Par David Walsh
19 février 2011
Les populations de par le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord continuent à exprimer leur opposition à leur gouvernement respectif, demandant des droits politiques et des gains économiques, dans une vague d'agitation et de résistance sans précédent. Ce mouvement, parmi des peuples opprimés par leur propre élite dirigeante alliée à l'impérialisme, a envoyé des ondes de choc jusqu'à Washington, Londres, Paris et les capitales de toutes les grandes puissances.
La petite nation insulaire de Bahreïn (population : 1,2 million) a assisté à un troisième jour de manifestations majeures mercredi, les manifestants tenant tête au régime du Roi, le Cheik Hamad bin Isa Al Khalifa. Au moins deux manifestants ont été tués par les forces de sécurité, et les funérailles mardi de l'un d'entre eux, Ali Abdulhadi Mushaima qui avait 20 ans ont attiré 10 000 personnes (soit l'équivalent d'une marche de 3 millions de personnes aux États-Unis).
Une autre procession vendredi, pour honorer la mémoire de Fadhel Ali Almatrook, 31 ans, tué lorsque la police anti-émeutes avait ouvert le feu sur la marche funéraire de la veille, a également attiré des milliers de manifestants dans les rues de Manama, capitale du Bahreïn. La seconde procession n'a pas été attaquée par la police, le gouvernement, craignant le mouvement des masses, a retiré ses forces de sécurité. De nombreuses femmes ont rejoint la procession funéraire du 16 février.
Le ministre de l'intérieur de Bahreïn a annoncé que les policiers présumés responsables de la fusillade ont été arrêtés en attente d'une enquête. Cette tentative de désigner une poignée d'individus comme boucs émissaires, pour des décisions prises au plus haut niveau du gouvernement, n'a guère impressionné la population.
Ceux qui manifestent contre le gouvernement ont occupé en grand nombre le rond-point de la Perle à Manama, jurant d'en faire leur propre version de la place Tahrir au Caire. Ils demandent des droits politiques et la démission de l'oncle du Roi, le Cheik Khalifa bin Salman al-Khalifa, de sa position de Premier ministre qu'il détient depuis 1971. Aux yeux de beaucoup, le Premier ministre est l'incarnation de la richesse et de la corruption. Les manifestants appellent également à la libération des prisonniers politiques.
De nombreux Bahreïnis ne sont pas allés travailler pour pouvoir manifester. Une page de protestation sur Facebook montre deux jeunes tenant des pancartes ; l'une dit, « Sécher le travail jusqu'à la chute du gouvernement, » et l'autre « Pas de sunnites, pas de chiites, toutes nos demandes sont légitimes. Mon peuple veut la démocratie, une constitution et la liberté. »
Les États-Unis et les autres puissances occidentales sont très inquiètes des développements au Bahreïn. Peter Goodspeed, dans le National Post canadien, a commenté candidement le 14 février : « Mais si Bahreïn devait voir le même genre de transformation démocratique que l'Égypte vient de connaître, les ramifications pour la politique étrangère américaine pourraient être graves, Bahreïn accueille le quartier général de la cinquième flotte américaine, permettant aux États-Unis de stationner 15 navires de guerre, y compris un groupe d'avions de combat, en plein coeur du golfe Persique. »
« Cet Etat insulaire au large de l'Arabie Saoudite donne à Washington une base parfaite d'où il peut protéger le flux du pétrole dans le golfe Persique, garder un oeil sur l'Iran et soutenir les monarchies pro-occidentales du Golfe contre des menaces potentielles. »
Les manifestants au Bahreïn ont eu droit à un rappel concret du soutien américain à la famille royale réactionnaire de ce pays. Une photographie prise par le chef des Affaires étrangères au Centre pour les droits de l'homme de Bahreïn, Maryam Alkhawaja, montre des cartouches de gaz lacrymogène produites aux États-Unis utilisées ces derniers jours contre les manifestants. Le gaz vient de l'entreprise NonLethal Technologies à Homer City, en Pennsylvanie.
