aux droits d'un État membre collègue, et des conséquences diplomatiques et juridiques s'ensuivraient, ce qui serait douloureux pour Israël."
Mais qui peut croire, après avoir constaté comment fonctionne la "communauté internationale" dès qu'il s'agit d'Israël, à une expectative aussi illusoire ?
Le Liban est membre des Nations Unies depuis 1945 et cela n'a pas empêché Israël d'occuper le sud du pays de 1978 à 2000. L'occupation israélienne du Liban n'a pas pris fin à cause d'une quelconque pression internationale, mais seulement parce que la résistance libanaise a chassé Israël et ses milices collaborationnistes.
Depuis son bombardement massif du Liban en 2006, Israël a violé la souveraineté du Liban des milliers de fois, selon les Nations Unies elles-mêmes. Mais ces survols constants de l'espace aérien libanais et l'enlèvement de citoyens libanais, parmi autres violations, n'ont jamais suscité de "conséquences diplomatiques et juridiques" qui obligent Israël à rendre des comptes.
De même, depuis 1967, Israël occupe les Hauts du Golan, qui appartiennent à la Syrie (elle aussi membre des Nations Unies depuis 1945). Il n'y a eu pratiquement aucune résistance armée sur les Hauts du Golan pas plus que de pression internationale pour qu'Israël se retire ou que les réfugiés syriens rentrent chez eux. Même après qu'Israël ait annexé illégalement le territoire en 1981, annexion condamnée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies, le silence de la "communauté internationale" a permis à la colonisation israélienne des Hauts du Golan de se poursuivre sans relâche.
Pourquoi la situation dans l'"État de Palestine" serait-elle différente ?
Des victoires "sur le papier"
L'acharnement à obtenir la reconnaissance diplomatique d'un État palestinien imaginaire sur une fraction de la Palestine historique est la stratégie désespérée de dirigeants palestiniens qui n'ont plus d'options, qui ont perdu leur légitimité et qui sont devenus un obstacle sérieux sur la route des Palestiniens pour recouvrer leurs droits.
Compter fortement sur les tribunes diplomatiques et la bonne volonté de la "communauté internationale" a été tenté auparavant et n'a donné aucun résultat. Rappelons-nous qu'en 2004, l'AP a déployé d'énormes efforts pour obtenir l'avis consultatif de la Cour Internationale de Justice (CIJ) à La Haye que le mur d'apartheid d'Israël en Cisjordanie est illégal et qu'il doit être démantelé.
Mais à part l'obtention de l'avis, l'AP n'avait absolument aucune stratégie de mobilisation des Palestiniens et de leurs alliés pour faire pression sur le monde et faire appliquer la décision. Ce fut une victoire sur le papier qui n'a entraîné aucun changement sur le terrain.
Il existe en effet des preuves importantes que tandis que le corps diplomatique et les négociateurs de l'AP s'affairaient à La Haye, la direction cherchait à étouffer les tentatives des organisations de la société civile palestinienne en Cisjordanie et à Jérusalem Est de s'organiser pour attirer l'attention sur l'avis de la CIJ, presque certainement suite à des pressions d'Israël et des Etats-Unis.
Le gouvernement d'une "Palestine indépendante" toujours sous occupation israélienne et dépendante de l'aide des États-Unis et de l'Union Européenne sera-t-il capable de supporter une pression similaire à l'avenir ? Les résultats de l'AP à ce jour ne poussent pas à l'optimisme.
Malgré tout, l'avis consultatif de la CIJ a eu une conséquence importante. Ce ne sont ni l'AP ni la défunte OLP qui ont commencé à se mobiliser.
Au milieu de l'inertie des gouvernements du monde à appliquer la décision de la CIJ, la société civile palestinienne a diffusé, en toute indépendance, l'appel palestinien de 2005 au boycott, au désinvestissement et aux sanctions (BDS).
Cette campagne vise à isoler Israël et à le contraindre à respecter les droits palestiniens et le droit international par des boycotts populaires semblables à ceux qui ont contribué à mettre fin à l'apartheid en Afrique du Sud.
Plutôt que de fétichiser le "statut d'État", la campagne BDS met l'accent sur les droits et les réalités : elle appelle à la fin de l'occupation et de la colonisation israéliennes de toutes les terres arabes conquises en 1967, la pleine égalité pour les citoyens palestiniens d'Israël et le respect et l'application des droits des réfugiés palestiniens. Ces exigences sont toutes pleinement conformes à la Déclaration universelle des droits de l'homme et au droit international.
L'Autorité palestinienne n'a jamais approuvé cette campagne et, en fait, a cherché à en détourner l'attention et la saper en appelant seulement, et avec réticence, à un boycott des produits des colonies israéliennes tout en faisant la promotion active du commerce avec Israël, en infraction avec l'appel BDS.
Des bantoustans "nouvelle formule"
Beaucoup ont comparé, à juste titre, l'"État" palestinien envisagé par l'AP et ses sponsors aux "bantoustans" de l'Afrique du Sud de l'apartheid.
Les bantoustans étaient des États nominalement indépendants mis en place par le régime d'apartheid pour accorder une "citoyenneté" aux noirs, une façon de faire capoter leurs exigences à une véritable égalité.
Les gouvernements mondiaux ne sont pas tombés dans le panneau et ont refusé de reconnaître les bantoustans parce qu'ils avaient compris que la reconnaissance diplomatique de ces entités ferait reculer la lutte pour mettre fin à l'apartheid sud-africain.
Le seul pays, et ce n'est pas une coïncidence, à avoir eu des relations avec les bantoustans - les autorisant à ouvrir des missions diplomatiques et recevant souvent leurs dirigeants - fut Israël. Israël a vu les bantoustans comme le modèle de la façon dont il gèrerait, un jour, les Palestiniens.
La reconnaissance d'un "État" palestinien sous occupation israélienne consoliderait certainement et perpétuerait les privilèges et les positions des dirigeants non élus de l'AP, tout en ne changeant rien à la situation ni à la restauration des droits de millions de Palestiniens, non seulement dans les territoires occupés lors de la guerre de juin 1967, mais à l'intérieur d'Israël, et en diaspora.
Loin d'accentuer une pression internationale sur Israël, cela pourrait même permettre à des États, qui ont totalement manqué à leur devoir de faire rendre compte à Israël eu égard au droit international, de se laver les mains sur la question de la Palestine, sous le mantra de "Nous avons reconnu la Palestine, que voulez-vous que nous fassions de plus ?"
Les Palestiniens et leurs alliés ne doivent pas se laisser abuser par ce théâtre international de l'absurde, mais doivent se focaliser sur la construction de campagnes BDS plus larges et plus poussées pour en finir avec l'apartheid israélien partout où il existe, une bonne fois pour toutes.
Source : Al Jazeera
Traduction : MR pour ISM