Par Patrick Martin
1 septembre 2011
Une série de reportages réalisés à Tripoli ont montré que les forces appuyées par l'OTAN avaient commis un massacre dans la guerre civile libyenne. Ces reportages, publiés dans des journaux largement en faveur de l'intervention des États-Unis et de l'OTAN pour renverser le régime de Mouammar Kadhafi, viennent une fois de plus exposer le mensonge que la guerre impérialiste contre la Libye est motivée par des visées humanitaires et la volonté de protéger les civils.
Le Washington Post a publié samedi un article important intitulé, « Les meurtres par vengeance se multiplient en Libye : la nouvelle liberté assombrie par les attaques extrajudiciaires rebelles ». Ce titre fait référence à la contradiction qui existe entre les assertions du Conseil national de transition (CNT), du nouveau régime libyen soutenu par l'OTAN ainsi que de l'administration Obama que la Libye a maintenant gagné sa liberté et la réalité d'un massacre politique et, dans certains cas, racial.
Le journaliste du Post Simon Denyer a affirmé que les troupes de Kadhafi « ont exécuté des dizaines ou même des centaines de prisonniers politiques cette semaine, pendant même que les combattants rebelles victorieux semblaient exercer leurs propres sévices ». Il cite le témoignage de Diana Eltahawy, enquêteuse pour Amnistie internationale en Libye, qui « décrit les mauvais traitements, la torture et le meurtre extrajudiciaire de combattants pro-Kadhafi par les rebelles, au fur et à mesure que ces derniers prenaient contrôle du pays d'est en ouest ».
Le journaliste lui-même a vu cinq soldats blessés et mourant de Kadhafi dans un poste médical avancé maintenant patrouillé par les « rebelles », laissés sans nourriture, ni eau, ni soins. Il a aussi vu 15 cadavres, surtout d'Africains noirs et vraisemblablement partisans de Kadhafi, laissés en décomposition au soleil devant la caserne de Bab al-Azizia où demeurait une bonne partie de la famille de Kadhafi. Selon Denyer, « certaines de ces morts ne semblaient pas être survenues au champ de bataille. Deux hommes morts reposaient face contre terre dans l'herbe, les mains attachées dans le dos au moyen de menottes plastiques ».
Le service de nouvelles McClatchy a décrit la même scène horrible : « Les cadavres étaient apparemment ceux de combattants pro-Kadhafi, mais les victimes n'étaient pas tombées au combat. Certaines avaient été abattues dans leur tente, possiblement endormies, sans chaussures. Un homme avait été abattu dans une ambulance et un autre dans un poste médical avancé, toujours branché à une perfusion intraveineuse. D'autres avaient subi des blessures par balle derrière la tête, laissant croire à des exécutions par les combattants rebelles. »
Patrick Cockburn de l'Independent britannique a décrit la même scène dimanche, sous le titre, « Les rebelles se vengent sur les hommes du dictateur ». Il a écrit : « Les corps en décomposition de 30 hommes, presque tous noirs et plusieurs menottés, abattus tandis qu'ils étaient étendus sur des civières et même dans une ambulance au centre de Tripoli, offrent un avant-goût inquiétant de ce que sera l'avenir de la Libye. Le nouveau régime fait des déclarations pieuses en disant ne pas vouloir se venger sur les forces pro-Kadhafi, mais cela ne va pas jusqu'à vouloir protéger ceux qui pourraient être qualifiés de mercenaires. Tout Libyen ayant la peau noire accusé de combattre pour l'ancien régime a une faible chance de survie ».
Amnistie internationale a confirmé que plusieurs des centaines de milliers de travailleurs migrants de l'Afrique subsaharienne ont été étiquetés « mercenaires » par les forces du CNT, en vertu de leur couleur de peau, et ont été victimes d'emprisonnement, de torture et d'exécutions sommaires.
