06/08/2011 legrandsoir.info  11min #56052

 Gaza: Les forceurs de blocus

La traversée vers Gaza, à bord du bateau français le « dignité » Al-karama

Moncef CHAHED

Le "Dignité" Al-Karama dans les eaux territoriales Grecques.

Jeudi 23 juin, en début de soirée, je reçois un message sur mon portable puis un coup de fil. On a besoin de moi sur le « bateau français pour Gaza ». Promptement je m'organise, je n'ai pas beaucoup de temps devant moi. Le départ du bateau « Dignité » est prévu le samedi 25 juin à 9h du matin, du port de San Ambrogio en Corse !

Depuis le lancement du projet « un bateau français pour Gaza » en janvier, l'idée de participer à ce grand mouvement de solidarité ne me quitte pas, les condamnations et les protestations ne suffisent plus. Je me sens dans l'obligation d'agir pour rompre le silence complice de nos gouvernements et dénoncer cette injustice mais aussi le marchandage politique stérile qui la couvre afin de la justifier pendant qu'un million et demi de Palestiniens souffrent et manquent de tout dans l'indifférence générale.

Vendredi, c'est le départ vers la Corse. Après deux escales à Paris et à Marseille, j'arrive en fin d'après midi à Ajaccio où je suis accueilli et hébergé pour la nuit par des amis. Le matin tôt, après trois heures de route sinueuse, me voilà au point de départ devant un yacht de 19 m, le « Dignité » « Al-Karama », un nom qui résume toute la situation.

Des sympathisants étaient là pour nous soutenir, tandis que sur le pont l'équipage (3 marins et 2 convoyeurs) était prêt à appareiller. J'ai juste le temps de dire au revoir à l'ami qui m'a hébergé qu'un marin lève l'ancre à l'heure prévue et le bateau s'éloigne sous les applaudissements et les encouragements qui nous accompagnent. Nous commençons un long voyage.

Très vite la vie s'organise à bord. Je me présente et je fais connaissance avec Laurent le capitaine, Vincent le second, Hilaire et Yannick les deux marins et Omeyya Seddik représentant de « la Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives », convoyeur comme moi du « Dignité ». J'étais le seul représentant de l'association France Palestine Solidarité et le second représentant du comité de coordination à bord du « Dignité » avec Omeyya.

Dix minutes plus tard, des journalistes et un cameraman nous ont rejoints sur une petite embarcation rapide, avec Julien, du comité de coordination de la campagne. Nous échangeons quelques mots, un drapeau palestinien à la main je salue à plusieurs reprises nos accompagnateurs comme le reste des passagers et le bateau reprend sa vitesse de croisière.

Le soir, passagers et équipage nous faisons le point et établissons le programme de la traversée. Omeyya et moi-même nous sommes intégrés dans l'emploi du temps après un cours de navigation et quelques conseils sur l'utilisation du GPS et du compas maritime. Nous devons assister l'équipage, car la distance à parcourir est longue.

A tour de rôle, pendant que les uns se reposent, deux membres de l'équipage assurent la navigation, car nous devons naviguer jour et nuit. Notre prochaine étape sera Naples pour se ravitailler en gasoil.

1730 km nous séparent de notre point de rendez-vous. En partant de San Ambrogio nous mettons le cap sur Naples, Messine, Régio Calabria, Patras, Corinthe, et enfin Salamine par le canal de Corinthe. A bord, notre vie est réglée comme une montre : le ménage, les repas, la vaisselle et la lessive. Et surtout, chacun de nous assure son quart en vrai marin.

Nous avons navigué jour et nuit pour arriver enfin le 29 juin au soir à notre point de rendez-vous en Grèce où nous sommes restés cachés à distance du Pirée. Quelques nouvelles très brèves nous parlent de sabotage sur deux bateaux de la flottille...la prudence est de mise.

Le "Dignité" Taversant le canal de Corinthes en Grèce

Le 30 juin, Laurent, notre Capitaine, Yannick le marin et Omayya ont débarqué en fin d'après- midi pour faire quelques courses ; le soir même des nouvelles alarmantes nous parviennent : ils se sont faits agresser à Athènes. Resté à bord, avec Vincent et Hilaire, inquiets sur l'état de santé de nos trois autres compagnons, nous essayons de trouver des solutions pour nous ravitailler en eau et réparer quelques pannes survenues lors de notre traversée. La tension est visible sur nos visages mais toujours la même détermination nous anime. Il nous faut rallier Gaza.
Les rares nouvelles qui arrivent sur mon portable nous rassurent tant bien que mal sur nos compagnons mais surtout nous invitent à redoubler d'attention car les informations en provenance du port d'Athènes ne sont pas rassurantes. Le gouvernement grec semble vouloir immobiliser tous les navires de l'expédition à quai. Le comité de coordination de la Flottille de la Liberté a été reçu à l'ambassade de France en Grèce et à l'ambassade américaine mais sans résultat.

