03/05/2011 tlaxcala-int.org  13min #52597

 Egypte: manifestation place Tahrir pour « sauver la révolution »

Égypte : des officiers « libres » sortent de l'ombre et se font piéger

 Rabha Attaf رابحة عطاف

Le vendredi 8 avril dernier devait être la journée de consécration de la Confrérie des Frères Musulmans et de leur Parti pour la Justice et la Liberté, nouvellement créé. 500 000 personnes avaient répondu présents à leur appel -ainsi qu'à ceux des Occupants de Midan Tahrir, de différents groupes et personnalités politiques- pour cette journée de mobilisation, place Tahrir au Caire. Principaux objectifs de ce rassemblement monstre : le jugement du président Moubarak et des hommes corrompus de son régime, et la justice pour les victimes de la répression et les familles des « martyrs ».

Mais un événement inattendu leur a volé la vedette. Surgi comme du néant durant l'après-midi, juste après l'intervention de Safwat Higazi, le célèbre prêcheur des Frères Musulmans, un groupe de sept officiers et soldats de l'armée égyptienne en tenue militaire (vingt-sept en fin de journée) ont été hissés sur la tribune principale, déchaînant une ovation générale d'une foule exaltée. D'autant qu'à ce moment précis, Safwat Higazi n'a pu s'empêcher de lancer un cri du coeur « ce sont nos frères, ce sont nos frères ! », suivi en écho par « Chaab, Djeïch, yad ouahda ! » (Le peuple et l'armée ne forment qu'une seule main ! Ndlr). Ce slogan tant de fois entendu prenait soudain tout son sens. Exactement comme durant les journées sanglantes de fin janvier durant lesquelles l'armée avait pris position pour défendre les occupants de la place Tahrir contre les milices du régime.

Après avoir été portés par un tourbillon de manifestants pour intervenir sur toutes les tribunes de la place Tahrir, les militaires ont fini la soirée sur le terre-plein central, entourés par une foule en liesse qui n'a pas réalisé la gravité de la situation. Aucune armée, en effet, ne peut tolérer la sédition dans ses rangs. Et encore moins l'armée égyptienne qui a pris la conduite de la transition démocratique dont elle s'affirme l'unique garante. Et ce d'autant que les partisans de l'ancien système (membres de la Sûreté nationale et du Parti de Moubarak) ont encore des capacités de nuisance et de manipulation qui pourraient risquer de provoquer un véritable chaos à défaut de restauration de l'ancien régime.

Ce qui devait donc logiquement arriver arriva ! Dans la nuit de samedi, peu après 3h du matin, la police militaire est intervenue pour évacuer la place Tahrir et se saisir de ce groupe d'officiers qui grisé par la foule, s'était trop rapidement qualifiés de « libres ». Ces derniers, profitant de la panique générale, ont évidemment tenté de fuir. Mais ils furent vite rattrapés : l'un d'entre eux serait mort et un autre grièvement blessé.

Le lieutenant Yacer est l'un d'entre eux. Âgé de 26 ans, il a été formé depuis l'age de 17 ans à l'Ecole militaire du Caire. Il m'explique sa démarche avec une naïveté consternante et je réalise soudain à quel point les Egyptiens sont sentimentaux... et donc facilement manipulables ! Nul ne sait aujourd'hui ce qu'il est devenu.

Le vendredi 8 avril dernier devait être la journée de consécration de la Confrérie des Frères Musulmans et de leur Parti pour la Justice et la Liberté, nouvellement créé. 500 000 personnes avaient répondu présents à leur appel -ainsi qu'à ceux des Occupants de Midan Tahrir, de différents groupes et personnalités politiques- pour cette journée de mobilisation, place Tahrir au Caire. Principaux objectifs de ce rassemblement monstre : le jugement du président Moubarak et des hommes corrompus de son régime, et la justice pour les victimes de la répression et les familles des « martyrs ».

Mais un événement inattendu leur a volé la vedette. Surgi comme du néant durant l'après-midi, juste après l'intervention de Safwat Higazi, le célèbre prêcheur des Frères Musulmans, un groupe de sept officiers et soldats de l'armée égyptienne en tenue militaire (vingt-sept en fin de journée) ont été hissés sur la tribune principale, déchaînant une ovation générale d'une foule exaltée. D'autant qu'à ce moment précis, Safwat Higazi n'a pu s'empêcher de lancer un cri du coeur « ce sont nos frères, ce sont nos frères ! », suivi en écho par « Chaab, Djeïch, yad ouahda ! » (Le peuple et l'armée ne forment qu'une seule main ! Ndlr). Ce slogan tant de fois entendu prenait soudain tout son sens. Exactement comme durant les journées sanglantes de fin janvier durant lesquelles l'armée avait pris position pour défendre les occupants de la place Tahrir contre les milices du régime.

