13/04/2011 wsws.org  7min #51871

 Egypte: manifestation place Tahrir pour « sauver la révolution »

L'armée égyptienne tue des manifestants au Caire

Par Niall Green
13 avril 2011

La junte militaire à la tête de l'Égypte, le Conseil suprême des forces armées, a lancé une attaque meurtrière sur des milliers de manifestants campés place Tahrir samedi matin. Les forces de sécurité ont tué six manifestants, et le ministère de la Santé égyptien a rapporté que 71 personnes ont été hospitalisées.

L'attaque faisait suite à une immense manifestation place Tahrir vendredi soir. La foule a été estimée à plusieurs centaines de milliers de personnes, ce qui serait la plus importante manifestation depuis la chute de Hosni Moubarak le 11 février.

L'énorme foule place Tahrir, l'épicentre des protestations de masse qui ont contribué à faire tomber Moubarak, revendiquait que le régime militaire lègue rapidement le pouvoir à une autorité de civils élue.

Plusieurs scandaient que la junte militaire était identique à l'ancien régime de Moubarak. « Tantawi est Moubarak et Moubarak est Tantawi », lançait la foule, en référence à l'officier égyptien de haut rang des forces armées, le maréchal Hussein Tantawi.

Tantawi dirige le pays depuis l'évincement de Moubarak. Il est largement méprisé en Égypte, ayant été l'un des principaux sbires de Moubarak pendant des décennies. Les manifestants appelaient aussi à la poursuite judiciaire de Moubarak, ainsi que ses fils Gamal et Alaa, et d'autres officiels accusés de torture et de corruption.

Samedi, vers trois heures du matin heure locale, des soldats et des policiers ont attaqué l'occupation de la place Tahrir, utilisant des grenades de gaz lacrymogènes, des matraques, des pistolets taser et des tirs à balles réelles. Affrontant les forces de sécurité, un nombre important de protestataires ont tenu bon, forçant l'armée à se retirer.

Suivant l'attaque, l'armée a publié une déclaration blâmant les « hors-la-loi » d'avoir fait grève, tout en niant le fait que la police ou l'armée ait tué des gens.

N'ayant pas réussi à écraser la manifestation, l'armée a menacé de nettoyer la place samedi soir. « La place Tahrir sera vidée de ses manifestants avec fermeté et force afin d'assurer que la vie reprenne son cours normal », a dit en conférence de presse samedi le major général Adel Emarah, un membre du Conseil suprême.

Toutefois, les manifestants ont défié le couvre-feu imposé par le régime militaire en maintenant une présence place Tahrir toute la nuit. Ceux qui y campaient ont pris des mesures de défense dans le but de se protéger des forces armées et policières, barricadant la place de fil de fer barbelé.

« Nous continuerons l'occupation jusqu'à ce que nos demandes soient satisfaites », a dit à Reuters, samedi, Ahmed el Moqdami, un manifestant de 25 ans. « Tout d'abord, le maréchal doit partir. Moubarak doit être poursuivi en justice et un conseil de civils doit être formé pour la période de transition ».

Dimanche, plus d'un millier de personnes se sont rendues place Tahrir pour continuer d'exprimer leurs revendications. Les manifestants ont crié « Révolution, révolution » et ont brûlé une effigie de Tantawi. Sur des pancartes on avait inscrit « Nous voulons un conseil civil » et « Le peuple demande que le maréchal soit renversé ».

Reuters a rapporté que douze voitures blindées transportant des soldats attendaient près de la place, mais les forces armées et la police ne se sont présentés devant la foule.

L'armée égyptienne a été en mesure de recevoir un certain appui populaire dans la période précédant la chute de Moubarak et dans la période immédiatement après, en grande partie grâce à l'appui peu critique donné aux généraux par des représentants de l'opposition bourgeoise comme Mohammed ElBaradeï et les Frères musulmans. Mais le caractère antidémocratique de la junte militaire a été exposé aux masses plus clairement dans les dernières semaines.

Aux prises avec des grèves continuelles pour de meilleurs salaires et une meilleure sécurité d'emploi et des manifestations appelant à des réformes démocratiques et sociales, les dirigeants de l'armée ont eu recours à de sévères mesures répressives. Le 23 mars, l'armée a interdit les grèves et les manifestations et a imposé des peines sévères à ceux qui prennent part à toute expression publique d'opposition au régime.

Les Frères musulmans ont réagi à l'opposition de masse continuelle au régime en annonçant, jeudi, qu'ils appuyaient les manifestations qui appellent à la poursuite en justice de Moubarak et de quelques responsables du gouvernement. L'organisation a refusé pendant des semaines de prendre part aux manifestations et travaille encore en coulisse avec les dirigeants de l'armée égyptienne.

