Brega, Libye - Au loin et haut dans le ciel, un jet de l'armée de l'air libyenne trace des cercles au-dessus de la ville de Brega, un port pétrolier important dans l'est de la Libye, à 330 km de Syrte, un des derniers bastions de Mouammar Kadhafi.
Evan Hill - Al Jazeera
Alors que des dizaines de combattants rebelles armés de fusils d'assaut AK-47, de fusils et de lance-roquettes lance-grenades contemplent la scène depuis la route principale qui va vers la ville, le jet fait un virage et lâche ses bombes. Un panache de fumée s'élève alors de Brega, et le bruit de l'explosion a recouvert la foule rassemblée.
Quelque part près de la ville, des canons anti-aériens ont ouvert le feu. Le jet est remonté et a disparu dans la direction du soleil, bien que le bruit de son moteur pouvait encore être entendu dans le ciel.
Une minute plus tard, il est réapparu et est rapidement descendu, venant tout droit sur la route. Il est lentement passé au-dessus de nos têtes avant d'accélérer. Un instant après, une explosion a éclaté dans le désert à 80 mètres de là, faisant voler de la fumée noire et du sable dans l'air et dispersant les combattants dans toutes les directions.
C'est un événement rare : une frappe aérienne militaire libyenne directement sous les yeux de journalistes étrangers.
Le bombardement n'a fait aucune victime, mais un raid coordonné sur Brega, mercredi, a impliqué selon les témoins au moins six jeeps et des soldats lourdement armés. Cette attaque a fait au moins 10 morts - dont un garçon de 12 ans - et fait au minimum 21 blessés.
Cette attaque et la grande mobilisation pour la contrecarrer ont montré comment le conflit entre loyalistes et opposants à Kadhafi est passé - après trois semaines de manifestations de rue - à l'insurrection armée.
Photo : Gallo/Getty
Faible entraînement
Tôt le matin du mercredi, des rapports d'une attaque sur Brega sont arrivés à Benghazi, deuxième ville de la Libye et le cœur de l'insurrection. Les forces de Kadhafi auraient repris la ville, l'aéroport, et des installations de raffinage et de pétrochimique, selon des témoins.
L'information semblait plausible : lors d'une visite à Brega et à Ajdabiya à proximité le lundi, Al Jazeera avait trouvé la ligne de front, dans cette ville riche en pétrole, légèrement défendue par des combattants irréguliers, mal armés et indisciplinés, plus enclins à tirer avec leur armes en l'air que de mettre en place de réelles défenses.
Le nombre des troupes envoyées par Kadhafi n'était pas clair, mais ces troupes seraient arrivées avant l'aube et auraient facilement repoussé les troupes insurrectionnelles avec des fusils d'assaut, des lance-roquettes, des mortiers et un appui aérien.
Au poste de contrôle principal à l'extérieur d'Ajdabiya, à proximité de Brega et à près de 160 km au sud de Benghazi, des centaines de combattants de l'opposition ont répondu à l'appel pour venir défendre la ville. Des voitures civiles remplissent le désert autour du poste de contrôle. Leurs occupants s'alignent le long de la route principale, applaudissant tandis que des combattants armés passaient dans des fourgonnettes et des camionnettes, allant vers le front.
Certains nettoyaient leurs armes et chargeaient des munitions dans leurs ceintures, tandis que d'autres préparaient les défenses.
Les combattants avaient aussi placé plusieurs canons antiaériens de 14.5mm derrière des remblais de terre de chaque côté de la route. A côté, un lance-roquettes s'exerçait aux tirs.
Plus loin du poste de contrôle, deux canons M40 de 105mm sans recul étaient pointés vers Brega.
Un tank réquisitionné par l'opposition est arrivé, puis est reparti. A l'intérieur d'un cellier, une dizaine de lanceurs de missiles sol-air sont appuyés contre un mur.
Le flux de renforts a continué vers Brega toute la matinée. Les hommes portaient des vêtements civils, ou beige et vert de camouflage et une grande variété d'engins qui d'après les forces de l'opposition ont été donnés par l'armée. On ne voit aucun gilet pare-balles. Un homme dans un sweat-shirt violet porte un casque trop grand pour lui et aussi un bazooka sans munitions.
On ne voyait pas si ces combattants, la majorité d'entre eux étant des civils avec peu ou aucune formation, seraient capables de repousser une attaque sérieuse par des loyalistes de Kadhafi. Les officiers de l'armée passés à l'opposition et au poste de contrôle le long de la route à l'extérieur Brega tentaient de donner des directives tactiques et d'assurer un peu de formation sur place, mais les moyens militaires de l'opposition, ce mercredi, semblaient être hors du contrôle de quiconque.
Les civils s'approchaient des anciens colonels, qui étaient toujours habillés en tenue de camouflage, et leur faisaient des rapports enthousiastes sur ce qui se passait sur le terrain tout en dessinant des manoeuvres dans le sable.
Le manque de formation a de graves répercussions. Les combattants de retour au poste de contrôle de la route vers Brega se plaignent du nombre de tirs d'entraînement faits dans leur direction.
À un moment donné, un homme qui opérait l'un des canons sans recul, a subi de blessures graves aux jambes et au dos lorsque quelqu'un a tiré, faisant peut-être exploser des munitions empilées à proximité. Des dizaines d'hommes se sont précipités sur les lieux, et le blessé a été installé dans une voiture et emmené, les jambes couvertes de sang.
Au poste de contrôle vers Brega, avant que la frappe aérienne ne force les combattants à fuir, le colonel Abdul-Qader Béchir, vêtu d'un uniforme de camouflage beige, a tenté de coordonner une contre-attaque sur la ville.
