Ah que l'image plait : Gbagbo et Madame, à l'Hôtel du Golfe, en vrac, hébétés et apeurés, avec cette mise en scène horrible qui rappelle l'arrestation du couple Ceausescu, et qui renvoie à l'exécution filmée de Saddam Hussein. Quels sont ces minables vainqueurs obligés d'humilier leurs vaincus ? Quel avenir se préparent-ils ?
Le gendarme qui se croit plus fort que le juge... ça ne mène pas loin : toutes les grandes civilisations en témoignent.
Ca se déchaine déjà ! Gbagbo doit être jugé, et par la Cour Pénale Internationale, la seule qui pourrait faire quoi que ce soit vu l'immensité de ses crimes. Avec d'un côté la France, au summum de l'hypocrisie, expliquant qu'elle n'est pour rien dans cette arrestation, et Hillary, la truculente mère fouettard de Washington expliquant « Voilà ce qui arrive quand les pas-gentils s'accrochent au pouvoir ». La même mère fouettard qui applaudit le renvoi de Béchir, Kadhafi et Gbagbo devant la Cour Pénale Internationale, mais refuse de ratifier le Traité instituant cette Cour - pourtant signé son héros de mari - de peur de se voir notifier le lendemain un mandat d'arrêt.
Alors, c'est la partition du jour : il faut juger Gbagbo. Malheur aux vaincus.
Et d'abord, pourquoi la Cour Pénale Internationale ? La Côte d'Ivoire est un Etat souverain. Elle a tout pour juger les crimes commis sur son sol. Il faut donc que les enquêtes soient ouvertes, que des juges soient désignés, que des avocats défendent les droits des personnes mises en cause et que la presse suive tout cela. Si le processus coince, il sera bien temps pour les Ivoiriens d'en analyser les causes et de mesurer quelle forme de coopération peut être trouvée avec la Cour Pénale Internationale, pour finalement peut-être renoncer à la solution nationale et transférer l'affaire à la Cour.
Mais ce serait un immense recul de l'Etat ivoirien que de se montrer incapable de gérer la fonction judiciaire. Ce serait un Etat diminué, et on perçoit la jouissance suave qui nourrit ces appels à la Cour Pénale Internationale. Un Etat limité, renonçant à sa fonction judiciaire, incapable de se saisir de la période la plus chaude de son histoire. La Côte d'Ivoire deviendrait un super bantoustan - justice via la CPI, police via l'ONU et diplomatie via la France - qui mettrait gentiment en oeuvre les préconisations de bonne gouvernance du FMI et resterait une place forte française, avec la Bolloré Connection pour chanter des louanges au libéralisme moderne. Et puis juger Gbagbo ? Parler ainsi, c'est déjà donner ordre à la justice le condamner, et basta, tournons la page, comme s'il n'y avait qu'un seul coupable et avec tous les torts. Mais, ce n'est pas la justice, ça, c'est à peine le sheriff du Texas.
Si on appelle la Justice au secours, il faut la respecter, et avant de juger l'affreux Gbagbo pour ses crimes, il faut instruire sur les faits. Le procès à la Ceausescu, c'est « quels sont les crimes que ce salaud a commis ? » La Justice, c'est « des crimes ayant été commis, enquêtons sur les faits et recherchons les coupables, tous, pour les juger, tous ».
Ce qui suppose aussi de s'intéresser aux conditions de l'arrestation de Gbagbo et au rôle décisif des troupes françaises, alors qu'elles ne pouvaient agir que dans le cadre du mandat de l'ONU, que le mandat ne leur permettait d'intervenir que contre l'usage des armes lourdes, et qu'il n'autorisait en rien de participer à l'arrestation de Gbagbo.
Trop lourd pour le jeune pouvoir de Ouattara ? Pile l'inverse. Ouattara est entrain de se faire asphyxier par ses adorateurs de la « communauté internationale ». Il n'a pas eu la partie facile, d'accord. Mais il faut lui souhaiter d'être en mesure de reprendre en main toutes les cartes et très vite, car toute autre solution serait un confort facile qui lui bloquerait l'avenir.
Dès demain, on nous passera en boucle les images de l'alimentation qui revient à Abidjan et de la vie qui reprend son cours. Mais il ne faut pas oublier l'essentiel, et ce serait une grande faute de transformer en utilité cette Justice, qui est un pouvoir régalien.
Corrado Giaquinto, Allégorie de la Paix et de la Justice
1753-54 Indianapolis, Museum of Art