Abdullah Helmy, un dirigeant de l'Union de la jeunesse révolutionnaire, un des groupes formés autour des manifestations anti-Moubarak, a dit au Wall Street Journal que les Frères musulmans « craignaient de perdre de l'élan » et se joignaient aux manifestations seulement dans le but d'améliorer leurs chances lors des élections parlementaires qui sont prévues pour septembre cette année.

La répression dans la nuit de vendredi a permis à la junte de tâter le terrain pour de futurs actes de répression. Pour l'instant, le régime s'est abstenu d'organiser une confrontation majeure avec la classe ouvrière et il aurait fait une concession mineure en congédiant quelques gouverneurs régionaux impopulaires qui avaient été nommés par Moubarak.

Mais l'armée est opposée à toute expression véritable des demandes de la classe ouvrière égyptienne et des gens pauvres des campagnes. Le haut commandement militaire était une partie intégrante du régime de Moubarak et plusieurs hauts fonctionnaires sont devenus très riches par la privatisation de pans entiers de l'économie égyptienne.

Toute poursuite judiciaire de Moubarak serait un embarras politique pour le régime actuel, la classe capitaliste égyptienne en général et les gouvernements et les compagnies occidentaux qui ont eu de longues et lucratives relations avec Moubarak.

Dimanche, Moubarak a prononcé son premier discours télévisé depuis qu'il a démissionné, s'opposant à toute enquête sur ses crimes et ceux de sa famille. De son palais de Charm el-Cheikh, une station balnéaire de la mer Rouge, Moubarak a dit au réseau Al-Arabiya que les rumeurs selon lesquelles il aurait pillé l'économie étaient « des campagnes injustes et de fausses allégations ».

« Elles visent à ternir ma réputation et discréditer mon intégrité », a affirmé l'ex-président. Il a aussi ajouté que « je ferai respecter mon droit légal à défendre ma réputation ainsi que celle de ma famille ».

Moubarak, sa femme et ses deux fils vivent toujours dans le grand luxe, sous la protection de l'armée. Cependant, par crainte d'une violente réaction populaire, le procureur en chef leur a interdit de quitter le pays, et leurs actifs ont été gelés. Certains reportages ont indiqué que la fortune de la famille Moubarak pourrait se situer entre 40 et 70 milliards de dollars.

La junte égyptienne a l'appui total du gouvernement des États-Unis, et elle continue ainsi la relation étroite que Washington a développée avec l'armée égyptienne sous Moubarak.

L'impérialisme américain compte sur l'armée égyptienne depuis des décennies en tant qu'allié crucial pour maintenir l'ordre dans la région. Les forces armées ont non seulement constitué le pilier du gouvernement Moubarak, aidant à superviser la réorganisation de l'économie égyptienne dans les intérêts des transnationales, mais elles ont aussi joué un rôle clé en assistant le plus proche allié de Washington, Israël, dans l'oppression des Palestiniens à Gaza.

Prenant la défense de Moubarak jusqu'au tout dernier moment, l'administration Obama n'a abandonné le dictateur que lorsqu'il est devenu évident qu'un soulèvement en Égypte menaçait toute la bourgeoisie égyptienne et les intérêts de l'impérialisme. Washington a ensuite modifié son approche pour faire en sorte que la chute de son allié de longue date n'allait pas venir troubler ces intérêts.

Washington a pesé de tout son poids pour soutenir le gouvernement militaire en tant que rempart contre les manifestations et les grèves de masse, et les récentes visites au Caire de la secrétaire d'État Hillary Clinton et du secrétaire à la Défense Robert Gates visaient à reprendre les affaires comme à l'habitude.

L'assurance offerte par les généraux que l'Égypte va respecter les accords de coopération avec les Forces de défense israéliennes et le Pentagone est d'une importance cruciale pour Washington. Montrant qu'elle se soumet aux intérêts prédateurs des puissances impérialistes en Afrique du Nord, l'armée égyptienne agit en tant que pion des États-Unis dans le conflit libyen en fournissant des armes à la direction « rebelle » à Benghazi, qui est soutenue par la CIA.

Cherchant à poursuivre les politiques d'ajustement structurel du FMI qui ont fait de l'Égypte un havre de main-d'oeuvre à bon marché pour la grande entreprise, l'administration Obama travaille aussi avec ses alliés au Caire afin de développer un fonds d'entreprise américano-égyptien. Le but de ce nouvel organisme est de « stimuler l'investissement du secteur privé, soutenir les marchés compétitifs et offrir à l'entreprise un accès à du capital bon marché », selon le site web du département d'État américain.

(Article original paru le 11 avril 2011)

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