Un communiqué diplomatique datant de décembre 2009, publié par WikiLeaks et le Guardian le 15 février, se vante des milliards qui affluent vers les entreprises américaines en contrat avec Bahreïn ainsi que des « relations excellentes » dont jouissent les représentants de son gouvernement à Washington.
Yémen
La police a tué deux manifestants dans la plus grande ville du Sud du pays, Aden, et blessé au moins quatre autres, au moment où le gouvernement a accentué sa campagne de violences et d'intimidations. Un jeune homme de 21 ans, Mohamed Ali Alwani, a été abattu après que la police a attaqué les manifestants, a dit son père. L'autre mort a été identifié comme étant Yassin Askar. Mercredi a marqué le sixième jour durant la dernière vague de manifestations au Yémen.
D'après Al Jazeera, la police d'Aden a tiré en l'air pour disperser environ 500 manifestants ; l'une des victimes a été touchée dans le dos. Les manifestants ont lancé des pierres aux policiers, mis le feu à des pneus et des véhicules et sont entrés de force dans un bâtiment public. D'après Associated press, les manifestations dans le district de Mansoura, « comprenaient des étudiants et des travailleurs. »
Les forces antigouvernementales à Aden ont chanté « le peuple veut renverser le régime, » et « il est temps de partir, Ali » désignant le dictateur yéménite soutenu par les États-Unis, le président Ali Abdullah Saleh. Des centaines de gens se sont rassemblés dans la nuit du mercredi devant les quartiers généraux de la police à Mansoura, demandant la libération de ceux qui avaient été faits prisonniers durant les manifestations au début de la journée. Ils ont exprimé leur indignation face aux fusillades mortelles.
À Taiz, au Sud-Ouest du Yémen, des milliers d'étudiants continuent à se battre contre le régime, occupant les rues et jurant qu'ils vont rester là jusqu'à ce que Saleh quitte le pouvoir. La police de Taiz en a arrêté plus de 100, et 30 étudiants ont été blessés dans des attaques lancées par des voyous pro-Saleh.
Dans la capitale Sanaa, des centaines d'étudiants se sont rassemblés pour manifester, mais se sont fait attaquer par des forces pro-gouvernementales, armées de bâtons, de pierres et de dagues en bois. « Les voyous et les soutiens du parti au pouvoir [le Congrès général du peuple, de Saleh] [...] veulent massacrer les étudiants, » a déclaré Radwan Massoud, dirigeant du syndicat étudiant de l'université de Sanaa. Massoud a ajouté que 10 étudiants avaient été blessés durant l'attaque.
Le 16 février également, 120 juges ont organisé pour le deuxième jour de suite un sit-in devant le ministère de la justice de Sanaa, demandant une plus grande indépendance pour le système judiciaire et le renvoi de tout le Conseil supérieur de la magistrature, y compris le ministre de la justice. Ils demandent également des salaires plus élevés.
À noter que l'Agence France-presse (AFP) relate que « les travailleurs à Sanaa se sont également rassemblés dans diverses entreprises publiques pour exiger que leurs directions démissionnent. Ils appelaient également à des hausses de salaires. »
En réponse à cette agitation, Saleh a annulé une visite prévue à Washington, où il devait rencontrer ses protecteurs.
L'opposition officielle, le JMP (Joint meeting parties, ou Common Forum), est toujours actif, mais selon le New York Times, « une fracture est en train d'émerger entre les organisateurs étudiants, qui ont appelé à la démission du président, et les groupes d'opposition établis [...] qui préféreraient avancer plus lentement vers des réformes politiques. »
Abdullah Al-Faqih, professeur de science politique à l'Université de Sanaa, a déclaré au Guardian : « C'est ce que le parti de Saleh au pouvoir et l'opposition craignaient le plus - des manifestations bruyantes et violentes organisées par les gens qui n'ont aucune allégeance envers aucun des partis politiques. »
Libye
Des manifestations ont éclaté mardi et mercredi dans la ville de Benghazi à l'Est de la Libye, apparemment déclenchées par l'arrestation d'un avocat spécialisé dans les droits de l'homme, Fathi Terbil. La BBC a rapporté que Terbil « représente les familles de plus de 1000 prisonniers qui auraient été massacrés par les forces de sécurité à la prison d'Abu Salim à Tripoli en 1996. Il aurait été libéré depuis. »
D'après les reportages, les familles des victimes de ces massacres ont commencé à protester contre l'incarcération de Terbil en dehors des quartiers généraux de la police dans la nuit de mardi, lorsque des témoins les ont rejoints, commençant à chanter des slogans contre le gouvernement. La manifestation, qui comptait jusqu'à 2000 personnes, a duré toute la nuit et a repris le mercredi matin. La police, tirant avec des balles en caoutchouc, et des éléments pro-gouvernement ont violemment dispersé la foule.
