26/03/2011 tlaxcala-int.org  6min #51195

 L'unité arabe dans la pratique révolutionnaire

Les clichés sur les Arabes ont la vie dure

Hesham Bahari هشام بحري
Traduit par Michèle Mialane

Depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale on a tellement rabâché aux Occidentaux les éternels clichés sur les Arabes qu’ils ne peuvent plus penser en-dehors d’eux. Le but poursuivi était de favoriser les desseins impérialistes que nourrissaient Français et Britanniques devant les pertes coloniales subies après la Deuxième guerre mondiale. Il fallait s’assurer que le monde arabe, force motrice dans le processus de décolonisation, resterait divisé et que les pays impérialistes conserveraient l’accès à leurs ressources, au prix fixé par ceux-ci et leurs fantoches arabes.

L’image qu’on donnait des Arabes comportait entre autres des conclusions présentées comme « scientifiques » sur la foi d’universitaires orientalistes : la division des peuples arabes, leur incurable fatalisme et leur absurde fanatisme. Tous les combats démocratiques dans les pays arabes ainsi qu’en Iran étaient scrupuleusement ignorés, par exemple celui des Égyptiens au début du 20ème siècle - avant les Allemands !- que les Britanniques noyèrent dan un bain de sang. Mais il ne fallait surtout pas mettre les Arabes sur le même plan que d’autres peuples, comme citoyens capables de se battre pour gagner leur indépendance et obtenir des institutions leur permettant de faire valoir leurs exigences. Les Arabes étaient définitivement condamnés à rester les victimes de leurs propres tyrans, un destin qu’ils se seraient eux-mêmes imposé en raison de leur incapacité à se moderniser. Le contrepoint de ce tableau en blanc et noir dépourvu de la moindre nuance, c’était bien sûr Israël, l’exact opposé de ce qu’étaient prétendument les Arabes. La seule lueur dans un océan de ténèbres.

Tandis qu’on répandait ce cliché, les pays impérialistes travaillaient bien sûr dans le concret à maintenir le statu quo. On renforçait les garants de la division : on fournissait un soutien illimité à Israël et à tous les régimes arabes collaborateurs. Toute tentative de créer une unité arabe était combattue par tous les moyens imaginables - ethniques, culturels, économiques, politiques et militaires. Durant un peu plus de 60 ans, les pays arabes durent mener, outre leurs propres guerres de libération, une guerre contre Israël tous les 10 ans. Ces guerres furent profitables à l’Occident et à Israël, mais désastreuses pour les Arabes.

Après le 11 septembre et les invasions de l’Afghanistan et de l’Irak les sociétés humaines sont entrées dans une nouvelle phase de leur évolution, dans la noosphère (la sphère du savoir) que certains philosophes, par exemple Teilhard de Chardin (dans son ouvrage « Le phénomène humain »- paru en suédois chez Alhambra sous le titre « Fenomenet människan ») avaient déjà annoncée dès les années 30. Grâce aux nouvelles techniques, des millions de gens pouvaient s’approprier une idée en une fraction de seconde. Les Arabes ont très bien su en tirer parti. Le cliché largement répandu de l’Arabe fataliste se trouva en concurrence avec une autre image, celle que les Arabes se faisaient d’eux-mêmes et que les nouvelles technologies firent parvenir aux quatre coins du monde.

Il est difficile de changer ses habitudes. Je le sais, je suis un fumeur impénitent. L’incroyable soulèvement populaire, toujours en cours, dans toutes les rues, sur toutes les places arabes de l’Atlantique au Golfe a causé un choc aux fabricants de clichés. De peur de se retrouver au chômage, ils tentent un dernier effort: ils essaient de « bouter hors » l’explication des évènements, en s’appuyant, avec un mélange de paresse intellectuelle et de méchanceté, sur nombre de gens qui, sur la Toile et ailleurs, déclarent que ces évènements sont le résultat de manipulations extérieures (qui ont été tentées et le sont toujours, mais, du moins en Tunisie et en Égypte, sont restées marginales- voir le PS). Ils allèrent jusqu’à célébrer l’homme qui cria à son peuple, dans une série de discours pathétiques, qu’il pourchasserait les opposants, les tuerait et danserait sur leurs cadavres. Ce fou devint « le dernier chef à oser défier le désir de domination des USA et des pays occidentaux ». Que cette image de Kadhafi se retrouve aussi bien à droite qu’à gauche n’a rien d’étonnant. Car aucun de ceux qui la diffusent ne possède la moindre connaissance du monde arabe, de la Libye, du gaspillage de ses ressources auquel Kadhafi s’est livré durant ses 42 ans de pouvoir ni de la façon dont il liquida ses opposants dans son pays. En 1996, 1200 prisonniers politiques furent tués en un seul jour à la prison de Bouslim ! Personne ne sait où sont passés leurs cadavres.

