France-Soir
Guerre en Ukraine : Feu vert de Paris, Berlin et Washington à Kiev pour frapper le territoire russe, Moscou avertit contre des "erreurs de calculs"
AFP
Les "provocations" de l'OTAN se concrétisent. Au moment où le président Emmanuel Macron effectuait sa visite en Allemagne, durant laquelle il a ouvert, avec le chancelier Olaf Scholz, la porte à l'usage des missiles français et allemands pour frapper le territoire russe, l'administration Biden a autorisé Kiev à attaquer des cibles en Russie. Les trois dirigeants occidentaux entonnent en chœur leurs décisions de "ne pas participer à l'escalade", bien que Berlin débatte depuis des mois sur un retour à la conscription obligatoire pour 900 000 personnes afin de préparer l'Allemagne à une éventuelle guerre. Moscou regrette les "erreurs de calculs" des Occidentaux, particulièrement des États-Unis.
Le 24 mai dernier, le Secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, affirmait que "le moment était venu pour les alliés de l'Ukraine de réfléchir à la question de savoir" s'ils devaient autoriser des attaques sur le territoire russe avec du matériel fourni par l'Occident. "L'Ukraine a le droit de se défendre, y compris attaquer des cibles sur le territoire russe", avait-il déclaré, ajoutant que "certains alliés ont déjà levé cette restriction pour permettre à l'Ukraine de frapper des cibles militaires en profondeur sur le sol Russe, et je pense qu'il est temps pour les membres de l'OTAN de faire de même".
Macron veut des frappes "en profondeur", Berlin essaie de mobiliser les Allemands
Son appel n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd. Loin de là. La question était déjà débattue aussi bien aux États-Unis qu'en Europe. Et si de nombreux membres de l'alliance transatlantique se montraient réticents, à Berlin, Paris où Washington, ces hésitations ne sont plus à l'ordre du jour.
Après avoir proposé l'envoi de troupes occidentales au sol sur le champ de bataille, Emmanuel Macron, en visite fin mai en Allemagne, a ouvert la porte à un usage d'équipements transatlantiques. L'Ukraine, estime-t-il, devrait avoir la possibilité de procéder à des frappes, "en profondeur", sur le sol russe, pour neutraliser les sites militaires depuis lesquels ils sont agressés". Néanmoins, le chef de l'État écarte "les autres cibles [civiles ou militaires] en Russie" pour éviter le risque d'escalade.
"Nous soutenons l'Ukraine pour résister et défendre son territoire, et nous ne voulons pas d'escalade", affirme-t-il. Mais "ce qui a changé, c'est que la Russie a un peu adapté ses pratiques. Le sol ukrainien est attaqué de fait depuis des bases, et qui sont en Russie. Alors, comment on explique aux Ukrainiens qu'il va falloir protéger ces villes et, au fond, tout ce qu'on voit en ce moment autour de Kharkiv, si on leur dit : ‘vous n'avez pas le droit d'atteindre le point d'où sont tirés les missiles ?'", justifie Macron.
Son hôte, le chancelier allemand Olaf Scholz, reprend le même argumentaire pour justifier une décision déjà prise. Berlin autorise déjà l'Ukraine à utiliser ses armes, comme des chars, contre des cibles militaires en Russie. Il affirme qu'un tel usage "n'entraînera pas une escalade" car "il s'agit seulement de pouvoir défendre une grande ville comme Kharkiv", théâtre d'une bataille dominée par la Russie depuis de nombreuses semaines.
Pourtant, dans "l'hystérie militaire" qui règne en Europe, l'Allemagne débat depuis des mois du retour du service militaire obligatoire, abandonné en 2011 sous Angela Merkel. "Je suis convaincu que l'Allemagne a besoin d'une sorte de conscription militaire", a déclaré début mai le ministre de la Défense, Boris Pistorius.
