Jillian Kestler-D'Amours
En adoptant la stratégie d'arrestation et de détention des enfants palestiniens, Israël vise à dissuader la résistance, écrit Jillian Kestler-D'Amours.
Outre le traumatisme engendré par l'occupation, les enfants palestiniens sont régulièrement la cible d'arrestations, de détentions et d'interrogatoires exercés par les forces israéliennes d'occupation
Le monde célèbre le 26 juin de chaque année la Journée Internationale contre la Torture.i Pour commémorer cet évènement, le Comité populaire d'Al-Bustan a tenu à être près des enfants du village de Silwan, à Jérusalem-Est.
Pour Murad Shafa, habitant du village et membre du Comité, il est important de redessiner le sourire sur les visages des enfants, de les rendre heureux et de leur assurer que nous les soutenons, les assistons, et serons toujours à leurs côtés. Pendant ce temps, des dizaines d'enfants remplissaient les lieux par leur excitation et leur clameur alors qu'ils brandissaient et serraient de toutes leurs forces les ficelles de plusieurs ballons d'hélium. Ils étaient heureux de relâcher ces ballons que le vent emporta ailleurs, loin dans ce ciel qui enveloppe ce chaud quartier palestinien orné de rouge, vert, noir et blanc : couleurs du drapeau palestinien.
Shafa ajoute : « Chaque ballon représente un petit enfant qui a été arrêté et battu par la police. Le rôle de cette dernière est de protéger les enfants et non pas de les capturer. Nos enfants et nous-mêmes souffrons énormément des agissements de la municipalité et de la police de l'occupation ».
Niché juste au sud des murs de la vieille cité de Jérusalem et le Mont du Temple, ou, (communément appelée zone du Bassin Sacré), Silwan est le théâtre de confrontations hebdomadaires opposant les quelques 40.000 villageois Palestiniens à plus de 400 colons israéliens, soldats israéliens, officiers de police et agents privés omniprésents dans quartier, chargés de la sécurité des colons, constamment présents dans le quartier.
Passer une journée à Silwan implique le décor d'un ciel couvert d'un mélange suffocant de gaz lacrymogènes israéliens avec la fumée dense et noirâtre qui s'échappe des pneus brûlés dans les rues, souvent utilisés pour bloquer l'entrée des véhicules de l'armée israélienne dans la zone. En fait, le quotidien de ce quartier à forte densité populaire est régulièrement marqué par des accrochages entre les forces de sécurité israéliennes et les jeunes palestiniens, sans parler des actions ordinaires et répétées tels que les raids nocturnes, les arrestations et le recours aux différentes armes, même les balles réelles.
Des enfants arrêtés et détenus
Toutefois, l'année dernière, le nombre d'arrestation de jeunes palestiniens a connu une montée en flèche. Selon les rapports de la police israélienne, la période s'étalant de novembre 2009 à décembre 2010 a enregistré l'ouverture de 1267 dossiers criminels contre des mineurs accusés de jet de pierres. Ce modèle s'étend même en 2011 puisque des centaines d'enfants, majoritairement originaires de Silwan, continuent d'être arrêtés et détenus pour des prétendus lancements de pierres.
Pour cela, la procédure est courante. Les enfants sont souvent arrachés de leurs lits en pleine nuit. Ils sont alors interrogés en l'absence d'avocats, de leurs parents ou d'autres membres de leurs familles. Ils ont tous été victime d'une façon ou d'une autre d'abus ou de maltraitance physique ou psychologique durant les interrogatoires.
Il va donc sans dire que cette pratique transgresse les conventions internationales, telles que la Convention des Nations Unies sur les Droits de l'Enfant et la Quatrième Convention de Genève, ainsi que les lois israéliennes relatives aux droits des mineurs.
Et c'est justement dans cette optique que l'Association pour les Droits Civils en Israël (ACRI) reconnait que la Loi Israélienne sur les Jeunes est fréquemment violée à travers les procédures d'arrestation et d'interrogation appliquées sur les enfants palestiniens originaires de Jérusalem-Est. Les dispositions de la loi qui sont particulièrement ignorées stipulent, entre autres, que l'arrestation de mineurs devrait être évitée si possible, que la durée de l'arrestation du mineur doit être la plus courte possible et que, quelque soit la décision prise à l'encontre d'un mineur, l'âge du suspect et l'impact de l'arrestation sur son bien-être et développement physique et mental doivent être pris en considération.
Et ce n'est pas tout. En effet, alors que l'âge de responsabilité pénale est 12 ans, des enfants ne dépassant pas les sept ans avaient été arrêtés et interrogés à Silwan car soupçonnés d'avoir lancé des pierres. Ces faits ont été mentionnés dans le rapport d'ACRI du mois de mars 2011 qui fait savoir que ''la police ne faisait aucune distinction d'âge lors de ses enquêtes, même si elle sait que le mineur en question n'a pas encore atteint l'âge de responsabilité pénale.