Au cours d’une interview, l’un de ses fils, Saadi, un footballeur connu, qui a joué dans divers clubs italiens, et se sent davantage chez lui dans les discothèques suisses que dans les ruelles de Tripoli, dit en rigolant : « Je voudrais que tout cela finisse vite. J’aime les safaris et les voyages autour du monde. Ici, en Libye, il n’y a pas de safaris. Mortel.» Une éducation réussie pour le fils de l’unique dirigeant à s’être opposé à la domination usaméricaine et occidentale! Mais Kadhafi n’est qu’un leurre. Ce sont les poids lourds qui ont la main, les Israéliens, les Saoud, les Iraniens... Comment réagira la « communauté internationale », lors du prochain bombardement israélien sur Gaza ou sur la Cisjordanie ? Un soulèvement de toute la Palestine est prévu au printemps. Et le roi d’Arabie saoudite a résolu le problème du chômage dans son pays en créant 60 000 nouveaux emplois- dans la police ! Si l’on ne peut les abattre, on les embauche. À condition d’avoir l’argent, et à long terme personne ne l’aura plus.

Aujourd’hui, vendredi 19 mars, 40 manifestants pacifiques ont été tués et 200 blessés à Sanaa, au Yémen. Et selon des témoignages de médecins, la police du Bahreïn et du Yémen n’utilise plus de gaz lacrymogènes, mais des gaz toxiques.

Beaucoup de blessés ne recouvreront jamais la santé. Nos écrans de télévision montrent des photos de jeunes gens victimes de tremblements incontrôlables et de spasmes convulsifs et les médecins demandent : Des gaz lacrymogènes peuvent-ils avoir de tels effets? La capitale jordanienne a été le théâtre de grandes manifestations et quatre villes syriennes se sont soulevées, parmi lesquelles Damas. On entendait des centaines de manifestants, dans la cour intérieure de la mosquée des Omeyyades, crier : « Liberté ! Liberté ! Liberté ! » L’homme ne vit pas que de pain, a dit quelqu’un, paraît-il.

Le cliché à la vie dure ne profite qu’à ceux à qui le peuple fait peur, lorsqu’il s’est uni pour chasser les tyrans. Les peuples arabes montrent à ceux qui les entourent que c’est possible. Et c’est pourquoi on veut déclarer irrecevables les preuves qu’ils en donnent.

Post-scriptum

Lors de sa récente visite au Caire et en Tunisie, Hillary Clinton a souhaité rencontré ceux qui ont lancé la révolution dans ces deux pays, mais s’est vu opposer un NON catégorique. Personne, parmi les révolutionnaires égyptiens et tunisiens, ne voulait lui serrer la main -au contraire, ils manifestaient contre sa visite. Bien sûr nos médias n’en ont pas parlé, mais Al Jazira ne s’en est pas privée. Les « jeunes » n’ont pas lâché ; ils ont déclaré que la seule chose qui intéressait Madame Clinton était le bien d’Israël et des impérialistes occidentaux. La génération qui est à l’origine de ces évènements est incroyablement lucide. Je voudrais que tout le monde parle l’arabe, pour comprendre et ne pas se laisser manipuler par des agents malveillants ou aveuglés. Mais cela ne veut pas dire qu’il faille déjà crier victoire! La contre-révolution est bien partie. Tous ceux que la révolution touche le plus font leur possible pour stopper la machine, mais je ne crois pas qu’ils y réussiront. Moubarak était tellement haï qu’il n’y a pas grand monde pour souhaiter son retour.


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Publication date of original article: 19/03/2011
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