12/06/2011 tlaxcala-int.org  6min #54069

 Le printemps espagnol

Espagne : Contre le «  coup de marché  »

 Gaspar Llamazares
Translated by  Manuel Talens

Dans un article précédent, intitulé "La stratégie Tarantino", j'ai parlé du rôle de chirurgien social face à la crise économique – le diktat du coup de marché – joué par la social-démocratie dans les pays d'Europe où elle gouverne, et de ses effets favorables à la droite. Cette dernière non seulement socialise les pertes mais de plus tire profit du discrédit et de la désaffection électorale pour la gauche en obtenant des majorités électorales larges ou même absolues, comme cela vient d'arriver en Espagne avec le raz-de-marée bleu du Partido Popular (PP).

Cette stratégie Tarantino du "toi, tu fais les coupes claires et nous, on ramasse les votes" a fonctionné à la perfection aux élections espagnoles du 22 mai et, une semaine plus tard, aux élections générales au Portugal.

Les toutes récentes élections municipales et régionales en Espagne ont été le premier tour des élections générales. Leur caractère politique explique aussi bien la dégringolade sans précédents du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE) à cause de la démobilisation et de la perte de confiance de ses électeurs, que la mobilisation du vote critique, à droite en faveur du PP et à gauche en faveur de Izquierda Unida (Gauche Unie). En outre, des voix sont allées à des nouvelles formations politiques qui oscillent entre le populisme et le localisme, ainsi qu'à l'extrême-droite.

Le bateau du PSOE coule dans la mer bleue du PP (Illustration de Patrick Thomas)

Ceci dit, le vote blanc ou nul et l'abstention comme expression de la désaffection produite par ce coup de marché et ses conséquences dévastatrices pour la crédibilité du système politique doivent être situés dans un autre contexte. Le discrédit du bipartisme et de la réponse néolibérale à la crise a été le fusible du Mouvement des Indignés du 15-Mai, qui, même si pour le moment il ne se définit pas nécessairement comme de gauche, a cependant cassé le bipartisme de la campagne, a récupéré les rues comme espace public et a mis en valeur son programme alternatif de régénération et de participation démocratiques ainsi que son aspiration au changement social.

Face aux effets électoraux de sa politique de compressions budgétaires, le PSOE a réagi d'abord en jetant par-dessus bord les habits usés du chirurgien en chef et ensuite en serrant les rangs pour contenir l'hémorragie : ils ont renoncé aux élections primaires – qui les gênaient – pour la désignation du nouveau secrétaire général du parti, choisissant directement Rubalcaba, l'actuel ministre de l'Intérieur. Par ce geste le PSOE confirme sa politique conservatrice de renoncement à une solution sociale à la crise et se soumet aux dogmes du marché.

Avec ce revirement, le PSOE renonce de fait à mobiliser l'électorat perdu et se résigne à la victoire du PP aux prochaines élections générales.

La gauche transformatrice et écologiste dont Izquierda Unida constitue la part majoritaire, a obtenu un résultat modeste lors de ces élections. Même si elle a augmenté ses voix, elle n'a pas profité de l'écroulement du PSOE et a été encore moins capable de représenter l'indignation des travailleurs précaires et de la jeunesse face au coup de marché et à la pitoyable soumission de la politique à l'économie.

Mais surtout, après la chute du PSOE, les organisations de gauche vraiment actives ou existantes n'ont pas réussi à maintenir leur influence politique ni dans les gouvernements régionaux ni dans les mairies des villes importantes, et ce tant à cause de leur atomisation que du système électoral. Au pire moment dans l'histoire du PSOE la gauche monte modestement mais perd du poids politique pour faire face à la droite et à l'involution du marché.

Il ne faut pas minimiser ce résultat positif mais modeste à cause de sa dispersion ; ce serait stupide quand le succès se fait rare. Mais la gauche ne devrait non plus commettre l'erreur de s'endormir sur ses lauriers en pensant que les élections générales lui apporteront automatiquement un groupe parlementaire solide et, encore mieux, un groupe qui barre la route à une majorité absolue du PP. Bien au contraire, on peut prévoir un groupe mixte très nombreux et bigarré.

Les organisations de gauche et Izquierda Unida feraient une erreur si elles pensaient, comme fait le PSOE, que pour avancer il suffit de se barricader et d'attendre.

"En période de changements, il ne fait pas bouger", dit la maxime d'Ignace de Loyola*. Mais la période que nous vivons n'est pas seulement celle des changements, mais aussi celle de l'involution et du coup de marché contre l'Etat social et la démocratie politique. Et dans ce genre de situations notre tradition sociale et politique est riche d'alliances d'ouverture, de générosité et d'intelligence. C'est dans des temps difficiles que nous avons donné naissance au syndicalisme des Commissions Ouvrières, au Pacte pour la Liberté et à la coalition Izquierda Unida elle-même.

En ces temps cruels de chirurgiens de fer, notre mythe porteur doit être celui de Pénélope. Il s'agit de tricoter des principes, des valeurs et des propositions de régénération, de changement social et de genre, de durabilité et une diplomatie de paix, un grand front de gauche qui mobilise les illusions perdues pour freiner l'avancée de la droite et configurer un contrepouvoir de la pensée et de l'action face au coup de marché. Ce front devrait aller au-delà d'une simple coalition politique : il devrait accorder toute leur importance aux synergies et à l'agrégation d'espaces politiques complémentaires, et aussi à l'articulation des mouvements sociaux et des secteurs culturels critiques et alternatifs.

Il s'agit non seulement de dresser une digue face au raz-de-marée bleu du Parti Populaire et d'éviter ce que certains acceptent comme inévitable : sa majorité absolue, mais encore de mettre en place un pôle de référence pour l'opposition de gauche, dans la société et dans les institutions. Dans une perspective d'avenir et en relation avec les mobilisations du 15 Mai, il faudrait, par le dialogue et le métissage, aider à la reconstruction d'une gauche nécessaire qui réconcilie la société civile et la politique en Espagne et en Europe. Nous sommes tous appelés à participer à la formation d'un vaste front de gauche.

* Ignace de Loyola (1491-1556) : militaire, religieux et poète basque, fondateur de l’Ordre des Jésuites. La phrase “ En période de désolation on ne change rien ", extraite des Exercices spirituels, est entrée dans le vocabulaire politico-médiatique courant espagnol sous diverses variantes. [NdE]


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Source:  blogs.publico.es
Publication date of original article: 11/06/2011
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