Atilio A. Boron
Traduit par Chloé Meier
Edité par Fausto Giudice
Hier, 30 janvier 2011, Hillary Clinton a déclaré à la presse qu'en Égypte, il fallait à tout prix éviter une vacance du pouvoir. Que la Maison Blanche avait pour objectif une transition organisée vers la démocratie, la réforme sociale et la justice économique, que Hosni Moubarak était le président de l'Égypte et que seul comptait le processus, la transition. Contrairement à ce qui s'est produit à une autre occasion, le président Obama n'exigerait pas du chef tombé en disgrâce qu'il quitte ses fonctions.
Hillary Clinton tente de deviner les intentions démocratiques de Moubarak
Carter et le Shah inspectent des troupes US
Comme on pouvait s'y attendre, les déclarations de la secrétaire d'État reflètent la conception géopolitique immuable adoptée par les USA depuis la Guerre des six jours, en 1967, et dont la portée s'est étendue après l'assassinat d'Anouar Sadate en 1981 et l'accession au pouvoir du vice-président d'alors, Hosni Moubarak. Sadate, qui avait été le premier chef d'un pays arabe à reconnaître l'État d'Israël et à signer un traité de paix avec ce pays le 26 mars 1979, était devenu une pièce maîtresse pour les USA et pour Israël – et de ce fait, l'Égypte aussi. Héritage de cinq guerres et cause de négociations de paix interminables, les doutes et les rancœurs que Sadate et le premier ministre israélien Menahem Begin éprouvaient l'un envers l'autre ont été balayés sur le champ lorsque ceux-ci ont appris, tout comme le président Jimmy Carter, qu'un allié stratégique pro-US de la région, le shah d'Iran, venait d'être renversé par une révolution populaire et avait trouvé refuge en Égypte. La république islamique était en train de naître, conduite par l'Ayatollah Rouhollah Khomeiny, pour qui les USA et l'ensemble de la "civilisation américaine" incarnaient le "Grand Satan", l'ennemi juré de l'Islam.
Dans ce contexte, les exhortations adressées par le président Obama et par sa secrétaire d'État pour qu'un régime corrompu et répressif comme peu d'autres – et que les USA ont soutenu et financé pendant des décennies – emprunte calmement le chemin des réformes sociales, économiques et politiques relèvent d'une hypocrisie intolérable. Un régime où Washington pouvait faire torturer des prisonniers sans être gêné par des restrictions légales. Un régime grâce auquel la cellule de la CIA au Caire pouvait mener sa "guerre contre le terrorisme" sans rencontrer d'obstacles d'aucune nature. Un régime qui, ayant bloqué internet et la téléphonie mobile, n'a suscité qu'une réaction modérée de la part de Washington. Cette réaction aurait-elle été aussi tiède si Hugo Chávez avait commis de pareilles violences ?
Francisco Urcuyo "l'éphémère" de 1979
Comme Moubarak semble avoir franchi un point de non-retour, Obama cherche à construire un "moubarakisme" sans lui, à garantir la continuité de l'autocratie pro-américaine en remplaçant l'autocrate de manière opportune. Comme le disait l'un des personnages du roman Le Guépard, de Giuseppe Tomasi, “Il faut tout changer pour que rien ne change”. Au Nicaragua, avant l'effondrement du somozisme, c'est la formule que Washington a vainement tenté d'imposer en faisant appel à une personnalité du régime, Francisco Urcuyo, président du Congrès national, dont la première et pratiquement dernière initiative a été d'appeler le Front sandiniste, qui avançait des quatre coins du pays en écrasant la Garde nationale, à déposer les armes. Quelques jours plus tard, c'est lui qui s'est vu déposer, devenant ainsi '"Urcuyo l'éphémère", un surnom populaire encore utilisé aujourd'hui.
Somoza renversé après 43 ans de dictature
Actuellement, la Maison Blanche poursuit une stratégie du même ordre : elle a fait pression sur
Omar Souleymane avec Tzipi Livni
Moubarak pour qu'il désigne un vice-président, en espérant ne pas rééditer le fiasco nicaraguayen. Or, Moubarak a fait le choix le plus inadéquat qui soit en optant pour le chef des services de renseignements de l'armée, Omar Souleymane, un homme encore plus réfractaire que Moubarak à l'ouverture démocratique et dont le curriculum ne correspond pas précisément aux aspirations de la population qui exige la démocratie. Alors que celle-ci, descendue dans la rue, s'attaque à de nombreux postes d'une police qu'elles tient en horreur ainsi qu'aux sièges des espions, indics et autres services de renseignements étatiques – qu'elle n'apprécie guère davantage – Moubarak désigne justement le chef de ces services pour diriger les réformes démocratiques. C'est une plaisanterie de fort mauvais goût, et les Égyptiens, l'ayant perçue comme telle, ont continué à occuper les rues, convaincus que l'heure de Moubarak avait sonné et qu'il fallait exiger son retrait pur et simple du pouvoir.
Obama done l'accolade à son client Mubarak
Selon la tradition du socialisme marxiste, il y a situation de révolution dès le moment où ceux d'en haut ne peuvent plus gouverner comme avant et que ceux d'en bas ne veulent plus être gouvernés comme avant. En l'occurrence, ceux d'en haut ne peuvent plus gouverner comme avant parce que la police a perdu les combats de rue et que non seulement les soldats, mais également les gradés de l'armée fraternisent avec les manifestants au lieu de les réprimer. Il ne serait pas étonnant de voir des canaux de fuite, du genre de WikiLeaks, révéler d'intenses pressions exercées par la Maison Blanche pour que l'ancien despote quitte l'Égypte au plus vite afin d'éviter une réédition de la tragédie de Téhéran. Les perspectives qui s'ouvrent pour les USA sont peu nombreuses et mauvaises :
a) Ils soutiennent le régime actuel, mais le prix politique à payer pour défendre leurs positions et leurs privilèges dans cette région déterminante du monde sera phénoménal – et pas seulement dans le monde arabe.
b) Une alliance civile-militaire prend le pouvoir, au sein de laquelle les opposants à Moubarak seront appelés à avoir une influence croissante.
c) Le pire cauchemar, la vacance de pouvoir se produit et le mouvement islamiste des Frères musulmans s'installe de force au gouvernement.
Quelle que soit l'hypothèse, les choses ne seront plus comme avant. Même dans la variante la plus modérée, la probabilité qu'un nouveau régime égyptien demeure fidèlement et inconditionnellement à la botte de Washington est extrêmement faible. Et si le radicalisme islamiste l'emportait, la situation des USA et d'Israël dans la région deviendrait extrêmement vulnérable : l'effet domino de la crise, qui a commencé en Tunisie et a atteint l'Égypte, se fait maintenant sentir chez d'autres alliés des USA, comme la Jordanie et le Yémen, ce qui pourrait de surcroît aggraver l'échec militaire en Irak et précipiter la débâcle en Afghanistan. Dans ces circonstances, le conflit palestino-israélien prendrait des résonnances inédites, dont l'écho porterait jusqu'aux somptueux palaces des émirats du Golfe et même de l'Arabie Saoudite, bouleversant totalement et irrémédiablement l'échiquier politique et économique mondial.
Le peuple égyptien est dans la rue
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Source: atilioboron.com
Publication date of original article: 31/01/2011
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