12/02/2011 info-palestine.net  5min #49299

 Moubarak a dégagé, un dictateur en moins dans le monde arabe

Une petite ville égyptienne aux senteurs de liberté

Le Caire (IPS) - S'adressant aux fidèles réunis dans la mosquée Eisa, située en plein centre de la ville rurale de Kirdassa, l'Imam Mohammed Al-Saba confie que c'est la première fois depuis trente ans qu'il parvient à sentir « la brise de la liberté ».

Emad Mekay - The Electronic Intifada


Alexandrie, décembre 2010 après l'attentat meurtrier contre une église chrétienne - La police égyptienne, aussi nombreuse et brutale qu'elle ait pu l'être, a fini par céder le terrain devant la révolte populaire - Photo : Amr Abdallah Dals/Reuters

« Il y a une semaine, je n'avais pas été en mesure de dire ce que j'ai prononcé aujourd'hui » poursuit-t-il devant des centaines d'habitants de la ville, rassemblés dans la mosquée, à 23 kilomètres à peine au sud de la place Tahrir où des dizaines de milliers avaient lancé un appel pour le départ immédiat du Président Hosni Moubarak.

« Mes prêches et tout ce que je dis à l'intérieur de la mosquée avaient été, pendant plusieurs années et même la semaine dernière, sujets à un contrôle au préalable par la police secrète. Aujourd'hui, grâce à la prise de conscience de la jeunesse égyptienne qui a tenu à s'exprimer, je n'ai pas été contraint de le faire. »

A ce titre, l'Imam retrace aux fidèles ces longues années où les mosquées avaient été contrôlées en mettant sous surveillance ceux qui les visitaient ou les fréquentaient. Il conclut : « Il y a une fin à tout, même l'injustice finit par être abolie. Les oppresseurs ne sont pas les seigneurs du monde ; seul Allah l'est ».

De l'autre côté de la rue où se situe la mosquée centrale se dresse l'immeuble qui abrite le commissariat de police de la ville, désormais carbonisé et réduit en cendres. En face, un autre immeuble, celui de Amn Al-Dawla, c'est-à-dire les bureaux de la police secrète qui, la semaine écoulée, n'a pas été épargné lui aussi des incendies deux jours durant. La scène actuelle montre des enfants en train de jouer à l'extérieur des portes en fer.

Pour commenter cette scène, le propriétaire d'un magasin situé à quelques rues de là, et qui a tenu à ce qu'on l'appelle Abdelfatah, reconnait que si cette scène avait eu lieu avant, les enfants auraient probablement été battus, insultés ou auraient même été la cause de l'arrestation de leurs parents pour avoir osé jouer près des portes de Amn Al-Dawla.

En effet, ce sentiment de sécurité est le premier exploit né du soulèvement du 25 janvier, suscité par une volonté d'écarter Moubarak du haut d'une pyramide de 85 millions d'habitants.

A présent, la ville continue de fonctionner sans la police et semble être un endroit plus sûr qu'avant.

Dans ce contexte, les révélations de Mustapha Radwan, propriétaire d'un magasin de vente de foulards faits à la main illustrent le changement de situation. Il reconnait : « A présent, nous ne sommes plus confrontés aux mêmes abus de la police. Ils avaient l'habitude de battre les gens et d'user de la force contre quiconque osait s'y opposer ».

Les protestations dans cette ville ont fait cinq morts et des centaines de blessés. Vendredi dernier, après la prière, la rue a accueilli des centaines de personnes qui s'étaient alignées pour un service religieux en hommage aux « martyrs ».

A quelques mètres de la mosquée du centre-ville, des chauffeurs de minibus s'expriment en toute joie et gaieté face à la disparition des forces de l'ordre.

Un des chauffeurs qui a souhaité rester anonyme, raconte : « Les officiers nous obligeaient à les conduire, gratuitement, partout où ils désiraient. Pire encore, il leur arrivait de forcer les passagers à descendre pour qu'ils soient seuls dans le véhicule ». Il poursuit : « Des fois, la journée n'est pas rentable et nous ne gagnons aucun sou, et si nous nous opposons et nous insistons pour qu'ils paient, ils nous saisissent par le col, nous trainent au commissariat de police sous la menace de nous plonger dans une affaire criminelle. Dieu merci, tout cela est à présent fini ».

Dans cette ville, les gens reconnaissent s'être inspirés des protestations de masse ayant caractérisé la journée du 25 janvier à la place Tahrir. « Nous nous sommes vus à travers leur protestation contre le régime en ayant l'impression qu'ils nous représentaient. Nous avons donc agi grâce à leur révolte, à cause de la hausse des prix, du chômage, de l'abus de pouvoir exercé par la police et des élections parlementaires truquées [en référence aux élections du mois de novembre] » confesse Radwan.

Et pour mieux illustrer l'oppression et le malaise vécus, Abdelfatah empoigne sa gorge, ouvre sa bouche et tire sa langue en signe d'étouffement.

Toutefois, ce nouveau vent de soulagement et de délivrance est aussi porteur de nouveaux dangers. Sur le chemin de Kirdassa, les milices pro-Moubarak ont arrêté ce journaliste alors qu'ils fouillaient les véhicules à la recherche de nourriture, et l'ont retenu pendant une heure de temps. Un officier de police en tenue a été appelé et après plusieurs coups de fil, il a donné l'ordre de relâcher le reporter. Des gens rassemblés pestait contre les manifestants anti-Moubarak en lançant, à titre d'exemple : « Les Etats-Unis nous ont trahis » ou encore « Il n'y a pas mieux que Moubarak ».

Par ailleurs, la nervosité et la cruauté des hommes forts de Moubarak sont devenues la marque déposée de ces derniers jours, face à un mouvement pour la démocratie qui ne cesse de gagner du terrain à leur détriment. Ces tactiques d'intimidation n'ont fait qu'éloigner les gens de Moubarak.

Ainsi, ils demandent clairement au public de choisir entre la sécurité et la stabilité garantis par Moubarak, ou bien le chaos, l'insécurité et la famine sans lui.

Les habitants de Kirdassa souffrent réellement. La nuit tombée, ils patrouillent les rues pour faire face à d'éventuelles attaques contre leurs maisons par des prisonniers qui auraient été relâchés par les services de la police même. D'autre part, nombreux sont ceux qui déplorent la situation qui frappe leurs commerce depuis environ deux semaines et avouent ne pas avoir vendu le moindre article aux touristes. Cependant, la majorité admet que c'est le minimum à payer pour la liberté.

« Pendant 13 jours, aucun touriste n'est venu faire des achats chez nous ; ce n'est guère une mince affaire pour nos commerces et nos enfants » explique Abdelfattah. Il poursuit : « Nous avons atteint un stade de non retour et ce n'est pas à cause de l'argent que nous ferons marche arrière. Avec un peu de patience et de temps, Moubarak partira et le calme s'installera de nouveau. Le jour où nous élirons l'homme de notre choix, le jour où nous serons finalement libres, c'est ce jour là que nous renouerons avec le tourisme qui sera dix fois meilleur qu'aujourd'hui »

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