J'ai débarqué le 2 juillet, pour rejoindre le reste de l'équipe à Athènes avec un petit pincement au coeur comme si la moitié de moi-même était restée sur ce bateau avec le reste de l'équipage. Avant de quitter le « Dignité », j'avais accueilli à bord Olivier Besancenot et Julien Rivoire du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) et Nicole Kiil-Nielsen, députée européenne Europe-Ecologie, la syndicaliste Annick Coupé, porte-parole de Solidaires ainsi que quatre militants pro-palestiniens : Jacqueline Le Corre, médecin, représentant le collectif 14 et membre de l'association France-Palestine Solidarité, Oussama Muftah, membre du Collectif 59 Palestine, Nabil Ennasri, président du Collectif des musulmans de France.

Après avoir subi les tracas habituels et présenté mon passeport à l'accueil de l'hôtel où les autres membres de l'équipe attendaient de pouvoir partir sur l'autre bateau français, le « Louise Michel », mon amie Claude Léostic, vice présidente de l'AFPS et membre du comité de coordination de la Flottille de la Liberté II, m'a présenté à quelques participants réunis dans une grande salle qui jouxte l'accueil. Nous sommes sortis avec quelques amis pour nous restaurer, en petit groupe, à quelques mètres de l'hôtel. Pour la petite histoire quelqu'un du groupe me faisait remarquer qu'on était suivi par des policiers en civil.

Le 3 juillet avec tous les passagers nous avons entamé une grande marche à Athènes, qui s'est terminée devant le ministère de l'intérieur grec, pour protester contre cette interdiction illégale. Nos amis grecs étaient présents en masse pour nous soutenir et pour nous guider.

Le soir- même j'avais pris ma place sur le « Louise-Michel », plus grand et plus spacieux que le « Dignité », une réunion s'imposait devant le refus des autorités grecques de nous délivrer le document en règle du bateau mais non encore signé par les autorités maritimes du port d'Athènes. Cette signature était absolument nécessaire pour que notre bateau, comme le reste de la flottille, puisse reprendre sa route vers Gaza.

Nous savions que les Etats-Unis, Israël et tous les pays européens faisaient pression sur le gouvernement grec pour nous empêcher de partir vers Gaza. Désormais nous sommes devenus les otages d'un Etat grec qui est lui-même objet de pressions et de marchandages politiques de bas étage orchestrés par Israël, les Etats-Unis et l'Europe. Nous avons acquis la certitude que le blocus de Gaza que nous voulons briser commence en Europe. La démonstration en a été faite !!!! Le 4 juillet malgré les intimidations, les agressions et les sabotages de tous genres, notre détermination est restée intacte, elle est visible et palpable dans les actes et les paroles de chacun de nous. Nous décidons d'une action médiatique. Beaucoup de visiteurs montent à bord du « Louise-Michel ». Parmi eux, nous avons eu la visite et le soutien de l'équipe américaine dont le bateau est bloqué dans une base navale grecque sur ordre des États-Unis et dont le capitaine est emprisonné pour « troubles à la circulation » dans le port d'Athènes.

avec Mustapha Barghouti (Député palestinien et acteur de la réconciliation entre Palestinien) à bord du "Louise-Michéle"

Mustapha Barghouti, député palestinien et acteur de la réconciliation entre Palestiniens, venu soutenir la flottille de la liberté, est aussi à bord du « Louise-Michel ». Je me suis longuement entretenu avec lui. Il a salué le courage et la détermination des hommes et des femmes de la société civile française et internationale.

L'apparition des drapeaux français, palestinien et européen suscite beaucoup d'applaudissements à bord du « Louise-Michel » et sur le quai, les appareils photos crépitent, les médias présents ne chôment pas, des groupes de discussion se forment ici et là.

C'est un grand moment de solidarité internationale sous les projecteurs des médias. Quant à moi, je suis ailleurs, mes pensées sont avec ce petit bateau caché quelque part dans le dédale des iles grecques. Ce frêle esquif de l'espoir, que j'ai convoyé et à bord duquel j'ai laissé 11 passagers aussi déterminés à prendre le large pour porter un message de paix qu'on ne cesse de se relayer de port en port comme dans une course de relais, est prêt à voguer vers Gaza.

