14 novembre par Pascal Franchet
La tentation est forte au vu de quelques éléments déjà connus des causes de l'endettement public de considérer un audit comme un passage inutile.
Parmi ces éléments connus qui permettent de qualifier cette dette comme illégitime et non due, on peut citer pêle-mêle pour la dette publique française (à compléter) :
Pour la dette publique de l'Etat central :
l'obligation depuis 1973 d'avoir recours aux marchés financiers ;
l'effet « boule de neige » qui a consisté à payer des taux d'intérêt sur les obligations d'Etat supérieurs à l'accroissement des ressources nécessaires à ce paiement (décision politique) ;
la réforme de l'Etat suivie de la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) et son impact sur les pertes de moyens des administrations publiques ;
la dérèglementation des marchés financiers depuis 1983 ;
la privatisation systématique des banques et assurances depuis 1986 ;
les privatisations des autres entreprises publiques depuis cette date
les politiques fiscales favorables aux grandes entreprises (taux de l'Impôt sur les Sociétés et exonérations diverses) depuis le début des années 1980 ;
les mesures fiscales en faveur des ménages les plus aisés (niches fiscales et baisse du taux supérieur de l'Impôt sur le Revenu des Personnes Physiques)
les impacts budgétaires des mesures d'exonération et d'allègement des cotisations sociales ;
les plans de sauvetage en faveur des banques et du secteur de l'automobile avec le pillage de la Caisse des dépôts et consignations ;
la récession économique, produit de la crise du capitalisme et ses conséquences sur la baisse des recettes fiscales, sur le déficit et donc sur la dette
le mode de gestion de la dette publique : sa gestion est confiée à une agence et non au Trésor public ; le marché primaire de la dette, c'est-à-dire l'émission des obligations d'Etat ou « marché du neuf », est donnée à une vingtaine de banques privées (4 françaises et 16 étrangères) qualifiées de Spécialistes en Valeurs du Trésor et qui se sucrent au passage ;
les plans de rigueurs et d'austérité qui, loin de résoudre quoi que ce soit, paupérisent les populations et les Etats ;
les divers traités constitutionnels européens qui organisent la concurrence « libre et non faussée » entre économies européennes et le statut de la BCE qui lui interdit de prêter directement aux États, qui sont par conséquent obligés de recourir aux banques et marchés financiers ;
certaines dépenses très critiquables comme le recours au surarmement, à des partenariats publics privés où l'intérêt public est relégué à l'arrière plan ;
etc...
Tous ces éléments participent aux déficits publics et à leur financement par l'emprunt public.
Pour la dette des collectivités locales :
les décrets qui ont ouvert à la concurrence le marché des prêts aux collectivités et permis le désengagement de l'Etat depuis les premières lois de décentralisation (décentralisation Mauroy 1 et 2 et décentralisation Balladur). Ce sont ces textes, le démantèlement de la Caisse d'Aide à l'Équipement des Collectivités Locales et le désengagement de l'Etat aux profits des banques privées et d'organismes financiers qui sont à l'origine des prêts dits « structurés » qui, avec des taux exorbitants, frappent aujourd'hui des collectivités locales et des hôpitaux (cf.à titre d'exemple la carte publiée par le journal Libération pour les prêts toxiques de Dexia : labs.liberation.fr)
les effets budgétaires des transferts de compétences de l'Etat vers les collectivités locales sans allocation des moyens correspondants ;
les diverses réformes qui restructurent les collectivités locales et font reculer la démocratie locale en opacifiant les circuits de gestion et de décision.
Pour la dette des organismes de protection sociale :
on peut énumérer depuis les plans « Barre » jusqu'aux diverses et récentes mesures Fillon toutes les décisions politiques qui ont contribué à baisser au profit des employeurs les ressources des organismes de protection sociale (fiscalisation de la sécurité sociale avec la création de la Cotisation Sociale Généralisée et de la Contribution pour le Remboursement de la Dette Sociale Inclus) ;
sans oublier le non reversement de la part de l'Etat de diverses ressources affectées à la protection sociale (dénoncée année après année par la Cour des Comptes) ;
la désindexation des salaires sur les prix ;
la libéralisation du budget de la protection sociale avec l'instauration de la LFSS (loi de financement de la sécurité sociale) et la perte de contrôle de la protection sociale, telle qu'instaurée par le programme du Conseil National de la Résistance, par les représentants des salariés (instauration du paritarisme puis fin des élections directes aux conseils d'administration des caisses) ;
le pillage par l'Etat des ressources des organismes excédentaires ;
on peut aussi ajouter la réforme du mode de gestion de la dette de ces organismes avec la création de la CADES et de la CRDS en 1996 (plan Juppé). Cette très opaque CADES (Caisse d'Amortissement de la Dette Sociale), et au statut très dérogatoire, a bien davantage rémunéré les intérêts des organismes financiers prêteurs que comblé les très hypothétiques « trous de la sécu ». (cf. les comptes publiés sur le site de la CADES)
Il pourrait être confié à un groupe d'experts de chiffrer le coût de ces mesures et leur traduction en montant de stock de la dette publique, émission de dette après émission de dette, coût des intérêts servis compris. Une fois ce chiffrage nécessaire effectué (qui avoisinerait certainement 100% du montant de la dette publique), il suffirait alors de revendiquer son annulation par l'abrogation unilatérale du paiement de cette dette (il pourrait même être envisagé de réclamer le remboursement, voire des pénalités sous formes d'intérêts aux bénéficiaires des profits réalisés sur la dette publique depuis une date à déterminer).
