Rebelote. Outre Ben Ali, Dominique Strauss-Kahn avait également rendu hommage, en tant que directeur général du FMI, au président Hosni Moubarak pour la « performance économique » de l'Égypte. Sans un mot pour dénoncer la corruption généralisée et les atteintes aux droits de l'homme.
par Hicham Hamza
Nicolas Sarkozy et François Fillon ne sont pas les seuls hommes d'Etat à s'être compromis avec le régime autoritaire de Hosni Moubarak. Le 15 septembre 2008, le Fonds Monétaire International avait publié un communiqué éloquent de son directeur, Dominique Strauss-Kahn, à propos de son déplacement en Égypte.
Extraits : « C'est ma première visite en Égypte en tant que Directeur général du FMI. J'ai félicité le Président Hosni Moubarak, et le Premier ministre Ahmed Nazif, et l'équipe économique à propos de l'impressionnante performance économique de ces dernières années(...). Le programme des réformes a non seulement galvanisé la confiance des investisseurs locaux mais il a également fait de l'Égypte une destination de choix pour les investisseurs internationaux ».
Après une brève allusion critique au sujet des subventions qui devraient être « mieux ciblées en direction des pauvres », le commentaire du responsable du FMI se conclut sur une note positive : « Le secteur financier est déjà robuste et paré aux chocs mais j'ai bien accueilli les efforts en cours pour renforcer davantage sa supervision. J'ai assuré au Président Moubarak et à l'équipe chargée de sa politique économique que le Fonds continuera à fournir ses conseils et son soutien à la prolongation des réformes actuelles en Égypte ».
Dix-huit mois plus tard, le satisfecit général sera maintenu. Lors d'une réunion qui s'est tenue le 24 mars 2010, le Conseil exécutif du FMI s'est révélé particulièrement élogieux envers le gouvernement égyptien : à la page 54 de son rapport consacré au pays, les « directeurs exécutifs saluent le management macroéconomique solide des autorités » ainsi que « les réformes inaugurées en 2004 qui ont renforcé la résilience de l'économie égyptienne face à la crise financière globale ».
Dominique Strauss-Kahn, l'homme qui pourrait incarner la gauche lors des prochaines élections présidentielles, n'a pas émis de critique publique sur la question des droits de l'homme ou sur celle -plus en adéquation avec son rôle de grand argentier- de la [corruption avérée] du système Moubarak. Ce silence rappelle son attitude à l'égard du président déchu de Tunisie : le mois dernier, les lecteurs de la presse généraliste avaient pu découvrir, avec plusieurs jours de retard par rapport aux internautes, son indulgence passée envers Ben Ali en raison d'une seule et même justification récurrente : la croissance économique du pays. Hosni Moubarak, atteint aujourd'hui de surdité politique envers ses millions de concitoyens qui le pressent de partir, a visiblement bénéficié du même traitement de faveur de la part du socialiste français.
Ironie du sort, la tourmente égyptienne a déjà provoqué un dommage collatéral au sein du FMI : Youssef Boutros-Ghali, ministre des Finances depuis 2004, n'a pas été reconduit lors de la récente nomination d'un nouveau gouvernement. En conséquence, il a dû se résigner à quitter dans la foulée le poste qu'il occupait également dans l'organisation basée à Washington. Le 4 février, il a démissionné de la direction du Comité monétaire et financier international, un organisme consultatif auprès du FMI.
La double casquette singulière de l'Égyptien, à la fois juge et partie, pouvait sans doute expliquer, en partie, la complaisance de Dominique Strauss-Kahn envers Hosni Moubarak. Pourtant, deux jours à peine avant le début des manifestations, le quotidien indépendant Al-Masri Al-Youm avait indiqué que le chef de la mission du FMI pour l'Égypte, Alan MacArthur, avait vivement recommandé au gouvernement de cesser au plus tôt ses subventions aux produits pétroliers, celles-ci ne profitant qu'aux classes les plus aisées. Il était cependant déjà trop tard.
Désormais, le FMI a beau jeu de garantir qu'il est disposé, au regard de la situation actuelle, à venir en aide au pays. Quant aux manifestants qui continuent d'exiger - en ce jour - le départ du Rais, ils seront par la suite ravis d'apprendre que les deux probables concurrents pour diriger la France ont chacun, à leur manière, fermé les yeux sur les exactions du régime policier de Moubarak. Outre les ambitions personnelles, la sacro-sainte préoccupation diplomatique de « stabiliser la région » avec un Etat fort, fut-il corrompu et tyrannique, vaut bien de détourner le regard ailleurs.