« Les enfants avaient été détenus pendant des heures, menottés. Les procédures suivies lors des interrogatoires consistaient à les menacer, à leur crier dessus et à user de tous les moyens pour les forcer à révéler des informations au sujet d'incidents commis dans leurs quartiers. Dans ce contexte, il est important, voire alarmant d'insister sur le fait que plus l'enfant est très jeune, plus il y a de grandes chances pour qu'il soit victime de traumatismes et de ravages psychologiques à cause de ces traitement » poursuit le rapport.
Le phénomène d'arrestation, souligne Sara Francis, Directrice d'Addameer (Association pour le Soutien et les Droits Humains des Prisonniers), ne vise pas seulement à intimider et effrayer les jeunes, mais est, de manière générale, utilisé comme outil politique pour dissuader le militantisme politique palestinien.
Elle explique : « D'abord, on procède par la menace [des enfants] en les poussant à réfléchir dix fois avant de se lancer dans l'avenir dans un militantisme politique. [Les autorités israéliennes] savent pertinemment que cette expérience marquera à jamais l'individu et l'accompagnera pour le restant de sa vie et par voix de conséquence, elle affectera aussi toute la communauté ». Et de poursuivre : « Les arrestations de mineurs ont également pour objectif de les faire parler et dénoncer les militants adultes. Ils savent qu'ils peuvent recueillir des aveux des jeunes gens, ainsi que les noms des organisateurs adultes ».
La présence des colons ravive les tensions
Le cas de Silwan est assez spécial. En fait, ce qui se cache derrière l'arrestation d'enfants palestiniens est clair. L'objectif étant d'atténuer la résistance des résidents Palestiniens face à l'expansion des colonies juives en cours et maintenir le contrôle juif exclusif sur le quartier, pour enfin éviter toute forme de soulèvement face à la violence de la police et de l'armée, aux démolitions des maisons ainsi que l'oppression quotidienne qui accompagne ce projet de colonisation.
Par ailleurs, Silwan a connu ces dernières années une croissance dans l'implantation des familles juives partout dans Jérusalem-Est, y compris Elad et Ateret Cohanim, objectif dessiné par des organisations privées de la droite israélienne.
D'après un rapport établi par l'ONG israélienne Ir Amim, les premiers colons appartenant à Elad ont élu domicile, en 1991, à Wadi Hilweh, quartier de Silwan. Aujourd'hui, l'organisation s'est emparée d'un bon nombre de propriétés et gère le site archéologique de la Cité de David, pôle touristique qui draine des centaines de milliers de visiteurs chaque année.
Ainsi, les habitants de Silwan affirment que la municipalité de Jérusalem a mis au point des politiques de zonage et de planification dont bénéficient exclusivement les résidents juifs et les touristes. Parmi ces plans, à titre d'exemple, la construction d'un parc où le jardin du Roi David aurait autrefois été localisé ; une démarche qui nécessiterait la démolition de 88 maisons à Al-Bustan. Autrement dit, la destruction de tout le quartier et l'expulsion de tous ses habitants.
Aujourd'hui, les chiffres rapportent qu'environ 400 colons israéliens vivent parmi les 40.000 résidents palestiniens de Silwan.
Et pour leur sécurité, outre les caméras de surveillance plantées dans chaque coin du quartier, ces colons bénéficient d'une garde privée 24h/24, employée majoritairement par la société israélienne privée pour la sécurité Civilian Intelligence (Modi'in Ezrahi en hébreu). Et c'est le Ministère Israélien pour la Construction et l'Habitat qui sous-traite avec cette firme.
Les coûts de ces services de sécurité privés accordés aux colons juifs de Jérusalem-Est, payés entièrement par les contribuables israéliens, sont estimés à environ 54.5 millions NIS (New Israeli Shekel), soit $16 millions. Ce chiffre apparait dans un rapport d'ACRI du mois de septembre 2010, intitulé « Unsafe Space ».
Ce dernier, à la base de témoignages des résidents du quartier, rapporte que les gardes de sécurité ont un comportement injurieux et n'épargnent ni enfants jouant dans les ruelles, ni adultes. Il ajoute : « Ils recourent à la violence verbale et physique et utilisent souvent des armes chargées. D'ailleurs, les résidents jugent que les gardes de sécurité ont 'la détente facile' et considèrent qu'ils sont les seuls à pouvoir agir en tant qu'arbitres durant le quotidien du quartier ».
Contrairement aux officiers de police dont le recours à la force répond aux strictes directives établies par la loi et par les procédures policières, les gardes de sécurité privés ne sont pas soumis à ces lois, ni aux règlements fondamentaux de la police dans l'exercice de ses fonctions. En conséquence, puisque les gardes de sécurité ne sont tenus par aucune définition claire de travail, l'abus de pouvoir s'installe.
