Chili
(24 août 2011)
par François Reman
Il veulent en finir avec le système d'enseignement hérité de Pinochet. En cause : l'endettement des familles et un enseignement médiocre. Correspondant au Chili Ils étaient encore plus de 100 000 à défiler dimanche à Santiago, réclamant une éducation gratuite et démocratique. Le mouvement étudiant qui a débuté il y a presque trois mois est donc loin de s'affaiblir et le gouvernement peine à dénouer la crise. Il faut dire que les revendications sont de taille.
Petit rappel historique. Dans les années 80, après s'être attaqué au système de pension et de santé, le gouvernement Pinochet décide d'ouvrir l'enseignement universitaire et secondaire au secteur privé. "La liberté d'enseignement inclut le droit d'ouvrir, organiser et maintenir des établissements d'éducation ", dit la constitution de 1980, toujours en vigueur. Le gouvernement réduit de manière draconienne le financement des universités publiques. Le coût des études va dès lors reposer entièrement sur l'étudiant. De nouveaux établissements privés (à but lucratif), de qualité plus que douteuse, apparaissent et concentrent les étudiants des milieux les plus défavorisés. Conséquence de cette grande réforme : une qualité d'enseignement faible et le surendettement des familles. A sa sortie de l'université, un étudiant devra rembourser en moyenne 30 000 euros à l'Etat ou aux banques.
Au niveau de l'enseignement secondaire, le gouvernement Pinochet décentralise vers les communes la gestion des établissements publics, faisant sombrer les écoles des quartiers défavorisés, et introduit le système d'écoles privées subventionnées.
Les étudiants se mobilisent donc pour dénoncer cette logique d'endettement et exiger une amélioration de la qualité de l'enseignement. Ils demandent que l'Etat finance à 100% les établissements universitaires via le budget de la nation et centralise à nouveau le système d'enseignement public secondaire.
Mené par deux leaders charismatiques, Giorgio Jackson, de l'Université catholique, et Camila Vallejo, de l'Université du Chili, ce mouvement bénéficie d'un large soutien de la population, ce qui est quasi inédit depuis vingt ans. En effet, alors que de nombreux pays voisins s'agitaient socialement ces dernières années, le Chili faisait preuve d'une grande stabilité. D'aucuns diront d'une certaine léthargie expliquée en grande partie par le référent inhibant de la dictature. Or, la nouvelle génération, née après la dictature, estime légitime de modifier le modèle socio-économique hérité de cette période sombre.
En face, le gouvernement de Sebastián Piñera a bien avancé différentes propositions, comme la diminution des taux d'intérêt des crédits scolaires ou un contrôle renforcé des établissements universitaires qui génèrent du profit - d'ailleurs interdit par la loi. Mais les étudiants exigent un changement structurel et non une correction du modèle existant.
L'irritation du gouvernement est de plus en plus palpable. Camila Vallejo et sa famille bénéficient d'une protection rapprochée après les menaces proférées sur les réseaux sociaux. "On tue la chienne et c'en est fini de la portée", a écrit sur Twitter une haute fonctionnaire du ministère de la Culture. Cette phrase fut prononcée par Pinochet quand il apprit la mort d'Allende.
Le maire de Santiago, Pablo Zalaquett, a quant à lui proposé de faire appel à l'armée si des violences avaient encore lieu à la suite de manifestations. Il craint surtout le 11 septembre, anniversaire du coup d'Etat militaire.
Ce mercredi, les étudiants se joindront à la grève nationale organisée par la Centrale unitaire des travailleurs.
Le printemps s'annonce socialement chaud au Chili.