Par Haidar Eid
Haidar Eid est professeur agrégé de littérature postcoloniale et postmoderne à l'Université al-Aqsa de Gaza. Il a beaucoup écrit sur le conflit israélo-arabe, dont des articles publiés sur Znet, Electronic Intifada, Palestine Chronicle, et Open Democracy, ainsi que des articles sur les études culturelles et la littérature dans un certain nombre de revues, Nebula, Journal of American Studies en Turquie, Cultural Logic, et le Journal of Comparative Literature.
L'"euphorie" qui caractérise la couverture médiatique de la prochaine déclaration d'un Etat palestinien indépendant en septembre ignore les sombres réalités du terrain et les mises en garde des commentateurs critiques. Décrire cette déclaration comme une "percée" et un "défi" au défunt "processus de paix" et au gouvernement de droite d'Israël sert à obscurcir la négation continue d'Israël des droits palestiniens tout en renforçant le soutien implicite de la communauté internationale à un Etat d'apartheid au Moyen-Orient.
"L'archipel de Palestine orientale" - carte imaginée et produite par Julien Boussac à partir des documents du Bureau de coordination pour les Affaires humanitaires dans les territoires palestiniens (OCHA) et de l'association B'Tselem - Atlas du Monde Diplomatique, 2009
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Le mouvement pour la reconnaissance est mené par Salam Fayyad, le Premier ministre désigné par l'Autorité palestinienne sise à Ramallah. Il est basé sur la décision prise pendant les années 1970 par l'Organisation de Libération de la Palestine (OLP) d'adopter le programme plus souple d'une "solution de deux Etats". Ce programme soutient que la question palestinienne, l'essence du conflit arabo-israélien, peut être résolue par l'établissement d'un "Etat indépendant" en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, avec Jérusalem Est comme capitale. Dans ce programme, les réfugiés palestiniens reviendraient dans l'Etat de "Palestine" mais pas dans leurs maisons en Israël, qui se définit lui-même comme "l'Etat des Juifs". Pourtant, "indépendance" ne traite pas avec cette question, pas plus qu'elle ne porte les appels des 1,2 million de citoyens palestiniens d'Israël à transformer leur lutte en un mouvement anti-apartheid puisqu'ils sont traités comme des citoyens de troisième classe.
Tout ceci est censé être mis en place après le retrait des forces israéliennes de Cisjordanie et de Gaza. Ou sera-ce simplement un redéploiement des forces, comme on l'a vu pendant la période Oslo ?
Pourtant, les partisans de cette stratégie affirment que l'indépendance garantit qu'Israël traitera avec les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie comme un seul peuple, et que la question palestinienne peut être résolue conformément au droit international, satisfaisant ainsi les droits politiques et nationaux minima du peuple palestinien. Oubliez le fait qu'Israël a pas moins de 573 barrages et checkpoints permanents en Cisjordanie occupée, ainsi que 69 checkpoints "volants" supplémentaires ; de même que vous voulez peut-être aussi ignorer le fait que les colonies existantes "exclusivement juives" contrôlent plus de 50% de la Cisjordanie.
A la Conférence de Madrid de 1991, le gouvernement de faucons du premier ministre israélien de l'époque Yitzhak Shamir n'avait même pas accepté le "droit" palestinien à l'autonomie administrative. Cependant, avec l'arrivée du gouvernement de colombes Meretz/travaillistes, dirigé par Yitzhak Rabin et Shimon Peres, la direction de l'OLP a mené des négociations "en coulisses" en Norvège. En signant les Accords d'Oslo, Israël a été soulagé du fardeau de l'administration de Gaza et de sept villes surpeuplées de Cisjordanie. La première intifada a pris fin par une décision officielle - et secrète - de l'OLP sans qu'aient été réalisés ses objectifs nationaux intérimaires, à savoir "la liberté et l'indépendance", et sans le consentement du peuple que l'organisation était censée représenter.