Alors, pourquoi se livrer à un audit et qui plus est, citoyen, c'est-à-dire public ?
Il y a plusieurs raisons à cette démarche.
La première est que, comme son nom l'indique, cette dette est publique, au sens où elle impacte les budgets de l'Etat, des Organismes divers d'administration centrale (ODAC), des collectivités locales et des organismes de protection sociale. Dit autrement, elle limite considérablement le rôle de redistribution des richesses qui incombent à ces différents secteurs de la chose publique.
Plus de dette servie au privé, c'est moins de moyens disponibles pour les besoins sociaux du plus grand nombre. La dette est aussi un outil pour l'inégalité des revenus. Elle concerne chaque citoyen de ce pays. Les plans d'austérité sont décidés et imposés au nom de la réduction des déficits publics et de la dette publique
La seconde est plus politique : elle consiste à associer le maximum d'organisations syndicales, associatives et politiques mais aussi de citoyens dans les groupes locaux d'audit à ce travail de décorticage des causes de l'endettement public.
Il s'agit, avec cette démarche ouverte, de permettre ce qui est interdit par la logique de délégation de pouvoir, à savoir la réappropriation démocratique et collective de ce qui nous concerne. Ouvrir les livres des comptes publics va dans ce sens.
Rendre public ce qui est aujourd'hui interdit de connaître de par la loi comme l'identité des créanciers ou encore la rémunération des banques en charge du marché primaire de la dette est une nécessité si on veut en combattre efficacement les conséquences antisociales. Après le pourquoi et le comment, il s'agit de faire connaître à tous qui sont ceux qui en profitent, qui sont les créanciers de la dette.
La troisième est de faire connaître au plus grand nombre, comme nous l'avons fait en 2004 et 2005 pour le traité Constitutionnel (TCUE), les mécanismes et rouages de la dette publique afin de combattre en termes clairs et lisibles l'idée que ces questions sont trop compliquées pour être partagées et rendues publiques. Cette transparence nous a rendus majoritaires pour dire non au TCUE.
Il s'agit donc de répondre simplement à des questions simples comme :
La dette publique, c'est quoi ? Comment ça marche ? D'où ça vient ? Qui paye et qui en profite ? Qu'est ce qu'on peut y faire ?
L'enjeu, c'est tout simplement la démocratie. C'est aussi poser d'emblée les moyens de la construction du rapport de forces nécessaire pour gagner sur cette question et sur d'autres par enchaînement.
Construire la mobilisation sociale, c'est la garantie pour gagner !
Parce qu'on peut faire toutes les démonstrations possibles, démontrer par A+B que notre cause est juste, que nous avons raison contre le monde de la finance et les donneurs d'ordre que sont les actionnaires, cela sera vain sans un rapport de forces tel qu'il puisse modifier l'ordre des choses.
C'est un peu comme le rapport au droit. Le droit international et de nombreuses dispositions constitutionnelles de pays fournissent nombre de moyens pour définir ce qu'est une dette illégitime ou odieuse. Le droit international dit aussi qu'un Etat est souverain et qu'il peut, au nom de l'état de nécessité, satisfaire en priorité les besoins fondamentaux de la population, décider de ne pas payer cette dette et de poser là un acte unilatéral parfaitement légitime.
Gagner juridiquement ne signifie pas pour autant gagner dans les faits. C'est un moyen à utiliser mais surtout à consolider par une mobilisation qui impose son application.
Même un gouvernement favorable à l'annulation de la dette illégitime ou/et odieuse ne pourra se passer de la mobilisation sociale pour l'imposer aux créanciers.
Pour le TCUE, nous avons pu être majoritaires dans les urnes, mais nous avons manqué d'une mobilisation sociale suffisante pour empêcher le Congrès de trahir la volonté populaire.
Pour la dette, sans une volonté politique qui s'appuie sur une mobilisation citoyenne conséquente, cela risque de ne pas se faire du tout et de disparaître au fonds des salons des négociations internationales.
Mobilisation locale, nationale, européenne et internationale !