Une décision est prise, le comité de coordination accompagné du capitaine et de Mustapha Barghouti se dirige vers les bureaux des affaires maritimes du port pour réclamer le document manquant et pour faire lever l'interdiction illégale et contraire aux accords de Schengen qui bloque le « Louise-Michel ». Beaucoup de médias sont présents à bord et sur le quai, d'autres se précipitent vers le comité qui essuie un refus définitif et irrévocable de la part des autorités maritimes grecques.
La pression est à son comble, nous ne pouvons accepter que le droit soit bafoué et que certains de nos hommes politiques s'agenouillent devant le diktat israélien et devant ce refus. Le « Louise-Michel », ancre levée et moteurs en marche, fait une tentative de départ.

Le bateau francais "Louise-Michel" bloquée au port d'Athènes par décision du gouvernement Grec. 

Nous sommes en Europe au sein même de l'espace Schengen où la notion de « espace de liberté, de sécurité et de justice » a été adoptée et signée par les pays membres à Lisbonne en 2007. En théorie nous sommes donc libres de porter notre aide à tout un peuple qui vit dans l'enferment et menacé de mort lente par un blocus aussi illégal que criminel imposé par Israël avec la complicité des grands pays qui se veulent démocratiques. Mais un pays européen signataire des conventions de Genève et de Schengen nous empêche de faire notre devoir simplement parce qu'un état voyou non européen s'y oppose.

Nous sommes des citoyens, femmes et hommes qui représentons la société civile, unis pour briser le siège de Gaza, pour faire respecter le droit international et pour répondre à la crise humanitaire que subit un million et demi de Palestiniens dans une prison à ciel ouvert, au vu et au su de toute la communauté internationale.
Nous sommes les représentants pacifiques de ces milliers de donateurs en France et dans le monde. Nous sommes porteurs d'un message de paix et de solidarité aux enfants de Gaza pour leur redonner l'espoir d'une vie et d'un monde meilleurs. Malheureusement notre élan est entravé par nos propres gouvernements qui se font complices d'un état voyou et criminel.

Mais nous n'avons pas dit notre dernier mot et la traversée de France en Grèce de ce petit bateau le « Dignité » ne s'est pas faite pour rien, nous avons choisi de braver l'indigne complot.

Quelques jours après, le « Dignité » Al-Karama réussit enfin à prendre le large. Il sera le symbole de la détermination de la conscience des peuples à mettre fin au calvaire des Palestiniens de Gaza.

Je n'ai pas cessé de penser à mes amis Hilaire, Yannick, Omeyya, Vincent et Laurent ni à ces discussions qui ont émaillé cette traversée. Je suis fier d'eux, comme je suis fier de Claude et de Jean Claude, ils se reconnaîtront j'en suis sûr, je suis fier des 16 passagers du « Dignité » qui ont fait route vers Gaza.

Israël et ses alliés se targuent et se félicitent d'une victoire de l'illégalité sur la légalité, de l'injustice sur la justice et du non droit sur le droit, mais en réalité ils ont perdu l'essentiel : Leurs agissements ont suscité l'indignation des citoyens de ce monde. Demain nous serons plus nombreux à vouloir briser ce blocus et à rétablir le droit.

Notre détermination reste intacte malgré les intimidations, les agressions, les sabotages forts de la légalité et des lois internationales. Forts de notre engagement dans cette voie pacifique, nous renouvèlerons cette action car nous aspirons tous à joindre Gaza et à briser ce blocus criminel :

- Parce que nous refusons de voir 1 million et demi de personnes sous blocus.

- Parce que nous n'acceptons pas que nos Etats se contentent de paroles jamais suivies d'actes.

- Parce que nous pensons que la communauté internationale doit imposer la levée totale du blocus de Gaza.

Devant l'inaction des démocraties complices de crimes contre l'humanité, nous, citoyens du monde avons pris sur nous de rompre le mur de l'indifférence et pour rappeler à ces mêmes Etats qu'il n'y a aucun échappatoire au rétablissement du droit et de la justice.

Pendant ces semaines intenses de solidarité internationale, j'ai eu le plaisir de faire connaissance avec des personnalités politiques françaises connues présentes sur le « Louise-Michel » ainsi que de nombreux citoyens épris de justice et de droit, qui pour la plupart ont laissés derrière eux une famille, pour venir témoigner de leur solidarité avec le peuple palestinien.

Très ému de ma rencontre avec Mustapha Barghouti avec lequel j'ai évoqué la situation en Palestine, la réconciliation, les révoltes arabes et bien d'autres sujets, je reste convaincu de la justesse de notre démarche et de la victoire politique de la Flottille de la Liberté.

Moncef CHAHED

AFPS -  france-palestine.org

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