Cette même idée d'"indépendance" fut jadis rejetée par l'OLP parce qu'elle n'abordait pas les "droits minima légitimes" des Palestiniens et parce qu'elle était l'antithèse de la lutte palestinienne de libération. Ce qui est proposé à la place de ces droits est un Etat qui n'en a que le nom. En d'autres termes, les Palestiniens doivent accepter une pleine autonomie sur une fraction de leur terre, et ne plus jamais penser à une souveraineté ou à un contrôle des frontières, des réserves d'eau, et, plus important, au droit des réfugiés. C'était ça, l'accord d'Oslo, et c'est ça aussi, la "Déclaration d'Indépendance" envisagée. Pas étonnant, dans ces conditions, que le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu ait clairement dit qu'il pourrait accepter un Etat palestinien par la négociation.
Pas plus que cette déclaration ne promet d'être conforme au plan de partage des Nations Unies de 1947, qui garantissait aux Palestiniens seulement 47% de la Palestine historique, bien qu'ils constituaient plus des deux-tiers de la population. Une fois déclaré, le futur Etat palestinien "indépendant" occupera moins de 20% de la Palestine historique. En créant un bantoustan et en l'appelant "Etat viable", Israël se débarrassera du fardeau de 3,5 millions de Palestiniens. L'AP exercera le pouvoir sur un nombre maximum de Palestiniens sur un nombre minimum de morceaux de terre - morceaux que nous appellerons "l'Etat de Palestine". Cet "Etat" sera reconnu par des dizaines de pays - les chefs tribaux des bantoustans honteux d'Afrique du Sud doivent être jaloux !
Tout ce qu'on peut supposer, c'est que l'"indépendance" tant discutée et célébrée renforcera simplement le même rôle que celui que l'AP a joué sous Oslo, à savoir fournir des mesures policières et sécuritaires destinées à désarmer les groupes de la résistance palestinienne. C'était les premières exigences faites aux Palestiniens à Oslo en 1993, à Camp David en 2000, à Annapolis en 2007 et à Washington l'année dernière. Entre temps, dans ce cadre de négociations et d'exigences, aucun engagement ni obligation n'est imposé à Israël.
Tout comme les Accords d'Oslo ont signifié la fin de la résistance populaire et non violente de la première intifada, cette déclaration d'indépendance a un objectif similaire : mettre fin au soutien international grandissant pour la cause palestinienne depuis l'assaut israélien de l'hiver 2008-2009 sur Gaza et son attaque sur la Flottille de la Liberté en mai 2010. Pourtant, elle est loin de fournir aux Palestiniens la protection et la sécurité minimales contre toutes futures attaques et atrocités israéliennes. L'invasion et le siège de Gaza furent le produit d'Oslo. Avant la signature des Accords d'Oslo, Israël n'avait jamais fait usage de son arsenal complet de F-16, de bombes au phosphore et d'armes DIME (Dense Inert Metal Explosive) pour attaquer les camps de réfugiés à Gaza et en Cisjordanie. Plus de 1200 Palestiniens ont été tués de 1987 à 1993 pendant la première intifada. Israël a éclipsé ce chiffre pendant ses trois semaines d'invasion en 2009 ; il a réussi à en tuer brutalement plus de 1400 dans la seule Bande de Gaza. Et cela n'inclut pas les victimes du siège israélien en place depuis 2006, qui a été marqué par des fermetures et des attaques répétées avant et depuis l'invasion de Gaza.
En fin de compte, ce que cette "déclaration d'indépendance" envisagée offre au peuple palestinien est un mirage, une "patrie indépendante" qui est un bantoustan déguisé. Bien que reconnu par tant de pays amis, il n'apportera aux Palestiniens ni la liberté ni la libération. Le débat critique - contrairement au débat tendancieux, démagogique - nécessite un examen des distorsions de l'histoire au travers des déformations idéologiques. Ce qui doit être abordé, c'est une perspective humaine historique des questions palestiniennes et juives, une perspective qui ne nie jamais les droits d'un peuple, qui garantit une égalité totale et abolit l'apartheid - au lieu de reconnaître un nouveau bantoustan 17 ans après la chute de l'apartheid en Afrique du Sud.
Source : Al Shabaka
Traduction : MR pour ISM