09/02/2011 tlaxcala-int.org  6min #49058

 La crise égyptienne et le dilemme de la politique étrangère des Usa : Washington mise sur la stratégie du Guépard

Qui est Omar Souleymane ?

Jane Mayer
Traduit par Michèle Mialane

Omar Souleymane, un des “hommes nouveaux” présentés comme alternative possible au Président Moubarak, n’est pas si nouveau que ça pour tous ceux qui suivent la politique des USA en matière de transfert des personnes suspectes de terrorisme. Après avoir dissous son gouvernement, Moubarak a nommé Souleymane vice-président. Selon de nombreux commentateurs, il se positionne en successeur potentiel de Moubarak et se présente comme une alternative au fils de celui-ci, Gamal, qui devait hériter de la présidence. Souleymane est une pointure bien connue à Washington. Aimable, raffiné et parlant couramment l’anglais, il a longtemps fait office de canal principal entre Moubarak et les USA. Il est certes connu pour être loyal et efficace, mais pour ceux qui souhaiteraient quelqu’un d’irréprochable en matière de droits humains, son passé douteux pose problème. Comme je l’ai exposé dans mon livre „ The Dark Side “[Le côté obscur, Ndlt], Souleymane est depuis 1993 le chef des redoutés services secrets égyptiens. Dans ce cadre il a été en Égypte la tête de pont de la CIA pour les “transferts”, le programme secret de la CIA pour enlever dans le monde entier les suspects de terrorisme et les ramener en Égypte ou ailleurs pour y subir des interrogatoires souvent très musclés.

Ainsi que Stephen Grey l’expose avec beaucoup plus de détails dans son livre „ Ghost Plane “, Souleymane a traité directement avec des responsables de la CIA à partir des années 90. Les services secrets égyptiens et usaméricains ont donné leur feu vert au plus haut niveau pour chacun de ces transferts. Edward S. Walker Jr., ex-ambassadeur des USA en Égypte, a décrit Souleymane comme « très intelligent et très réaliste », en ajoutant toutefois qu’il était parfaitement conscient que « certaines choses négatives auxquelles les Égyptiens prêtaient la main: torture etc. comportaient [leur part d’ombre]. Au reste il ne faisait pas la petite bouche. »

À vrai dire le droit usaméricain obligeait la CIA à se faire donner par l’Égypte « l’assurance » que le suspect transféré ne serait pas torturé. Mais sous la direction de Souleymane ces assurances étaient considérées comme pratiquement sans valeur. Michael Scheuer, un ex-agent de la CIA qui a contribué à mettre sur pied le programme de transferts a par la suite témoigné devant le Congrès que « même si ces assurances étaient écrites à l’encre indélébile, elles ne valaient même pas le papier sur lequel elles étaient couchées. »

ACTUALISATION: On trouvera dans le livre de Ron Suskind „ The One Percent Doctrine “ d’autres preuves du rôle joué par Souleymane dans le programme de transferts. Katherine Hawkins, une avocate des droits humains au regard acéré, qui a fait les recherches pour mon livre, précise que selon Suskind, Souleymane a été l’agent de liaison avec la CIA pour le transfert d’Ibn Cheikh Al Libi, suspect d’appartenance à Al Qaïda. Le cas Libi est particulièrement controversé, essentiellement parce qu’il a joué un rôle pour accréditer les justifications de l’invasion usaméricaine en Irak.

Fin novembre 2001 les autorités pakistanaises enlevèrent Libi et le remirent à des fonctionnaires des USA au camp de Bagram, en Afghanistan, pour y être interrogé. L’interrogatoire fut conduit par deux agents new-yorkais du FBI, riches d’années d’expérience anti-terroriste. Ils étaient convaincus que Libi leur permettrait de grandes avancées, c’est à dire leur fournirait des renseignements précieux et opérationnels. Mais à leur retour à Washington, une dispute éclata entre le FBI et la CIA : par qui devaient être conduits ces interrogatoires ? Suskind écrit :

« La dispute remonta toutes les instances jusqu’à Mueller (Robert, chef du FBI) et Tenet (George, chef de la CIA). Ce dernier alla demander directement l’appui de Bush et Cheney, et l’obtint. Al Libi fut emmené au Caire, enchaîné et les yeux bandés, et là remis à Omar Souleymane, chef des services secrets et ami personnel de Tenet. »

Le traitement subi par Libi au cours de son interrogatoire en Égypte par les services secrets du pays est connu dans ses moindres détails grâce à un rapport rendu par la Commission spéciale sur le renseignement du Sénat US, qui regroupe des sénateurs des deux partis, et publié en 2006. Selon ce rapport, Libi aurait dit plus tard à la CIA que les autorité s égyptiennes, dont l’insatisfaction devant son manque de coopération allait croissante, l’avaient enfermé durant 80 heures dans un cage minuscule, puis l’en avaient sorti, jeté à terre et tabassé durant un quart d’heure. Les fonctionnaires égyptiens auraient obligé Libi, qui connaissait personnellement Ben Laden à confirmer les dires de l’administration Bush faisant état d’un lien entre Saddam Hussein et Al Qaïda. Les Égyptiens voulaient avant tout que Libi certifie que les Irakiens étaient sur le point de livrer à Al Qaïda des armes biologiques et chimiques. En cherchant à obtenir à toute fin ce résultat, il semble que les Égyptiens aient voulu satisfaire les USA, qui étaient à la recherche d’une justification pour déclarer la guerre à l’Irak. Libi finit par céder sous la pression. Des détails tirés de ses « aveux » furent insérés par Colin Powell, le Secrétaire d’État de l’époque, dans son discours décisif aux Nations unies de février 2003, où il plaidait pour l’entrée en guerre.

Mais quand, des années après l’invasion de l’Irak par les USA, on ne put découvrir aucune trace d’armes de destruction massive ou de liens entre Ben Laden et Saddam Hussein, Libi revint sur ses aveux. Au FBI qui lui demanda par la suite pourquoi il avait menti, il rejeta la faute sur la brutalité des services secrets égyptiens. Michael Isikoff et David Corn furent les premiers à rapporter, dans leur livre „ Hubris “, les déclarations de Libi : « Ils allaient me tuer » et « il fallait que je leur dise quelque chose, n’importe quoi. »

Note de Tlaxcala : Libi a été par la suite « trouvé mort dans sa cellule ». Il s’agissait apparemment d’un « suicide ».


Courtesy of  Tlaxcala
Source:  newyorker.com
Publication date of original article: 29/01/2011
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