Après avoir été portés par un tourbillon de manifestants pour intervenir sur toutes les tribunes de la place Tahrir, les militaires ont fini la soirée sur le terre-plein central, entourés par une foule en liesse qui n'a pas réalisé la gravité de la situation. Aucune armée, en effet, ne peut tolérer la sédition dans ses rangs. Et encore moins l'armée égyptienne qui a pris la conduite de la transition démocratique dont elle s'affirme l'unique garante. Et ce d'autant que les partisans de l'ancien système (membres de la Sûreté nationale et du Parti de Moubarak) ont encore des capacités de nuisance et de manipulation qui pourraient risquer de provoquer un véritable chaos à défaut de restauration de l'ancien régime.

Ce qui devait donc logiquement arriver arriva ! Dans la nuit de samedi, peu après 3h du matin, la police militaire est intervenue pour évacuer la place Tahrir et se saisir de ce groupe d'officiers qui grisé par la foule, s'était trop rapidement qualifiés de « libres ». Ces derniers, profitant de la panique générale, ont évidemment tenté de fuir. Mais ils furent vite rattrapés : l'un d'entre eux serait mort et un autre grièvement blessé.

Le lieutenant Yacer est l'un d'entre eux. Âgé de 26 ans, il a été formé depuis l'age de 17 ans à l'Ecole militaire du Caire. Il m'explique sa démarche avec une naïveté consternante et je réalise soudain à quel point les Egyptiens sont sentimentaux... et donc facilement manipulables ! Nul ne sait aujourd'hui ce qu'il est devenu.

R.A : Qu'est-ce qui vous a décidé à venir aujourd'hui rejoindre les manifestants de la place Tahrir ?

Lt Yasser : Cela fait longtemps que des officiers de l'armée voulaient dénoncer le régime de Moubarak, mais jusqu'à présent on n'en a pas eu l'occasion. On craignait surtout qu'il y ait des victimes civiles si on tentait quelque chose. Il y a beaucoup de militaires intègres dans l'armée, mais trop de gens veulent les briser. Ce sont des personnes malveillantes qui se trouvent à l'extérieur du Conseil suprême des forces armées mais qui ont beaucoup d'influence sur ce dernier.

R.A : Avez-vous entendu parler de la « Révolution des œillets » menée par des officiers au Portugal ?

Lt Yasser : Bien sûr ! Comme eux, on ne veut pas faire un coup d'Etat mais on agit dans l'intérêt du peuple et de l'Egypte. On veut soutenir les demandes de la population et seulement intervenir auprès du Conseil suprême des forces armées qui a pris la conduite du pays. On risque une accusation de haute trahison avec comme sanction le peloton d'exécution. Mais on s'y est préparé. On compte sur la protection de Dieu. Actuellement, nous sommes 27 officiers et soldats à être sortis au grand jours, mais dans les rangs de l'armée nous sommes beaucoup plus à souhaiter un changement. La plupart d'entre nous ne se sont jamais rencontrés avant. Pour ma part, j'ai décidé de venir à la place Tahrir il y a seulement deux jours. Je venais de voir les vidéos diffusées par des militaires sur Youtube.

Nous étions tous accaparés par notre service et nos responsabilités. Mais les dangers qui guettent l'armée et le peuple nous ont poussé à réagir. Depuis dix ans j'assiste à des choses ahurissantes et je me tais. Maintenant, je ne peux plus me taire car le pays risque d'être complètement détruit par une contre-révolution en marche. C'est une contre-révolution qui vient de l'extérieur et de l'intérieur. On nous a cantonnés aux frontières et on ne peut pas quitter nos positions alors que le danger est dans le pays même. Je suis venu à la place Tahrir en sachant pertinemment que les « moukhabarate » (services secrets) nous prendraient en photo. Du haut des hélicoptères qui survolent la place, ils peuvent photographier la plaque minéralogique d'une voiture, et même cette canette de Pepsi qui est sur cette table.

R.A : Cette « contre-révolution » agit comment ?

