par Tomasso Di Francesco
Nous sommes à cent années exactement de la première aventure coloniale italienne en Libye en octobre 1911. Un événement qui semblait retentir dans les paroles du ministre des affaires étrangères Frattini dès son arrivée à Tripoli vendredi (30 septembre 2011, NdT), la guerre n'étant pas terminée, pour la première visite d'un représentant du gouvernement italien après la révolte anti-Kadhafi. « C'est beau de revenir dans une Tripoli libérée ».
Certes ce n'est pas « Tripoli bel suol d'amore », logo de la première guerre libyenne italienne, mais ça se voulait de bon augure, pour un voyage présenté comme « soutien au gouvernement de transition », dont l'interlocuteur fondamental est ledit premier ministre du Cnt, Mahmud Jibril[1]. Véritable objectif : la signature d'un protocole d'entente pour confirmer le Traité d'amitié entre l'Italie de Berlusconi et la Libye de Kadhafi souscrit en août 2008 à Benghazi. Ce traité assignait à notre pays une priorité dans les commandes libyennes, pour les exportations de gaz et de pétrole en échange d'un investissement de 5 milliards de dollars en vingt ans. La partie sur le « contrôle de l'immigration » a déjà été re-signée par le président du Cnt Jibril à Rome en juin dernier, do ut des (« je te donne pour que tu me donnes », NdT) au moment de la plus pressante demande d'aides militaires faites à l'Italie.
L'attente de résultats positifs de cette mission était grande. Frattini a insisté : « L'Italie a été le troisième pays à reconnaître le Cnt, le second en Europe et j'ai été, moi, le premier ministre des affaires étrangères à téléphoner à Jibril afin de le féliciter pour le début de la révolution ».
Et, au contraire, ça a été un désastre, frôlant la confirmation que l'Italie a perdu cette guerre aussi. Malgré nos volte-face -les baisemains de Berlusconi au raïs, Frattini lui-même qui deux mois avant la guerre désignait Kadhafi comme « l'exemple à suivre pour toute l'Afrique »- l'entrée en guerre avec vote bipartisan de la majorité de l'opposition de centre-gauche et dans la quasi absence du mouvement pacifiste, tout le monde courrant après le « moderne » interventionnisme anglo-français, puis l'engagement militaire direct dans les missions de bombardement aérien et l'utilisation des bases militaires italiennes (par les troupes alliées de l'Otan, NdT).
La veille seulement, en effet, Jibril venait de déclarer qu'il n'allait pas faire partie du nouveau gouvernement et qu'à présent les délais de la formation du nouvel exécutif seraient impondérables car liés à « la libération complète du pays, de Syrte et de Bani Walid ». Et c'est ainsi que le lendemain, la réponse aux requêtes italiennes a été un non fort peu diplomatique même. « Cette visite confirme un rapport stratégique, dicté par l'histoire et par la géographie, qui lie l'Italie à la Libye -a répondu Jibril- mais le protocole d'entente n'est pour le moment qu'une proposition. Ce sera le nouveau gouvernement libyen élu par le peuple qui établira les rapports à avoir avec tel ou tel pays ». Et les tractations sur le nouveau gouvernement en cours à Benghazi entre les composantes des insurgés se sont déjà ensablées au moins deux fois. Pèse ici le rôle des intégristes islamiques -qui, avec les bombardements de l'OTAN, ont fait toute la différence dans l'issue des combats- préparés, organisés et armés et qui sont de fait à la tête des combattants. Et pèse surtout la menace de l'homme fort du pays, Abdel Hakim Belhaj, commandant militaire de Tripoli, jihadiste de la première heure, moudjahidine en Afghanistan, proche d'Al Qaeda, emprisonné par Kadhafi grâce aussi aux renditions organisées par les gouvernements britannique et français -qui se sont ensuite alliés avec lui- puis libéré par Saif Al Islam Kadhafi. Belhaj menace : « Nous ne permettront pas les tentatives de certains politiques d'exclure du nouveau gouvernement de Tripoli les groupes islamistes qui ont participé à la révolution. Leur myopie politique les rend incapables de saisir les gros risques que présenterait une éventuelle exclusion, ou la grave réaction des parties exclues ». Serait-ce que, comme affirme Praveen Swami, éditorialiste du Daily Telegraph, « les intégristes islamistes ont été les principaux bénéficiaires de l'intervention de l'OTAN » ?
Jibril, pour finir, n'a eu avec Frattini qu'un geste de courtoisie. Quand il a rappelé que « la reconnaissance du Cnt de Benghazi, en avril, par l'Italie qui avait un rapport privilégié avec Kadhafi ne fut pas facile et a fait la différence dans la guerre. Kadhafi a compris qu'il n'avait plus d'alliés ». Pour le moment l'engagement italien demeure dans le domaine de la santé, du secours aux blessés (sauf ceux de Syrte et Bani Walid, NdT), et la reconstruction des écoles. Pour le reste Frattini, qui a défendu la « discrétion » de l'Italie à la différence du triomphe ostentatoire de Sarkozy et Cameron, ne ramène à la maison que la conviction que « nous restons un partenaire historique ». Et un « discret » camouflet.
Edition de dimanche 2 octobre 2011 de il manifesto
ilmanifesto.it
Traduit de l'italien par Marie-Ange Patrizio
[1] Au sujet de Mahmoud Jibril, voir l'article de T. Meyssan : Wadah Khanfar, Al-Jazeera et le triomphe de la propagande télévisuelle