Il a discuté avec des collègues sur un téléphone mobile et échangé des idées avec les membres de l'opposition attendant sur la route, mais ni lui ni eux ne semblaient prêts, et il était difficile de savoir qui parmi les combattants en civil avaient la capacité de les diriger.
Abdul-Qader a déclaré que les combattants prévoyaient d'entourer Brega et de l'investir dans la nuit. Le but ultime, dit-il, était une marche sur Syrte. Mais les événements ont même dépassé les plans ambitieux du colonel. Comme le jet libyen tournoyait au-dessus, les combattants de l'opposition étaient déjà en train de chasser les partisans de Kadhafi hors de la ville.
Certains des combattants sur la route ont fait valoir que près de 200 ou 300 soldats de Kadhafi sont restés emprisonnés dans l'Université de Brega. Mais chaque récit diffère de l'autre. Certains ont dit que les forces pro-Kadhafi avaient attaqué avec 50 véhicules, d'autres ont dit qu'un pilote libyen s'était éjecté plutôt que de bombarder des positions rebelles autour d'Ajdabiya.
Une voiture s'est approchée venant de Brega et un homme en est sorti prétendant avec enthousiasme que l'université était tombée. Après lui, une autre voiture venant de la ville transportait un blessé.
A plusieurs kilomètres de là, les coups de feu et les explosions ont continué. Selon des témoins, les combattants pro-Kadhafi avaient tiré à l'aveuglette dans la matinée dans l'enceinte de l'Université de Brega, qui abrite aussi des résidences.
En début d'après midi, il semblait y avoir peu de traces de combat dans la ville de Brega elle-même, si ce n'est un petit cratère, apparemment provoqué par la frappe aérienne à l'entrée de l'université. Des camions et des jeeps chargés de combattants de l'opposition se sont rendus sur la route du sud, chassant les dernières troupes de Kadhafi.
Célébration des combattants
Alors que les combattants célèbraient leur victoire par des tirs en l'air avec leurs AK-47, un convoi de trois gros camions de transport est passé doucement à travers la foule, transportant des dizaines de travailleurs égyptiens qui avaient été pris au piège à Syrte et qui étaient en train d'aller à l'est vers la frontière.
Ils ont agité les bras et acclamé les combattants qui leur ont jeté des bouteilles d'eau.
Sur la route côtière qui va de l'université à l'hôpital de Brega, des hommes parcouraient les dunes de sable où les combats avaient fait rage tôt dans la journée, ramassant des douilles et des munitions pour mortiers de 81 mm, mais il était difficile de savoir si les forces de Kadhafi ou les rebelles les avaient utilisées.
En dehors de l'hôpital de Brega, une grande foule s'était rassemblée. Six corps remplissaient une petite salle de la morgue. L'homme montant la garde a dit que les deux corps allongés sur le sol étaient des combattants pro-Kadhafi.
L'un semblait être d'âge moyen, l'autre peut-être dans ses 20 ans, mais ils ne portaient pas d'uniforme de l'armée. Trois autres civils tués étaient gardés dans une clinique à proximité, a-t-il dit.
L'un des morts civils, un homme avec un keffieh blanc et noir à carreaux, montrait une plaie béante au cou provoquée par un coup de feu - probablement le résultat d'un tir de mitrailleuse de gros calibre.
Le sable couvrait son visage, et le sang s'était agglutiné autour de son col.
A l'intérieur, le personnel soignait les blessés.
Un homme en cours d'opération avait été touché par des tirs, la balle avait pénétré le devant de la cuisse gauche et était sortie par la fesse du même côté.
Les hommes adultes ne sont pas les seules victimes. Les infirmières amènent deux petits garçons sur des civières. Ce sont deux frères, dit un médecin. Faraj Omran, âgé de 7 ans, avait été touché dans le nez par un éclat d'obus, peut-être un fragment de balle. Il est posé à plat sur une civière, il tremble et regarde craintivement à la foule autour de lui.
Son frère de 14 ans, Hussein repose à proximité, un bandeau sur son front, où il avait lui aussi été touché. Un autre frère, âgé de 12 ans, Hassan, a été tué, dit le médecin.
Certains témoins ont affirmé que les forces de Kadhafi avait obligé les familles à sortir de leurs voitures sur la route principale, en les utilisant comme boucliers humains une fois qu'ils ont été coincés à l'intérieur du campus de l'université.
Tout au long de la journée, des fourgonnettes et des taxis pouvaient être vus transportant des familles sur la route allant de Brega vers Benghazi. Les occupants faisaient le signe de la victoire aux visiteurs.
Loyalistes présumés
À l'hôpital, les médecins ont montré la carte d'identité d'Hassan Ahmed Mukhtar, un des hommes tués et prétendument un loyaliste de Kadhafi.
Ils étaient désireux de souligner la ligne qui disait qu'il était un immigrant en provenance du Niger. Mais la carte a été émise par le gouvernement libyen, et il était impossible de savoir si l'homme était l'un des soi-disant « mercenaires » recrutés par Kadhafi pour réprimer le soulèvement.
L'assaut tôt le matin sur Brega peut avoir été une tentative pour sonder les lignes de front de la révolution et pour mesurer la capacité des rebelles à répliquer. Cette attaque a clairement indiqué la capacité de Kadhafi à frapper à des centaines de kilomètres de ses bases. Pourtant, malgré le déploiement de la puissance aérienne, les combattants ont repoussé facilement l'attaque.
Avec des milliers de jeunes gens s'engageant pour rejoindre la nouvelle armée de libération de la Libye, et des officiers ayant fait défection et s'activant à organiser les lignes de front, la capacité de Kadhafi à reprendre pied sur les lieux stratégiques à l'est de Syrte semble diminuer.