Lt Yasser : D'abord en provoquant la division confessionnelle entre les chrétiens et les musulmans. Des dossiers trouvés lors de l'investissement des édifices de la Sûreté nationale par des manifestants démontrent, par exemple, que l'attentat de décembre dernier contre l'église d'Alexandrie est l'oeuvre de l'ex- ministre de l'Intérieur, Habib Adli. Moi, je n'avais jamais entendu parler de divisions entre chrétiens et musulmans. J'ai partagé les bancs de l'école avec des chrétiens et je ne me suis jamais posé de question concernant la religion des uns ou des autres.

R.A : Selon certaines informations, des armes auraient été distribuées ?

Lt Yasser C'est exact. Les armes stockées dans les réserves ont été volées. On dit que c'est par des « baltaguiya » (milices du régime) et ceux qui veulent semer le désordre. L'absence de la police permet de laisser la voie libre aux « baltaguiya » et au chaos. Quand des gens circulent avec des armes, tout le monde rentre chez soi et s'enferme à double tour pour défendre sa maison, pour se défendre contre le pillage ou la mort. Mais le peuple égyptien a la particularité de ne pas pouvoir se taire et on doit combattre toutes les manipulations.

Par exemple, on a eu l'ordre de laisser passer les hommes en chameau (le 3 février, des hommes juchés sur des chameaux ont attaqué les manifestants, ndlr). Je n'étais pas à Tahrir, mais un collègue officier présent m'a affirmé que l'ordre lui avait été donné de libérer la place pour que les assaillants passent... Pour que des « baltaguiya » sèment la terreur avec des armes !

L'officier ne connaissait pas l'objectif de cet ordre mais un ordre doit être appliqué. Un officier avait tiré en l'air pour faire fuir les assaillants et quitté son poste. Je ne sais pas s'il a été sanctionné.

Ils veulent semer le chaos pour faire oublier Hosni Moubarak et toute la corruption et la pourriture qui a gangrené le pays durant 30 ans. L'armée était présente et n'a rien fait.

Si le régime attaque le peuple, je jure par Dieu que je serai le premier à prendre les armes pour tirer. Je suis prêt à mourir pour défendre le peuple.

R.A : On parle d'un coup d'Etat comme en 1952 ?

Lt Yasser : Il n'est pas question de coup d'Etat. On ne veut pas faire comme Nasser et les Officiers libres en 1952. On veut seulement que le pays se remette en marche. On n'a aucun intérêt personnel à défendre. On ne cherche pas à prendre le pouvoir. On demande seulement la dissolution du Conseil suprême des forces armées pour laisser la place à un Conseil de transition composé de deux civils et un militaire. Ce conseil doit proposer une nouvelle Constitution, même si cela doit prendre un an. Une nouvelle Constitution qui permette de faire le ménage après 30 ans de souillure. Ensuite, on réintègre la caserne. On doit laver la poubelle dans laquelle on vit. Le pays est affaibli et même le peuple a changé. Les gens s'énervent pour un oui ou un non, pour des broutilles, alors que ce qui est en cause c'est la pression politique du système. Le peuple ne sait même plus comment vivre !

On doit liquider le passé pour commencer une nouvelle page de notre histoire. Peu importe l'argent qui a été volé. On doit juger tous ceux qui ont trahi l'Egypte. C'est notre unique revendication.

Juste un exemple : pourquoi le droit de passage du Canal de Suez est-il payé en dollars US et non en livres égyptiennes ? Si c'était le cas, notre monnaie vaudrait plus que le dollar et deviendrait une monnaie forte. Mais les USA financent les traîtres qui nous volent... La coopération avec les USA, c'est une trahison des intérêts de l'Egypte.

R.A : Que pensez-vous de l'intrusion soudaine des groupes salafistes dans le jeu politique?

Lt Yasser : Le Majlass El Askari (Conseil suprême des forces armées) les active. Ce sont des instruments entre les mains des militaires au pouvoir. C'est la première fois de ma vie que j'entends parler de salafistes qui créent des problèmes (une rumeur a circulé au lendemain du référendum selon laquelle les filles non voilées seraient frappées, ndlr). Ils ont prétendument décidé de s'en prendre aux femmes de mœurs légères. Et l'histoire de l'homme qui s'est fait couper l'oreille parce qu'il aurait accueilli chez lui une prostituée est ahurissante. Mais le plus choquant, c'est que l'agresseur salafiste n'ait pas été arrêté et jugé. Un arrangement a été fait au commissariat en la présence d'un cheikh d'Al Azhar (institution religieuse suprême d'Egypte, dont les jurisprudences servent de référence dans le monde musulman ndlr). On lui a seulement demandé d'indemniser la victime. De quel droit ces gens-là se permettent-ils de dicter le bien ou le mal ? Personne n'a le droit de se prendre pour Dieu !

