Par Bill Van Auken
18 février 2011
Lundi, des milliers de manifestants sont sortis dans les rues de Téhéran et d'autres villes iraniennes, en réponse à un appel de l'ancien candidat à la présidence, Mir Hossein Moussavi, et du chef de l'opposition, Mehdi Karroubi, à aller manifester. Ces protestations sont présentées comme un geste de solidarité envers les récents soulèvements de masse qui ont renversé les régimes du président Zine El Abidine Ben Ali en Tunisie et du président Hosni Moubarak en Égypte.
Les manifestations, dirigées contre le gouvernement et en particulier contre le Guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, la personne du clergé la plus puissante dans le régime, avaient été interdites. Elles ont dû faire face à une répression rapide par la police et des membres de la milice Basij. Des sources officielles à Téhéran ont confirmé que deux hommes avaient été tués dans les protestations. On a rapporté des dizaines de blessés et les médias évaluent que plusieurs centaines de personnes auraient été arrêtées, jusqu'à 1500 selon les sources.
À ce point-ci, il n'est pas clair si ces manifestations sont la continuation des protestations de droite déclenchées avec le soutien des États-Unis en réaction à la défaite de Moussavi lors de l'élection présidentielle de 2009, ou si elles reflètent le mécontentement social qui déferle sur le Moyen-Orient. Les journalistes étrangers se sont vu interdire la couverture de ces manifestations par le gouvernement. La plupart des médias occidentaux ont basé leurs reportages sur des données fournies par le Mouvement vert, dirigé par Moussavi et Karroubi, et teintées de l'hostilité de Washington envers le régime iranien.
Il semble cependant évident que la sévère répression exercée par le gouvernement iranien reflète ses craintes que, comme en Tunisie et en Égypte, les manifestations aient le potentiel d'exploiter à leur avantage la colère des masses générée par la hausse des prix, du chômage et des inégalités sociales.
Le gouvernement iranien a dénoncé les manifestations pour avoir miné ses tentatives de se servir de la révolution égyptienne pour ses propres intérêts stratégiques et politiques. « Bien que le noble message de la révolution islamique inspire maintenant après 32 ans les gens en Tunisie et en Égypte à ébranler les piliers de l'hégémonie mondiale, Moussavi et Karroubi ont invité les gens à manifester en appui aux gens en Égypte, mais ils avancent en fait le programme des États-Unis et du régime sioniste », a communiqué un groupe de 233 membres pro-gouvernementaux du parlement dans une déclaration publiée mardi.
La réalité est que la révolution iranienne de 1979, qui a renversé la dictature détestée du Shah, était, tout comme la révolution qui a évincé le régime, soutenu par les États-Unis, de Moubarak en Égypte, surtout un soulèvement laïque dominé par les travailleurs et les opprimés d'Iran. Ce sont les trahisons des directions déjà existantes du mouvement ouvrier - en particulier celles du parti Tudeh stalinien - qui ont permis à l'ayatollah Khomeini et au clergé chiite de prendre le contrôle, réprimer les sections les plus militantes et subordonner la révolution aux intérêts de la bourgeoisie iranienne.
Si le régime craint maintenant la possibilité que les travailleurs iraniens s'impliquent dans un mouvement de masse similaire à celui de leurs homologues en Égypte, c'est que le gouvernement du président Mahmoud Ahmadinejad est en train de mettre en oeuvre les « réformes de libre-marché » les plus drastiques que le régime ait osé appliquer depuis 1979.
Soutenues par le Fonds monétaire international et l'élite dirigeante iranienne, les « réformes » ont débuté en décembre dernier avec le lancement d'un programme abandonnant le régime national de 100 milliards de dollars de subvention des prix. L'effet immédiat a été un quadruplement du prix de l'essence et l'augmentation radicale des prix des denrées alimentaires, des tarifs pour l'eau et l'électricité, et du coût d'autres produits de base.
Le Mouvement vert, loin de s'opposer à ces mesures, a critiqué le gouvernement pour ne pas les avoir appliquées plus rapidement et plus agressivement. Reflétant les intérêts des couches plus privilégiées de la société iranienne, le mouvement a dénoncé Ahmadinejad comme étant un populiste pour avoir « gaspillé » des ressources sur des programmes d'aide pour les sections les plus pauvres de la population.
