20 février par Demba Moussa Dembélé
La validation de la candidature du président Abdoulaye Wade par le Conseil Constitutionnel a créé une situation quasi-insurrectionnelle au Sénégal. La raison réside dans le fait que cette candidature est une violation flagrante de la Constitution sénégalaise. D'ailleurs, après sa réélection en 2007, jugée frauduleuse par l'opposition et une bonne partie de l'opinion, Wade lui-même avait affirmé qu'il ne pouvait pas se représenter en 2012, avant de se dédire publiquement.
Une décision dictée par la corruption et la peur ?
C'est contre l'avis de la quasi-totalité des constitutionnalistes du pays que les juges du Conseil Constitutionnel ont validé la candidature du président Wade. Pour nombre de critiques, cela ne devrait pas étonner, vu la composition du Conseil et les faveurs octroyées par Wade à ses membres. En effet, le président de cette institution, Cheikh Tidiane Diakhaté, a vu son salaire augmenté de façon substantielle par Wade. Selon la presse, lui et les autres membres du Conseil ont récemment reçu des voitures 4x4 flambant neuf et d'autres privilèges. C'est pourquoi certains disent que leur décision est en partie le résultat de cette corruption déguisée.
On peut aussi penser qu'un autre facteur a dû peser dans la décision de Cheikh Tidiane Diakhaté et de ses collègues. Ils ont sans doute dû avoir en mémoire le sort réservé à Me Babacar Sèye, assassiné en 1993 lors des élections présidentielles de cette année-là (NDLR : Il était alors vice-président du Conseil constitutionnel). Comme on le sait, de forts soupçons continuent de peser sur le président Wade, comme étant le principal commanditaire de ce meurtre crapuleux. Ses détracteurs disent que s'il a pu le faire alors qu'il était dans l'opposition, aujourd'hui qu'il est au pouvoir il a tous les moyens de commanditer d'autres meurtres et les maquiller. Une telle pensée a peut-être hanté l'esprit des juges du Conseil constitutionnel lors de leurs délibérations.
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Combien de cadavres faudra-t-il à Wade avant de partir ?
Quoiqu'il en soit, la décision du Conseil constitutionnel a été accueillie par de violentes manifestations à travers tout le pays. En moins d'une semaine, six personnes ont perdu la vie suite aux rassemblements organisés pour protester contre la validation de la candidature de Wade. A part le policier tombé le vendredi 27 janvier, les autres victimes ont été abattues de sang froid par les forces de l'ordre. Ainsi donc Wade a-t-il déjà six morts sur la conscience. Avec la détermination des forces vives de la nation et de la grande majorité du peuple sénégalais, d'autres morts sont à prévoir si Wade persiste à garder sa candidature.
Si Wade a pu dire qu'il ne voulait pas marcher sur des cadavres pour aller au pouvoir, le voilà maintenant en train d'en accumuler pour rester au pouvoir, coûte que coûte et en violation de la Loi fondamentale du pays. Et beaucoup se demandent pourquoi cet entêtement ? Même à supposer que la Constitution lui donne le droit de se présenter à l'élection présidentielle, cela vaut-il la peine de persister en face d'un rejet aussi massif du peuple sénégalais ? Au-delà du problème juridique posé par la candidature de Wade, il y a un problème éthique et moral fondamental. Comment peut-on accepter qu'au 21e siècle un vieillard de près de 90 ans prétende gouverner un pays où plus des deux tiers des habitants ont moins de 40 ans ?
Les chefs religieux (NDLR : Ils détiennent une importante influence sur la classe politique au Sénégal) doivent avoir le courage de regarder Wade en face et de lui dire la vérité : il doit partir pour éviter au pays un bain de sang.
Le jugement de l'histoire
Quoi qu'il arrive maintenant, une chose est déjà sûre, Wade sortira par la petite porte et l'histoire délivrera un jugement sévère sur sa présidence. Après la joie immense ressentie par des millions de Sénégalaises et de Sénégalais le 19 mars 2000 (NDLR : élection de Wade à la présidence de la République), personne n'aurait pensé que l'on vivrait un tel cauchemar. L'histoire retiendra que Wade a profité des acquis démocratiques arrachés de haute lutte par le peuple sénégalais pour accéder au pouvoir pour ensuite chercher à imposer une dévolution monarchique du pouvoir. Ses deux prédécesseurs, Senghor et Abdou Diouf, sont sortis par la grande porte. Senghor avait volontairement abandonné le pouvoir à un âge moins avancé que celui de Wade. Quant à Abdou Diouf il a eu la lucidité et l'élégance de reconnaître sa défaite en 2000 et de transmettre pacifiquement le pouvoir. S'il avait écouté certains faucons de son régime le Sénégal aurait pu vivre des heures sombres et connaître un véritable bain de sang.
Au lieu d'imiter ces deux exemples, voilà qu'Abdoulaye Wade, à près de 90 ans, s'acharne à violer la Constitution pour rester au pouvoir coûte que coûte.
Renforcer et amplifier la résistance populaire
Les six morts que Wade a déjà sur la conscience sont venus s'ajouter aux autres meurtres impunis attribués à son régime. Ce décompte macabre restera à jamais une tache indélébile sur sa présidence. Pour éviter d'allonger la liste des victimes, il faut que le président entende raison et renonce à sa candidature. C'est pourquoi les forces vives du pays ont organisé la résistance populaire contre la violation de la Constitution. Cette résistance légitime doit s'amplifier et avoir le soutien de l'ensemble du peuple sénégalais. Depuis l'aube des temps, les peuples ont toujours eu le droit légitime de résister à la tyrannie et au despotisme. C'est ce que le peuple sénégalais est en train de faire aujourd'hui. Et tout le monde est interpellé.
Wade doit partir. Et il partira parce qu'il a la majorité du peuple sénégalais contre lui. Et les peuples finissent toujours par avoir le dernier mot.
Source : CETRI