Un service obligatoire ou pas ? La question n'est pas encore tranchée. Un mois auparavant, le ministère de la Défense évoquait trois possibilités : inciter les Allemands à s'engager, rendre la conscription obligatoire pour tout citoyen de 18 ans et plus ou choisir jusqu'à 40 000 personnes par an pour servir l'armée. Plusieurs partis politiques, dont le SPD et l'Union sont favorables à une nouvelle réglementation dans ce sens. La question fait aussi débat chez les voisins de la Russie, comme la Roumanie ou encore le Danemark.
Moscou avertit
Le même mardi 28 mai, simultanément à la visite de Macron à Berlin, un porte-parole de la Maison-Blanche affirmait que la position de "l'administration Biden n'a pas changé à ce stade. Nous n'encourageons ni ne permettons l'utilisation d'armes fournies par les États-Unis pour frapper sur le sol russe", a-t-il affirmé.
Deux jours plus tard, c'est-à-dire le 30 mai, Washington lève officiellement cette interdiction. "Le président Joe Biden donnant pour mission à son équipe de faire en sorte que l'Ukraine puisse utiliser des armes américaines afin de contre-attaquer dans la région de Kharkiv, de manière à riposter lorsque les forces russes attaquent ou se préparent à l'attaquer", explique un haut responsable américain.
Toutefois, l'Oncle Sam dit refuser que ses missiles servent à cibler "en profondeur" sur le territoire russe. "Notre position d'interdiction de l'utilisation d'ATACMS ou de frappes en profondeur à l'intérieur de la Russie n'a pas changé", précise-t-on. Il n'en fallait pas plus pour Kiev, qui a rapidement mené, dans la nuit du vendredi 31 à samedi 01 juin des attaques sur Belgorod avec des M142 Himars américains.
Lundi, Moscou a appelé Washington "à prendre le plus au sérieux possible les avertissements de la Russie", par la voix du chef adjoint du ministère russe des Affaires étrangères, Sergueï Ryabkov. "Je voudrais mettre en garde les dirigeants américains contre des erreurs de calcul qui pourraient avoir des conséquences fatales. Pour des raisons inconnues, ils sous-estiment la gravité de la résistance qu'ils peuvent recevoir", a-t-il déclaré.
"Il s'agit d'un avertissement très important, qui doit être pris avec le plus grand sérieux", a-t-il ajouté. Hier, Moscou, qui a annoncé dernièrement des exercices militaires nucléaires près de l'Ukraine en réponse à des "déclarations belliqueuses", a menacé de frapper les instructeurs français, dont l'envoi est actuellement en discussion entre Paris et Kiev. "Aucun instructeur s'occupant de la formation des militaires ukrainiens n'a d'immunité" face aux frappes, a déclaré à la presse le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.
Salvini appelle le "va-t-en-guerre" Macron à "aller combattre" tout seul
Cet avertissement rappelle celui destiné à Londres, qui autorisait déjà l'Ukraine à se servir de ses équipements pour mener des attaques sur le sol russe. Le Kremlin avait auparavant dénoncé les "provocations" de l'OTAN suite aux déclarations de son chef, Jens Stoltenberg, visant à "prolonger une guerre insensée".
La déclaration de Macron depuis Berlin, dans laquelle il évoque des attaques en "profondeur" sur le sol russe, a suscité une réaction de Matteo Salvini, vice-président du Conseil des ministres d'Italie, quelques jours avant la tenue des élections européennes.
Lors d'un meeting électoral, il a dit "oui à l'engagement de l'Italie en faveur de la paix, au refus de la guerre prévu par la Constitution", critiquant le président français. "Je ne veux pas que les armes italiennes bombardent et tuent en Russie. L'Italie n'est en guerre contre personne (...) Macron, tu veux faire la guerre ? Mets ton casque, va en Ukraine, mais ne me dérange pas", a-t-il déclaré devant un parterre de militants de son parti.
Matteo Salvini, qui accuse le chef de l'État d'être un "va-t-en-guerre", l'a qualifié lundi de "fou" qui doit "se faire soigner". Son discours a été suivi d'un 𝕏 post X (tweet, NDLR), montrant un photomontage de Macron avec une tenue militaire, accompagné par le texte suivant : "escalade militaire et soldats italiens au front sur ordre de dangereux "bombardiers" ? Non, merci".