Le Mouvement vert a tout d'abord lancé les protestations en 2009, Moussavi et ses partisans soutenant que l'élection était frauduleuse et qu'Ahmadinejad et ses partisans avaient truqué les résultats. Aucune preuve crédible n'a été présentée pour appuyer cette affirmation, et tant les sondages de firmes iraniennes qu'occidentales ont confirmé le vote. La croyance des verts en la victoire électorale de Moussavi a été largement alimentée par son avance dans les régions les plus riches de Téhéran, d'où la fameuse « Révolution verte » a émergé.
Le développement d'un mouvement révolutionnaire de masse des travailleurs et opprimés iraniens viendrait en conflit immédiat non seulement avec le gouvernement, mais aussi avec cette opposition de droite bourgeoise, qui a des intérêts complètement opposés à ceux des masses laborieuses.
Plusieurs jeunes iraniens seront sans aucun doute inspirés par les événements révolutionnaires en Égypte, en Tunisie et ailleurs dans la région. La question décisive dans le développement d'un véritable mouvement révolutionnaire pour les droits démocratiques et l'égalité sociale, demeure toutefois la rupture politique avec les mouvements organisés par des sections de l'élite dirigeante elle-même. Celles-ci s'opposent au gouvernement par la droite, ne désirant que l'accélération de leur programme de « libre-marché » puis des relations plus amicales avec l'impérialisme américain. Les droits démocratiques, l'égalité sociale et l'indépendance véritable face à l'impérialisme ne peuvent être atteints sous un front commun avec les politiciens bourgeois de droite comme Moussavi et les vestiges de la dynastie Pahlavi.
L'indépendance politique envers de telles forces peut être établie seulement sur la base d'un tournant vers la mobilisation indépendante de la classe ouvrière et des masses opprimées, se fondant sur un programme socialiste et internationaliste. L'outil que les travailleurs iraniens doivent construire pour mettre sur pied une telle perspective est un parti en solidarité politique avec le Comité international de la Quatrième Internationale et en opposition aux politiques pro-capitalistes et droitières du Mouvement
vert.
Cependant, dans la mesure où les protestations demeurent sous le contrôle politique du Mouvement vert, elles servent la réaction sociale non seulement en Iran mais internationalement, en apportant de l'eau au moulin de la propagande impérialiste américaine.
Washington a cherché à utiliser les manifestations en Iran pour mettre de l'avant sa propre stratégie de « changement de régime » en Iran et pour détourner l'opinion publique de la débâcle encaissée par la politique américaine en Égypte et en Tunisie, et surtout de sa responsabilité criminelle dans le soutien des régimes dictatoriaux de Moubarak et de Ben Ali.
Mardi, le président Obama a dit qu'il est « ironique que le régime iranien prétende célébrer les événements survenus en Égypte », déclarant que les autorités iraniennes « agissent à l'opposé de ce qui est arrivé en Égypte » en employant la répression contre les protestataires. Le fait que plusieurs centaines d'Égyptiens aient été tués lors du soulèvement contre Moubarak et que des milliers d'autres personnes aient été blessées, emprisonnées et torturées a été retiré du compte-rendu officiel américain du « mouvement pour la démocratie » en Égypte.
En faisant ces commentaires, Obama a fait l'éloge de l'armée égyptienne, appuyée par les États-Unis, qui a pris le contrôle de l'État et qui tente d'étouffer les grèves et les manifestations qui se poursuivent.
La secrétaire d'État américaine, Hillary Clinton, a fait un discours lundi dénonçant l'Iran pour avoir réprimé les manifestations, accusant Téhéran d' « hypocrisie » pour avoir appuyé les manifestations en Égypte tout en les interdisant en Iran. Elle a déclaré que Washington soutenaient les « droits de l'homme universels du peuple iranien ».
Il n'y avait visiblement aucune mention dans ses commentaires sur les droits que Washington voudrait supposément accorder aux peuples qui se soulèvent contre les dictatures et les monarchies restantes soutenues par les États-Unis, que ce soit au Yémen, au Bahreïn, en Jordanie ou en Arabie Saoudite.
Alors que le renversement du gouvernement iranien et son remplacement par un régime directement subordonné aux intérêts américains demeure un objectif stratégique de l'impérialisme américain, Washington traiterait l'émergence d'un mouvement véritablement révolutionnaire de la classe ouvrière iranienne - une opposition venant de la gauche et non de la droite - avec la même hostilité qu'il réserve aux luttes indépendantes des travailleurs en Tunisie, en Égypte et dans les pays à travers la région.
(Article original paru le 16 février 2011)