C'est grave de tolérer ces crimes ! N'est-ce pas le rôle de l'armée actuellement de faire respecter la loi ? Si l'armée ne réagit pas aux menaces des Salafistes, c'est qu'elle est consentante. Car elle a des moyens d'action supérieurs à ceux de la police.

R.A : Le référendum sur la constitution a été organisé rapidement. Qu'en pensez-vous?

Lt Yasser : Les autorités jouent avec le peuple. Ils utilisent les Frères Musulmans pour provoquer une division entre les FM et les laïques, entre les musulmans et les chrétiens. Les chrétiens ne sont pas d'accord avec le calendrier politique du Conseil des forces armées alors que les FM le sont.

C'est la première fois que je vois ces distinctions entre Égyptiens. Chrétiens, musulmans, salafistes, Soufis. Et même s'il y avait des Juifs égyptiens, personne n'aurait le droit de les désigner comme Juifs. Trahison, trahison, trahison !

Le maréchal Tantawi est l'homme de Moubarak au sein du Majliss el Askari. Comment se fait-il que ce voleur de Moubarak ait pu semer la corruption durant 30 ans sans être inquiété ? Nous, on veut le juger... C'est une question de jours, de semaines. Il a retiré son argent d'Europe pour le placer dans les pays du Golfe. Et le peuple est en train de crever de misère ! Son ministre de l'Intérieur, Habib El Adli, a même promu des officiers de police sans suivre la voie réglementaire. Des officiers de la police ont pris des armes et les gardent chez eux. Même des gens intègres parce qu'ils ont peur car le peuple s'en est pris à la police.

R.A : L'armée est-elle le premier acteur économique de l'Egypte ?

Lt Yasser : Bien sûr ! L'armée détient de nombreuses industries et entreprises dans tous les secteurs de l'économie. La première chose à faire c'est la lutte contre la corruption. Nous devons nous laver nous-mêmes de la corruption, on doit d'abord nettoyer les institutions militaires parce que la corruption les gangrène depuis trop longtemps. Il faut juger toutes les personnes responsables de cette corruption dans les forces armées et les condamner lourdement pour l'exemple.
Si justice est faite, Hosni Moubarak ne sera pas seul. Le Majliss el Askari (Conseil des forces armées) ne veut pas juger Hosni parce qu'il n'est pas seul en cause dans les affaires de corruption. On va aussi découvrir que Habib El Adli (ex-ministre de l'Intérieur) a reçu de Moubarak l'ordre de tirer sur les manifestants durant les journées de janvier. C'est le ministère de l'Intérieur et la Sûreté nationale qui défendent le système et ses affidés. Ils ont intérêts à ce que Moubarak reste. L'armée aussi avait reçu cet ordre mais elle a refusé d'obéir et a écarté Moubarak.. C'est le seul point positif du Majliss El Askari.

Nous n'étions pas d'accord pour tirer. Nous sommes là pour protéger le pays et pas le système. Les manifestants sont nos pères, nos mères, nos frères et nos sœurs. Nos supérieurs savaient que nous refuserions d'obéir à un tel ordre car on en a parlé avant entre officiers. On nous a donné l'ordre de tirer sur le peuple, mais la seule chose contre laquelle on devrait nous donner l'ordre de tirer, c’est la contre-révolution qui menace les Égyptiens et la sécurité du pays.

En tant que militaires, c'est notre devoir de protéger la nation, et on nous traite comme des moins que rien. Hier (7 avril), la télévision égyptienne a annoncé que des civils appartenant à la contre-révolution viendraient aujourd'hui à place Tahrir déguisés en militaires. C'est étrange, ils savaient que des officiers allaient venir aujourd'hui. Le Conseil suprême des forces armées tente de nous faire passer pour des terroristes déguisés en militaires parce qu'on demande que les revendications du peuple égyptien soient satisfaites. Mais les journalistes du monde entier sont aujourd'hui présents pour témoigner de ce que nous sommes vraiment.

Propos recueillis par Rabha Attaf, envoyée spéciale au Caire du magazine Les Inrockuptibles


Courtesy of  Rabha Attaf
Publication date of original article: 17/04/2011
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