12/11/2011 tlaxcala-int.org  7min #59762

 Sauver la Grèce pour sauver l'Europe

Pourquoi les Brics ne « sauveront » pas l'Europe

 Pepe Escobar
Translated by  Michèle Mialane

Jeudi prochain les Ministres des finances et les directeurs des Banques centrales du groupe de pays émergents appelés BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) se réuniront à Washington. Selon le Ministre brésilien des Finances, Guido Mantega « ils discuteront des solutions et issues à la crise de l'Union européenne »

Est-ce la cavalerie qui arrive pour sauver tout le monde ? Cela devrait-il marquer la fin de la panique auto-provoquée par l'hypothèse d'une insolvabilité de la zone euro ? Ou les pays des BRICS se contentent-ils d'indiquer la direction du vent ?

L'essentiel de l'injection de fonds des Brésiliens en Europe consiste en un achat d'obligations européennes supplémentaires. Mais il ne s'agit que d'obligations « solides » - allemandes ou britanniques. La raison en est que les BRICS ont tout à gagner à diversifier leurs réserves. La Chine par exemple pourrait espérer y gagner 3,2 trillions (millions de millions) de dollars, le Brésil plus de 350 milliards et l'Inde environ 320. Chacun y trouve mieux son compte qu'en investissant dans les Bons du Trésor US-américain.

Et de fait les BRICS ici mentionnés diversifient leurs réserves depuis un certain temps déjà, en particulier la Chine et le Brésil (en outre le 4ème créancier des USA avec plus de 410 milliards de dollars).

Il y aura à Washington abondamment matière à débattre. Ni la Russie ni la Chine ne font preuve de grand enthousiasme. Le conseiller économique du Président Dimitri Medvedev, Arkadi Dvorkovic, a déclaré haut et fort que Moscou n'achèterait plus d'obligations européennes avant que les Européens ne soient convenus d'une stratégie claire pour sauver les PIGS (Portugal, Irlande, Italie, Grèce, Espagne).


BRICS: Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud

Ton argent m'intéresse
En ce qui concerne la Chine, la question n'est pas de savoir comment Pékin peut aider l'Europe, mais plutôt du tort que celle-ci a causé à Pékin. Peu de chose en effet. D'une part les bombardements de l'OTAN en Libye sous prétexte de démocratie ont causé d'énormes pertes à la Chine. S'y ajoutent le rapatriement précipité de 36 000 travailleurs chinois et l'annulation de dizaines de contrats. Et les BRICS étaient fondamentalement opposés à l'intervention en Libye. Les « Rebelles libyens soutenus par l'OTAN » ont déjà menacé les firmes russes, brésiliennes et chinoises de les exclure du partage du butin.

Le conseiller top-niveau de la Banque centrale chinoise, Li Daokui, a dévoilé les véritables intentions de la Chine au forum économique qui s'est tenu récemment à Dalian en déclarant : « Nos réserves de devises seront progressivement converties en investissements matériels. »

Cela signifie plus précisément que « nous achèterons volontiers des participations à Boeing, Intel et Apple. Peut-être devrions-nous songer à investir durablement dans ce genre d'entreprises », poursuit-il. La somme astronomique de « 10 trillions de dollars » attend d'être investie aux USA, déclare Daokui - en passant sur le corps du Parti républicain tout entier, aimerait-on dire. Daokui a ajouté que la Chine ne serait prête à liquider davantage d'obligations que lorsque le marché des Bons du Trésor US-américains se serait stabilisé. Employer « liquider » au lieu de « diversifier « signifie que Pékin souhaiterait se débarrasser de la totalité de ses dollars US. D'ici là la Chine continuera à acheter tous les avoirs disponibles qui passeront à sa portée, y compris - c'est inévitable - des dollars US. Mais les Européens ne doivent pas se réjouir trop vite. Pékin aime autant la dette européenne que la dette US-américaine. La dette européenne est considérée actuellement comme beaucoup plus pourrie.


Sommet des dirigeants des BRICS

Le retour des morts européens

Les censeurs du plan brésilien prétendent que l'Europe n'a pas besoin de fonds de stabilisation. Celui-ci déborde déjà d'euros. Ce qu'il lui faut, c'est un « budget plus strict ». En outre, c'est un mauvais investissement. L'euro se dépréciera inévitablement par rapport au yuan, au rouble ou au real. Et de plus certains pays de la zone euro sont au bord de la faillite.