Nous devons nous réapproprier notre vie !
Du plus petit village endetté abusivement en passant par l'hôpital escroqué par des contrats opaques jusqu'à la dette nationale illégitime contractée au nom de l'Etat ou encore imposée à notre protection sociale par les divers gouvernements ces 30 ou 40 dernières années au profit des nantis et des marchés financiers, nous devons organiser la transparence pour construire la mobilisation à tous les niveaux.
Tout comme la crise, les effets de ces dettes publiques illégitimes ou odieuses dans certains cas comme en Grèce, en Irlande ou au Portugal et ailleurs, Oont les mêmes causes dans les pays de l'Union Européenne, qu'ils soient dans la zone euro ou non.
Très souvent, on trouve les mêmes causes mais aussi les mêmes créanciers. Ces derniers sont organisés, agissent de concert pour piller les Etats et faire payer leur crise aux populations.
Ils utilisent des organismes comme le FMI, la BCE et la Commission Européenne (les 3 forment la Troïka) pour imposer aux peuples la dictature des marchés financiers.
Rencontrons-nous et organisons nous à l'échelle européenne avec les comités d'audit qui existent déjà et pour permettre la création d'autres dans les 27 pays de l'UE.
Les peuples d'Europe subissent les mêmes logiques imposées par les mêmes créanciers et leurs organismes affidés (la Troïka). Ce ne sont pas les citoyens français, anglais ou allemands qui détiennent une partie de la dette grecque, espagnole ou irlandaise, ce sont les banques, les assurances et autres « Mutuals Funds », le plus souvent les mêmes qui agissent au nom des mêmes actionnaires.
Ensemble, nous pouvons construire une mobilisation européenne efficace contre la dette et les plans d'austérité.
Du Nord au Sud, les peuples ont les mêmes intérêts, menons les mêmes combats !
Auditer les dettes publiques dans les pays riches ou considérés comme tels pour en déterminer la part illégitime ou odieuse à annuler ne doit pas nous faire oublier les créances que nos pays (et les banques et autres organismes financiers) détiennent envers les pays du Sud de la planète.
Ces créances maintiennent les pays du Sud dans un rapport néocolonial de facto et permettent entre autres le pillage des ressources du sol et du sous sol de ces pays.
Exiger et obtenir la publicité des contrats de prêts qui concernent les pays du Sud est un outil incontournable pour la solidarité internationale. Ces contrats de prêt sont d'Etat mais aussi privés avec la caution de l'Etat. Pour les dénoncer, encore faut-il les connaître !
Ils financent aussi la corruption et la rémunération des serviteurs des créanciers, souvent les gouvernements à la botte ou les dictateurs complaisants comme avec Ben Ali en Tunisie.
Ainsi les sociétés transnationales utilisent les gouvernements des pays du Nord pour enchainer ces pays avec des dettes, pour piller leurs ressources des pays du Sud (matières premières, produits alimentaires) et pour délocaliser des activités d'industries ou de services du Nord au Sud, afin d'augmenter leurs profits en réduisant le coût du travail.
Elles utilisent les paradis judiciaires et fiscaux pour leurs transactions avec la complicité active des banques des pays du Nord et des gouvernements qui ferment les yeux sur ces pratiques illégales.
L'expérience des crises de la dette dans les pays du Sud nous sert aujourd'hui pour comprendre les mécanismes des dettes publiques au Nord. Celle des luttes contre les dettes illégitimes et odieuses éclairent notre démarche en France et ailleurs.
C'est en notre nom que l'Etat et les divers gouvernements permettent ce pillage odieux.
Indéniablement, des liens doivent être tissés ou valorisés quand ils existent entre les mouvements qui luttent contre la dette au Sud et les divers collectifs d'audit en Europe. Les peuples du Nord comme du Sud ont les mêmes intérêts et très souvent les mêmes créanciers. Il est plus que temps de faire vivre les solidarités actives entre les peuples.
Le CADTM France s'engage avec cette volonté dans le collectif pour un audit citoyen de la dette publique française.
C'est aussi dans cet esprit que le réseau Europe du CADTM organise le 9 décembre, dans les murs mêmes de l'Assemblée Nationale, un séminaire sur l'audit de la dette avec la participation de Maria-Lucia Fattorelli, animatrice du comité pour un audit citoyen de la dette du Brésil et ex-membre de la commission de l'audit intégral de l'Equateur, de Fathi Chamki, porte parole de Raid ATTAC CADTM Tunisie, en lutte pour l'annulation de la dette Tunisienne et de Renaud Vivien, juriste, membre du CADTM Belgique.
Cette dette, tout comme la crise qui l'aggrave avec le transfert des dettes privées dans le domaine public, n'est pas la nôtre ! Alors, donnons-nous collectivement les moyens de changer les choses !