Egypte
Alors que les appels à manifester ne trouvent généralement écho que dans les rangs des activistes, des Égyptiens de tous genres sont, depuis mardi, dans les rues.
par Najet Belhatem
(28 janvier 2011)
Depuis mardi dernier, premier jour du mouvement de protestation, Le Caire baigne dans une étrange atmosphère. Comme si rien n'avait changé et qu'en même temps, beaucoup de choses sont en train de changer.
La ville continue sa course folle de grande mégalopole. Mais une étincelle est venue exciter ce corps tentaculaire qui porte en lui, depuis des années, une colère sourde. Une étincelle qui a allumé des feux de joie et de rage. « Certains manifestants semblent fous tellement ils jubilent et n'arrivent pas à terminer leurs phrases. Comme s'ils venaient de sortir la tête de l'eau pour reprendre leur souffle », lance Doa, journaliste égyptienne ayant rejoint les rangs des manifestants.
Personne ne s'attendait à un tel raz-de-marée dans un pays où, ces dernières années du moins, les appels à manifester ne sont en général suivis que par une poignée d'activistes.
« Depuis le début des manifestations, il y a de tout. Des femmes avec leurs enfants, des vieux, des jeunes avec leurs ordinateurs portables. Mardi dernier, une femme au foyer était là au milieu du rassemblement et disait au téléphone "Ne t'inquiète pas pour moi, toute l'Égypte est avec moi ici !". Des gens chantaient, des gens déclamaient des poèmes. Je n'avais jamais vu ça ! » raconte Ahmad, un sexagénaire dont l'appartement donne sur la place Tahrir où ont eu lieu les premiers rassemblements du 25 janvier. Un appartement qui est devenu un refuge pour les protestataires qui comptaient dormir sur la place, et on dû fuir quand les forces de l'ordre ont commencé à tirer des grenades lacrymogènes. « Tous scandaient en choeur : "Le peuple veut la chute du régime !" Même quand il y avait l'appel à la prière, ils n'arrêtaient pas ! » poursuit-il.
« J'ai décidé de descendre manifester parce que je sens en moi une grande frustration. C'est la première fois que je manifeste, j'ai senti qu'il fallait que je fasse quelque chose pour mon pays ! » commente Ghada, une Égyptienne de 25 ans. « J'ai vu tous ces jeunes, je me suis jointe à eux. C'est la première fois que je participe à une manifestation et cela me plaît. Mais je ne sais pas où cela va aboutir. Si ce régime part, qui viendra à la place ? » lance une jeune femme résidant à proximité de la place Tahrir.
Au troisième jour de protestation, les Égyptiens étaient rivés, hier, aux informations. Au Caire, des manifestations spontanées éclatent depuis mercredi dans différents quartiers. Des jeunes sortent et se heurtent aux forces de l'ordre dans un jeu du chat et de la souris.
Sur son site Facebook, Rassd news network, qui suit le mouvement depuis le 24 janvier, met en ligne des informations sur les manifestations. Des internautes tunisiens donnent des conseils sur la manière de faire face au gaz lacrymogène ou sur les meilleurs moments pour manifester.
Le « Mouvement du 6 avril », un groupe militant égyptien pour la démocratie, annonce avoir distribué plus de 20 000 tracts appelant à manifester aujourd'hui. Une journée baptisée : « le vendredi de la révolution contre la corruption, l'injustice, le chômage, la torture ». Un appel reçu cinq sur cinq par Chahinaz. « J'irai manifester demain (vendredi) à Zamalek. Malgré la répression, j'ai envoyé des SMS à toutes mes connaissances », explique cette cadre dans une compagnie de téléphonie mobile qui a commencé à s'intéresser à ce qui se passe sur la scène politique depuis mardi dernier.
Les matchs de foot prévus aujourd'hui ont été annulés. Dans les rues, l'activité continue, mais moins frénétique. Dans les esprits, une question tourne : le changement est-il possible ?
Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du CETRI.