Un témoignage à propos de sévices commis à l'endroit des rebelles vient d'Alex Crawford de Sky News, un réseau de diffusion britannique appartenant à Rupert Murdoch, qui a soutenu avec enthousiasme les « rebelles ». Le correspondant a été intégré aux forces anti-Kadhafi et à accompagné une unité qui a marché de Zawiya à Tripoli. « Nous le rapportons comme nous le voyons », a-t-il dit. « Nous avons vu des combattants de Kadhafi ligotés et exécutés. C'est la guerre. C'est ce qui arrive. Les représailles des rebelles ici sont vraiment troublantes. »
L'agence de nouvelles britannique Reuters a rapporté la découverte de plusieurs charniers à Tripoli, prétendant qu'ils étaient la preuve « d'exécutions sommaires répandues au cours de la bataille pour la capitale libyenne ». Tout en attribuant le pire massacre aux forces de Kadhafi, quelque 53 corps retrouvés dans un entrepôt brûlé, le rapport de Reuters ajoute: « des meurtres de sang-froid qui auraient été commis par les deux camps ont été signalés au cours des derniers jours, assombrissant l'atmosphère dans une ville où de nombreux résidents avaient salué la chute de Kadhafi avec joie ».
Le Los Angeles Times a écrit dimanche à propos de « la violence viscérale et acharnée des forces rebelles dans les quartiers résidentiels connus pour être des bastions des partisans de Kadafi. Les combattants rebelles utilisent de l'artillerie et des canons antiaériens dans de tels quartiers, dont Abou Salim, Hadba et Salahadin. À un certain moment cette semaine, les rebelles se servaient de fusils d'assaut dans les immeubles résidentiels à Abou Salim, où ils soupçonnaient la présence d'un tireur embusqué ».
En d'autres termes, les forces soutenues par l'OTAN procèdent exactement au même genre de tirs sans discernement d'armes lourdes dans les quartiers résidentiels, qui ont servi de prétexte à l'origine l'intervention de l'OTAN quand Kadhafi a ordonné une action semblable par ses propres forces. Le témoignage du Times terminait par une citation d'un chauffeur de taxi de Tripoli qui a déclaré au journal: « J'ai peur qu'un jour nous devenions comme les Irakiens, nostalgiques de l'époque de Mouammar Kadhafi ».
Le journal Independent, dans son article du dimanche en première page, a mis en garde le Conseil national de transition contre le fait que la barbarie dans les rues de Tripoli pourrait jouer politiquement contre eux. Il était déjà assez difficile pour les partisans de l'intervention - comme l'éditorial du journal même - de tenter de prétendre que Kadhafi procédait au massacre de civils, mais « cela deviendra presque impossible si la transition d'un régime à l'autre déclenche des exécutions de masse. »
Le journal britannique a aussi identifié Abdelhakim Belhadj, le commandant récemment choisi pour diriger le Conseil militaire de Tripoli, comme un ancien moudjahidine qui « a combattu en Afghanistan aux côtés des talibans et qui était un islamiste suspecté de terrorisme par la CIA et interrogé par celle-ci ». Belhadj fut un fondateur du groupe de combat islamique de la Libye, qui est devenu la filiale libyenne d'Al-Qaïda après les attaques terroristes du 11 septembre 2001.
Une image effrayante émerge du nouveau régime qui est en train d'être consolidé à Tripoli. Il est consolidé dans le sang, tandis que se déroulent des massacres de civils pro-Kadhafi ainsi que des pogroms contre les travailleurs africains immigrants. Tout cela se passe sous la direction d'un allié d'Al-Qaïda qui reçoit ses ordres des quartiers généraux de l'OTAN et de la Maison-Blanche.
Les crimes commis par les forces du CNT, appuyées par l'OTAN, démontrent l'hypocrisie de la campagne de propagande dirigée par l'administration Obama et ses complices en Grande-Bretagne et en France. Ces pays tentent de justifier l'offensive militaire contre la Libye, un pays riche en pétrole, au nom des « droits humains » et de la prévention d'un massacre.
Quelques journalistes qui sont sur le terrain à Tripoli n'ont pas été en mesure de fermer les yeux quant au règlement de compte sanglant qui prend place. Cela est à leur honneur et démontre aussi la position cynique et réactionnaire prise par les commentateurs de la « gauche » aux États-Unis et en Europe qui continuent de justifier la guerre impérialiste contre la Libye et de masquer son caractère prédateur.
Les évènements se déroulant en Libye constituent une démonstration pratique pour la classe ouvrière internationale. Ceux qui ont défendu la perspective d'une intervention « progressiste » par les puissances impérialistes afin de défendre la démocratie et les droits humains sont maintenant politiquement impliqués dans d'innommables crimes. La seule opposition authentique et cohérente à l'impérialisme est celle qui est conduite sur la base des principes historiques du mouvement socialiste international, telle que défendue par le World Socialist Web Site et le Parti de l'égalité socialiste.
(Article original paru le 29 août 2011)