Par Peter Schwarz
25 octobre 2011
De grandes attentes avaient été suscitées par le sommet de l'Union européenne qui a lieu ce weekend à Bruxelles. Selon ses participants, rien de moins que la survie de l'euro et de l'UE est en jeu. Toutefois ces espérances ont été ternies par l'annonce que rien de définitif ne résulterait de cette réunion et qu'un nouveau sommet se tiendra mercredi prochain.
Mardi, le président français, Nicolas Sarkozy, a affirmé que l'unité européenne serait menacée si les dirigeants de la zone euro ne prenaient pas ce week-end des mesures audacieuses pour résoudre la crise de la dette. « Laisser détruire l'euro c'est prendre le risque de détruire l'Europe. Ceux qui détruiront l'euro prendront la responsabilité de la résurgence de conflits sur notre continent, » a prévenu Sarkozy.
Le premier ministre français, François Fillon, a averti: « Si on ne réussit pas, l'Europe sera en très grand risque. » Le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, a qualifié la situation d'« extrêmement tendue » et prévenu : « L'euro est en jeu. »
Un éclatement de l'Union européenne aurait indubitablement des conséquences catastrophiques. Cela relancerait les antagonismes et les conflits nationaux qui ont provoqué deux guerres mondiales et laissé le continent en ruines durant la première moitié du siècle dernier. Toutefois, les propositions avancées par Sarkozy, Fillon, la chancelière allemande, Angela Merkel, et Schäuble pour « sauver » l'UE ne sont pas moins désastreuses. Elles se réduisent toutes à reporter la crise sur le dos de la population, en plongeant des millions de personnes dans le chômage et la misère.
Les gouvernements allemand et français restent désespérément en désaccord concernant les détails du plan de « sauvetage. » Il y a « des discussions très animées, des conférences très longues, des conférences téléphoniques, des réunions, » a déclaré un porte-parole de Schäuble. Mercredi soir, Sarkozy a pris une décision inhabituelle en s'envolant pour Francfort pour y rencontrer lors d'une réunion de deux heures Merkel et d'influents représentants de l'UE et de la Banque centrale européenne (BCE) de Francfort. La réunion n'est parvenue à aucun accord sur les points litigieux en suspens.
Il y a eu toutefois un accord sur l'objectif général des mesures à prendre : les dépenses publiques doivent être massivement réduites partout en Europe, tandis que des centaines de milliards d'euros additionnels seront débloqués pour protéger les banques.
On peut observer les conséquences de cette politique en Grèce. Par suite des mesures d'austérité introduites par le gouvernement Papandreou en accord avec l'UE et la BCE, les salaires, les retraites et les dépenses sociales ont baissé de façon spectaculaire, le chômage a grimpé en flèche et d'innombrables petits commerces ont fait faillite. Le programme d'austérité a déclenché une profonde récession qui, à son tour, a accru le déficit budgétaire, en dépit des coupes sociales. Seules les banques ont profité du présumé sauvetage de la Grèce. Elles sont en mesure de vendre au fonds de sauvetage européen ou à la BCE la plupart de leurs obligations du gouvernement grec.
Au lieu de sauver l'Europe, l'association de programmes d'austérité et de renflouements des banques qui devrait être convenue à Bruxelles au cours du week-end risque de déchirer le continent. Cette politique précipitera les pays européens dans un abîme et aggravera les conflits nationaux comme le montrent déjà les querelles féroces au sujet de l'objectif et de l'organisation du fonds de sauvetage de l'euro.
Il y a une opposition grandissante au sein de la population européenne envers cette folie politique et économique. Mercredi, Athènes a connu la plus grande manifestation depuis la chute de la junte militaire il y a 35 ans. En Espagne, en Italie et dans de nombreux autres pays des centaines de milliers sont descendus samedi dans la rue. Ce mouvement fait partie d'un renouveau international de la classe ouvrière qui a commencé en Tunisie et en Egypte et s'est propagé à une grande partie de l'Europe et des Etats-Unis. Il vise la domination du capital financier (« Wall Street ») et l'inégalité sociale croissante (le régime des « un pour cent »).
Ce mouvement en est à ses balbutiements. Il doit surmonter des obstacles considérables et résoudre des tâches politiques majeures.
Plus de six décennies après la fin de la Seconde Guerre mondiale, il est encore une fois évident que la bourgeoisie est organiquement incapable d'unifier l'Europe sur une base progressiste. Des mois durant, les gouvernements ont agi conformément aux règles des marchés financiers. Une réunion de crise a fait place à une autre, chacune promettant une « solution complète » - et, après chaque sommet, la crise s'est aggravée.
On ne peut changer cette situation par la pression de la rue. La crise n'est pas simplement la conséquence de décisions politiques malavisées qui peuvent être corrigées. C'est la crise d'un système social basé sur des antagonismes de classe irréconciliables. Le système capitaliste ne peut pas être réformé, il ne peut être qu'aboli.
La crise actuelle s'est développée au cours de décennies. Les revenus des travailleurs stagnent ou baissent depuis le début des années 1980 ou même avant, tandis qu'une petite élite au sommet de la société accumule des richesses inimaginables. Cette fortune ne peut être maintenue qu'en extrayant toujours davantage de plus-value de la classe ouvrière.
Les attaques incessantes contre les salaires et les conditions de travail, le pillage des fonds publics au moyen de réductions d'impôts pour les riches, les coupes drastiques dans les dépenses sociales et les milliards pour le renflouement des banques ne servent qu'à cela. Ces mesures sont soutenues sans exception par tous les partis officiels. Qu'ils se qualifient de sociaux-démocrates, de gauche, verts, de chrétiens-démocrates, conservateurs ou libéraux, ils insistent tous sur le fait que des mesures de réduction des coûts sont inévitables.
A leur tour, ils bénéficient du soutien de nombreuses organisations de « gauche » qui tentent de transformer la résistance contre les mesures d'austérité en protestations inoffensives en la limitant à des appels aux gouvernements ou en subordonnant le mouvement de masse à une autre aile de l'élite dirigeante.
En Grèce, les syndicats, qui sont proches du parti dirigeant PASOK, cherchent désespérément à empêcher la chute du gouvernement Papandreou qui porte la principale responsabilité pour les mesures d'austérité. Sous le slogan « pas de politique », le prétendu mouvement des « indignés » essaie d'étouffer tout débat de perspective politique. Et ceci jouit du soutien d'une multitude de groupe pseudo-gauches.
Les travailleurs doivent rompre avec toutes ces organisations. L'Europe se dirige vers des luttes de classe considérables. Celles-ci doivent être préparées politiquement. On ne pourra éviter les catastrophes associées au siècle dernier que si la classe ouvrière s'implique en tant que force politique indépendante. Ceci requiert avant tout un programme socialiste.
Les travailleurs en Europe doivent s'unir et rejeter tous ceux qui prêchent le nationalisme ou le déclin social au nom du « sauvetage de l'Europe. » La tâche est d'établir et de construire les Etats socialistes unis d'Europe. Un gouvernement ouvrier européen exproprierait les banques et les grands groupes pour utiliser leurs ressources à la création de nouveaux emplois et à la satisfaction des besoins sociaux, plutôt que pour générer du profit pour les riches.
Le World Socialist Web Site et le Comité international de la Quatrième Internationale luttent pour un tel programme en construisant des sections dans tous les pays afin de concrétiser une telle perspective.
(Article original paru le 21 octobre 2011)