L'économiste français Emmanuel Todd a prévu le déclin des USA avant même l'invasion de l'Irak. Il traite l'euro de « concept zombie ». De fait, le Nord plus riche n'acceptera jamais d'ouvrir son escarcelle en faveur du Sud de l'Europe pour niveler les économies.

C'est l'égoïsme national qui prévaut partout. Le cours de l'euro est beaucoup trop haut pour des pays tels que la Grèce, le Portugal, l'Espagne, l'Italie et même la France. Le cours de l'euro par rapport au dollar est adapté à l'Allemagne ou aux Pays-Bas, pas à l'Europe du Sud. Pour ces pays l'euro a sur leur croissance l'effet d'une bombe à sous-munitions.

La devise est trop forte pour permettre aux entreprises d'exporter. Elles délocalisent comme des folles et le chômage augmente. C'est pourquoi tous ces pays qui sont empêchés d'être compétitifs doivent quitter la zone euro. Ils pourront alors dévaluer et reprendre les affaires.

Mais cela présente aussi des inconvénients. Il est techniquement très difficile à ces pays de revenir à leurs devises, drachme, peso ou lire. Cela causera bien des dégâts. Il est à prévoir que ces nouvelles (anciennes) devises s'effondreront. Selon le diagnostic de l'ING, de 50% en Grèce et en Espagne.

Cela signifie que les dettes de ces pays et de leurs entreprises vont croître de manière exponentielle. En euros, s'entend. Une croissance à 2 chiffres pour les deux.

La seule solution réaliste à la crise européenne serait une Europe fédérale (une sorte d'États-Unis d'Europe). Cela signifierait que les dettes accumulées par ces pays deviendraient des dettes européennes (et de ce fait donnerait en outre un coup d'arrêt à la spéculation). L'économie serait ainsi centralisée au niveau européen.

Il n'existe aucune raison de croire que les citoyens européens soient favorables à un tel projet. Et donc la crise n'en finira pas.

Vous avez dit : sécurité ? D'accord !

La première crainte des BRICs est que ce marasme européen qui s'éternise, joint à la stagnation US-américaine, ne provoque une récession mondiale. Et aussi qu'ils ruinent toute l'Asie, l'Amérique du Sud et l'Afrique.

L'opinion publique du Sud a des références à ce sujet. Beaucoup rêveraient de voir les BRICS, à l'instar du FMI qui a « aidé » le Sud en lui imposant ses redoutables « ajustements structurels » - déréguler tout ce qui peut l'être et rendre ainsi les riches encore plus riches - dicter ses propres règles à l'Europe pour la «sauver ».

Pratiquement cela signifierait des sièges permanents pour B et I au Conseil de sécurité des Nations Unies (R et C en ont déjà un). Le Brésil exigerait un véritable libre-échange agricole et la Chine une véritable liberté d'investissements.

Mais tout le monde sait qu'il n'en sera rien.

Une autre possibilité, pour aider non seulement l'Europe mais aussi l'économie mondiale serait le lancement d'énormes projets d'infrastructures dans tous les BRICS. Cela « encouragerait » les fonds européen et US-américain à l'action. La Chine s'y est déjà mise et le Brésil suit. Mais ces projets d'infrastructures sont surtout locaux et régionaux et ne créent pas d'emplois aux USA ni en Europe.

Et pourtant l'Europe en crise reste le premier espace économique ; selon The Economist l'ensemble de l'Europe représente un peu moins de 24%, de l'économie mondiale, et les BRICS seulement 21%. Mais les Européens disposent de 32% des voix au FMI contre 11% seulement aux BRICS.

Peut-être les BRICS veulent-ils justement changer le rapport des forces au FMI. Dans cette optique, pourquoi ne pas saper encore un peu plus le dollar et défier un peu plus l'Europe ? Toutefois sans parier sur l'effondrement du dollar, de l'euro ou des deux devises. Sun Tzu (général chinois du VIème siècle avant J.C., à qui est attribué « l'Art de la guerre », premier ouvrage de stratégie au monde) serait tout à fait d'accord.


Courtesy of  Tlaxcala
Source:  atimes.com
Publication date of original article: 21/09/2011
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