Par Azzam Tamimi
Quand, au début de cette année, les Palestiniens du monde entier ont commémoré l'anniversaire de la guerre israélienne de 2008-2009 contre Gaza, peu d'entre eux entrevoyait le moindre espoir. La Bande de Gaza était toujours assiégée, la réconciliation palestinienne semblait hors d'atteinte, les Arabes étaient inutiles et les Etats-Unis incapables, ou peu disposés à négocier une reprise des négociations entre Israël et l'Autorité nationale palestinienne (ANP). Puis vinrent les révolutions populaires arabes, et l'ambiance parmi les Palestiniens est passée du désespoir à l'euphorie. Peu de temps après la chute d'Hosni Moubarak, j'ai rencontré mon vieil ami, le leader du Hamas Khaled Mish'al, à Damas. Il m'a dit qu'il était convaincu que le changement en Egypte, dont il espérait qu'il serait suivi par des changements similaires dans d'autres pays arabes, signifiait qu'il ne faudrait plus attendre très longtemps avant que la Palestine soit libre.
Drapeaux palestiniens pendant une marche des jeunes appelant à la réconciliation interne, Gaza-ville, 15 mars 2011 (AP Photo/Adel Hana)
Mes amis à Gaza me disaient la même chose, ainsi que ma famille à Hébron et en diaspora. Tous pensaient que le régime Moubarak était un empêchement à la lutte palestinienne pour la liberté ; dès que le peuple égyptien serait libre, une authentique démocratie en Egypte soutiendrait les Palestiniens.
A tout le moins, à court terme, les Palestiniens pensaient que l'Egypte post-Moubarak ne participerait pas au siège de Gaza, qui s'écroulerait si l'Egypte ouvrait le passage de Rafah entre le Sinaï et la Bande de Gaza. En effet, vendredi dernier, le ministre égyptien des Affaires étrangères Nabil al-Arabi a déclaré à Al-Jazeera que dans les 10 jours, des démarches seraient prises pour alléger "le blocus et la souffrance de la nation palestinienne."
Les Palestiniens ont attendu la réaction israélienne à la chute du régime Moubarak et l'extrême inquiétude d'Israël ne les a pas surpris. Moubarak était un allié qui a contribué à la sécurité d'Israël dans un Moyen-Orient très hostile. La neutralisation de l'Egypte et la réduction de son rôle envers la cause palestinienne depuis que le président Anwar Sadat a signé le traité de paix de Camp David avec Israël, en 1978, a constitué le plus grand succès du sionisme depuis qu'Israël avait été créé, 30 ans plus tôt. Au lieu d'être à l'avant-garde de la lutte pour la libération de la Palestine, l'Egypte de Moubarak a pris la tête du soi-disant camp modéré arabe, une alliance d'Etats pro-Israël et pro-Etats-Unis qui incluait la Tunisie, l'Arabie saoudite, la Jordanie, le Maroc, l'Autorité nationale palestinienne et les Emirats arabes unis.
Les Palestiniens ont commencé à imaginer ce qui arriverait si en Jordanie, une révolution populaire devait amener un changement semblable ; puis une en Arabie saoudite, et peut-être au Maroc. Israël perdrait ses alliés les plus importants dans la région et l'ANP serait isolée, déjà touchée mortellement par les révélations d'Al-Jazeera et du Guardian sur les concessions consenties en secret aux Israéliens par les équipes de négociation.
Mais bien que les révolutions tunisiennes et égyptiennes aient inspiré les exigences des Arabes pour des réformes politiques et un changement de régime, ce n'est ni en Jordanie, ni au Maroc ni en Arabie saoudite que ces exigences ont été les plus pressantes. Il y a eu quelques manifestations, mais généralement pour exiger des réformes politiques plutôt qu'un changement de régime. C'est en fait en Yémen, en Libye et en Syrie qu'on a vu les protestations les plus spectaculaires, qui ont dégénéré rapidement en lutte armée en Libye et en appels à un changement de régime au Yémen et en Syrie.
Lorsque j'ai rencontré Khalid Mish'al en février dernier, il ne s'attendait pas à un soulèvement populaire en Syrie. Il pensait que le régime était moins vulnérable étant donné son soutien à la résistance au Liban et en Palestine, ainsi que sa position antiimpérialiste. Mais la solidarité avec les résistances palestinienne et libanaise n'est pas suffisante pour protéger un régime autocratique. Cela a inquiété quelques Palestiniens qui se sont empressés d'exprimer leur soutien au régime de Bashar al-Assad ; mais le Hamas est resté silencieux, au grand dam du régime.
Bien que l'euphorie créée par les révolutions tunisiennes et égyptiennes ait été refroidie par l'expérience libyenne, vue par beaucoup dans le monde arabe comme une révolution qui a mal tourné à cause de l'armement et de l'intervention de l'Occident, la plupart des Palestiniens continuent de penser qu'une nouvelle ère approche. Plus les dictatures arabes seront remplacées par de véritables démocraties, plus proches de la libération sera la Palestine. Des démocraties représentant la volonté des peuples arabes ne peuvent être qu'anti-Israël et pro-palestiniennes.
Un des fruits immédiats du départ de Moubarak et du soulèvement en Syrie a été la réactivation des efforts de réconciliation palestinienne. Répondant à la pression de la base populaire, le Hamas et le Fatah se sont rencontrés au Caire et ont décidé de travailler à la formation d'un gouvernement d'unité et à la résolution des désaccords sur la sécurité et les élections. Le Fatah craint de perdre la faveur de l'Egypte, tandis que le Hamas craint de perdre bientôt le havre de sécurité que représentait la Syrie. Sans surprise, Israël a menacé de prendre des mesures contre l'ANP si le Fatah traitait avec le Hamas.
Pendant de nombreuses années, Israël a clamé qu'il était la seule démocratie dans la région. Et pourtant, des responsables politiques israéliens ont appelé les Etats-Unis à intervenir en Egypte pour empêcher la chute de Moubarak, et ont fait campagne pour qu'il reste au pouvoir. Il est clair qu'Israël estime qu'il peut compter sur des dictateurs arabes plus intéressés par le pouvoir et leur richesse personnelle que par le service de leurs nations, et encore moins de la cause palestinienne.
Malgré ses prétentions de supériorité, Israël semble souffrir des mêmes symptômes qui empoisonnent les dictateurs arabes ; l'incapacité d'apprendre qu'ils doivent changer avant qu'il ne soit trop tard. C'est trop tard pour Moubarak, Zine al-Abidine Ben Ali, Assad, Muammar Gaddafi et Ali Abdullah Saleh. Cela fait si longtemps qu'Israël opprime les Palestiniens qu'il encourt la colère des masses arabes dont les révolutions apportent de l'espoir aux Palestiniens.
De quelque manière qu'on les regarde, les révolutions arabes sont les meilleures nouvelles qu'aient reçu les Palestiniens depuis des décennies.
newsnet_52611_azzamtamimi140x140.jpgLe docteur Azzam Tamimi est président et rédacteur en chef de la chaîne de télévision Ahiwar. Il est l'auteur de "Hamas: Unwritten Chapters" et "Rachid Ghannouchi: A Democrat Within Islamism"
Source : Guardian
Traduction : MR pour ISM