En effet, au mois de mai de cette année, le jeune Milad Ayyash, âgé de 17 ans, a été assassiné à Beit Yonatan, une colonie israélienne de sept étages située dans le quartier Baten el-Hawa de Silwan. Les circonstances réelles sur le décès de Ayyash doivent encore être examinées. D'autre part, le procureur d'état israélien avait estimé que l'immeuble, construit en 2004 par le groupe de colons de l'extrême droite Ateret Cohanim, doit être évacué dans les meilleurs délais.
Un autre cas, enregistré en septembre 2010, fait état de l'assassinat d'un habitant de Silwan dans des circonstances douteuses. Samer Sarhan a été tué par un garde de sécurité d'une colonie israélienne.
Objectif final : déplacer les Palestiniens
Au lendemain de la guerre de 1967 où Israël a entamé l'occupation de Jérusalem-Est, l'état a commencé par recenser les habitants palestiniens, en attribuant à environ 66.000 d'entre eux des cartes d'identité de Jérusalem. Cependant, toute personne absente durant le recensement n'a pu bénéficier des droits de résidence à Jérusalem.
Depuis ce jour, suite à l'application d'un système draconien décrété par les autorités israéliennes, plus de 14.000 cartes d'identités de Jérusalem avaient été retirées des Palestiniens et ce, pour prouver que son « centre de vie » se trouve dans la ville. En effet, quitter le pays pendant sept ans ou acquérir une citoyenneté étrangère sont passibles à la perte du droit de résider à Jérusalem, voire même l'interdiction d'entrer dans la ville pour travailler ou visiter les lieux saints, la famille ou les amis.
Ainsi, pour sauvegarder le soi-disant équilibre démographique » de la ville, les autorités israéliennes ont mis en place cette politique de révocation des cartes d'identité de Jérusalem, associée à l'expansion illégale de colonies exclusivement juives, aux politiques discriminatoires de zonage et aux démolitions des habitations puisque les palestiniens sont incapables de recevoir des permis de construire.
Dans ce contexte, et ne ménageant aucun effort, la municipalité de Jérusalem travaille ardemment pour augmenter la présence juive à Jérusalem, principalement dans la zone du Bassin Sacré qui entoure le Vieille Cité (dont Silwan fait partie) et ce, dans le but de préserver une majorité juive et limiter le nombre des palestiniens de Jérusalem pour qu'il ne dépasse pas les 30%.
En mars 2001, le Rapporteur Spécial des Nations Unies sur les Droits de l'Homme dans les territoires palestiniens occupésii, Richard Falk a rapporté que « le modèle continu de l'expansion des colonies à Jérusalem-Est, associé à l'expulsion forcée des vieux habitants palestiniens créent un environnement insoutenable dans cette partie de la ville, autrefois contrôlée par la Jordanie... [Et] au vu de ses incidences négatives, cette situation n'a qu'une seule définition : le nettoyage ethnique ».
C'est pourquoi, des quartiers comme Silwan, où la résistance, la conscience politique et les projets de responsabilisation des jeunes sont en plein essor et dont les sièges dans des domaines clés de la municipalité lui attribuent le contrôle, représentent une menace réelle pour le plan d'accomplissement fixé et recherché d'Israël, à savoir aboutir à « l'équilibre démographique ».
Ainsi, alors que l'objectif final aspire à intimider et à atténuer la résistance des palestiniens de Jérusalem face aux politiques israéliennes, l'arrestation de plus de 1200 mineurs à travers Jérusalem-Est n'offre qu'une seule lecture ; il s'agit d'un moyen utilisé aujourd'hui pour faciliter le déplacement des palestiniens de Jérusalem et préserver le contrôle juif sur la ville.
Et en ce 26 juin, sous le regard de ces enfants qui venaient de relâcher des centaines de ballons dans l'air, Murad Shafa affirme que la police israélienne soutient la municipalité de Jérusalem. Elle tente d'arrêter nos enfants, de les brutaliser, de tirer des gaz lacrymogènes sur eux et de les attaquer sur le chemin de l'école ou des magasins.
« Mais quoiqu'ils fassent - ajoute mon interlocuteur - nous leur disons que nous allons tout simplement rester ici, et nous allons apprendre à nos enfants le sens de la détermination, la stabilité et la persistance. C'est pourquoi, pour rien au monde nous ne déserterons nos maisons, notre terre et notre vie dans chaque coin de notre Jérusalem. »
* Jillian Kestler-D'Amours est journaliste canadienne indépendante vivant à Jérusalem. Elle contribue régulièrement avec The Electronic Intifada, Inter-Press Service et Free Speech Radio News. jkdamours.com