Al Jazeera relate que deux individus, Khaled El Naji Khanfar et Ahmad Shoushaniya, ont été tués par la police durant des manifestations dans la ville d'Al Bayda, à l'Est de Benghazi, le mercredi. Des centaines de manifestants auraient mis le feu à un commissariat de police ; 38 personnes auraient été blessées.
À Zentan, 120 kilomètres au Sud de Tripoli, les manifestants ont marché dans les rues et mis le feu aux quartiers généraux de la sécurité et à commissariat de police, écrit Al Jazeera.
Un « jour de rage, » organisé par Internet, était prévu le 17 février en Libye, appelant à la fin du régime. Le colonel Muammar Khaddafi dirige ce pays d'Afrique du Nord riche en pétrole depuis 1969.
Irak
La vague de manifestations en Irak contre la corruption du gouvernement, le chômage et les services publics en déliquescence est entrée dans une nouvelle étape mercredi.
Une manifestation de 2000 personnes contre le manque d'emplois et d'électricité dans la ville de Kut à l'Est du pays, 160 Km au Sud de Bagdad, s'est terminée dans le sang lorsque des gardes privés employés par le gouvernement provincial ont tiré directement dans la foule. Les reportages divergeaient sur le nombre de victimes, entre une et trois ; et une cinquantaine de gens ont été blessés. L'un des morts est un garçon de 16 ans qui a reçu une balle dans la poitrine.
Après cette fusillade devant les bâtiments du gouvernement de la province de Wasit, la foule enragée a attaqué le bâtiment, un témoin a raconté au Washington Post, « alors que le gouverneur s'enfuyait par la porte arrière avec ses gardes du corps [...] la télévision irakienne montrait de la fumée noire s'élevant du bâtiment et les manifestants passaient par-dessus les murs pour entrer. D'autres membres du Conseil provincial se seraient également échappés, et l'armée irakienne a été appelée pour maîtriser la situation. »
D'après l'agence de presse chinoise Xinhua, « des renforts des forces de sécurité irakiennes se sont rués dans la ville et ont bloqué les entrées de la ville pour empêcher les gens des banlieues et des villages alentour de se déverser dans la ville pour soutenir les manifestants, ajoutait la source. »
La foule aurait mis le feu à trois bâtiments, les bureaux du conseil de la province de Wasit, le principal bâtiment de l'administration du gouverneur, et la résidence officielle de celui-ci.
Le New York Times a cité les commentaires de l'un des manifestants, Ali al-Wasity : « Nous avions une délégation qui est allé demander au gouverneur de démissionner [...] Ils ont refusé de sortir et de nous parler. » Lorsque les officiers en charge de la sécurité ont ouverts le feu, poursuit Wasity, « Je sentais que nous ne sommes pas un pays libre, » a-t-il dit. « Nous sommes sous une dictature. Je leur dis une chose : nous n'allons pas nous arrêter de manifester tant que le gouverneur ne démissionne pas et ne s'en va pas.
« Nous avons reçu de nombreux appels de partout dans la province, et ils nous disent qu'ils vont nous rejoindre, [...] maintenant, il y a un couvre-feu, mais nous n'allons pas nous arrêter là. Nous allons le refaire, encore et encore. » Poursuit Wasity dans cet article.
(Article original paru le 17 février 2011)
Voir aussi:
Notre couverture sur les soulèvements en Afrique du Nord et Moyen-Orient