Les deux articles qui suivent se penchent sur les lois régissant les opérations militaires sur le territoire d'un état de droit.
Encore une agression illégale
Arrêtez de bombarder la Libye
par MARJORIE COHN, CounterPunch
Les Etats-Unis, la France, et la Grande-Bretagne bombardent la Libye depuis samedi soir avec des missiles de croisière, des bombardiers furtifs B-2, des chasseurs F-16 et des F-15, et des avions d'attaque Harrier. On n'a aucun chiffre fiable concernant le nombre de victimes civiles. Les Etats-Unis ont pris le commandement des opérations punitives de bombardements destinées à faire respecter la Résolution 1973 du Conseil de Sécurité des Nations Unies.
Cette résolution autorise les états membres des Nations Unies à :
"prendre toutes les mesures nécessaires (...) pour protéger la population civile et les zones habitées par des civils menacées d'être attaquées dans la Jamahiriya arabe libyenne, y compris à Benghazi, à l'exclusion de la constitution de toute force d'occupation sous quelque forme que ce soit sur tout le territoire libyen".
L'action militaire qui est menée actuellement outrepasse les droits accordés par l'autorisation concernant "toutes les mesures nécessaires".
Toutes les "mesures nécessaires" auraient d'abord dû être des mesures pacifiques pour résoudre le conflit.
Mais les possibilités de conciliation n'avaient pas encore été épuisées qu'Obama avait déjà commencé à bombarder la Libye. Une délégation internationale de haut niveau - composée de représentants de la Ligue arabe, de l'Organisation de l'Unité Africaine, et du Secrétaire General de l'ONU - aurait dû être envoyée à Tripoli pour tenter de négocier un véritable cessez-le feu et de parvenir à un accord pour organiser des élections et la protection des civils.
Il ne fait aucun doute que Mouammar Kadhafi a réprimé violemment la contestation en Libye dans le but de conserver le pouvoir. Mais la raison d'être des Nations Unis est de préserver la paix et la sécurité dans le monde. Le conflit croissant en Libye est une guerre civile, qui ne menace pas sans doute la paix et la sécurité dans le monde.
La Charte des Nations Unies exige que tous les Etats membres règlent leurs différends de caractère international par des moyens pacifiques pour préserver la paix, la sécurité, et la justice dans le monde. Les états membres doivent également s'abstenir de recourir à la menace ou à l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière qui serait incompatible avec les objectifs des Nations Unies.
Ce n'est selon la Charte des Nations Unies, que quand un Etat agit en état de légitime défense, en riposte à une agression armée commise par un pays contre un autre qu'il peut l'attaquer militairement. Le besoin de se défendre doit être absolu, ne laisser aucun choix dans les moyens, et aucune place à la délibération. La Libye n'a pas attaqué un autre pays. Les Etats-Unis, la France, et la Grande-Bretagne n'agissent pas en état de légitime défense. Les préoccupations humanitaires n'entrent pas dans les critères de l'autodéfense.
La Charte des Nations Unies ne permet pas l'utilisation de la force militaire pour des interventions humanitaires.
Mais l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté un principe concernant la " Responsabilité de Protéger " dans le Document final du Sommet mondial des Nations Unies de 2005. Le paragraphe 138 de ce document indique que: "C'est à chaque État qu'il incombe de protéger ses populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l'humanité".
Le paragraphe 139 ajoute:
"Il incombe également à la communauté internationale, dans le cadre de l'Organisation des Nations Unies, de mettre en oeuvre les moyens diplomatiques, humanitaires et autres moyens pacifiques appropriés, conformément aux Chapitres VI et VIII de la Charte, afin d'aider à protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l'humanité".
Le Chapitre VI de la Charte stipule que les parties concernées par
"un différend dont la prolongation est susceptible de menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationales doivent en rechercher la solution, avant tout, par voie de négociation, d'enquête, de médiation, de conciliation, d'arbitrage, de règlement judiciaire, de recours aux organismes ou accords régionaux, ou par d'autres moyens pacifiques de leur choix".
Le Chapitre VIII concerne les "accords régionaux", tels que l'OTAN, la Ligue Arabe et l'Organisation de l'Unité Africaine. Ce chapitre précise que les accords régionaux "doivent faire tous leurs efforts pour régler d'une manière pacifique, par le moyen desdits accords ou organismes, les différends d'ordre local".
Ce n'est que quand les efforts pour régler les différends d'une manière pacifique n'ont pas abouti que le Conseil de sécurité peut autoriser des actions coercitives en vertu du Chapitre VII de la Charte. Ces actions comprennent le boycott, l'embargo, la rupture des relations diplomatiques, voire des mesures de blocus et d'autres opérations exécutées par des forces aériennes, navales ou terrestres.
Le principe de "Responsabilité de Protéger" est né de la frustration de n'avoir pas pu agir lors du génocide au Rwanda, où quelques centaines de soldats auraient pu sauver un nombre incalculable de vies. Mais ce principe n'a pas été appliqué pour empêcher Israël de bombarder Gaza fin 2008-début 2009, et qui a provoqué la mort de 1.400 Palestiniens, des civils en majorité. Il n'a pas non plus été utilisé pour faire cesser l'assassinat de civils par les Etats-Unis en Afghanistan et au Pakistan.
Il y a également une hypocrisie inhérente au bombardement de la Libye par les Etats-Unis, pour faire respecter la loi internationale. L'administration Obama a fait un pied de nez à ses obligations internationales en refusant d'ordonner une enquête sur les hauts responsables de l'administration Bush concernant les crimes de guerre commis par leur régime tortionnaire. La Convention contre la torture et les Conventions de Genève imposent aux états membres de poursuivre en justice ceux qui violent leurs directives.
Les Etats-Unis prétendent bombarder la Libye pour des motifs humanitaires. Mais Obama refuse de condamner la répression et les massacres de manifestants perpétrés par le gouvernement de Bahreïn à l'aide de tanks et d'armes fabriqués par les USA parce que c'est là-bas que la Cinquième Flotte des Etats-Unis est stationnée. Et le Yémen, proche allié U.S., tue et blesse les manifestants pendant qu'Obama contemple le spectacle sans rien dire.
La résolution n'autorise pas l'aide au changement de régime. Et pourtant, les Américains qui bombardent la Libye ont pris pour cible la résidence de Kadhafi et Obama a déclaré, lors d'une conférence de presse à Santiago que la politique des Etats-Unis était que Kadhafi "devait partir".
La résolution interdit formellement que s'installe une "force d'occupation étrangère". Ne soyez pas surpris quand vous apprendrez qu'il y a des forces occidentales sur le terrain en Libye pour "entraîner ou "aider" les rebelles là-bas.
Le Secrétaire à la Défense, Robert Gates, l'a bien spécifié quand il a déclaré qu'une "no-fly zone" au-dessus de la Libye serait un "acte de guerre". Même si la Ligue Arabe préconisait soi-disant une "no-fly zone", Moussa, le secrétaire général de la Ligue Arabe, a déclaré que "ce qui se passe en Libye " n'a rien à voir avec l'objectif de mettre en place une no-fly zone.".
Il a ajouté: "ce que nous voulons, c'est que les civils soient protégés, pas bombardés". Il envisage d"'appeler à une nouvelle réunion de la ligue pour revoir leur soutien à une NFZ.
L'action militaire en Libye établit un précédent dangereux qui permettrait d'attaquer des pays où le gouvernement s'oppose aux pays pro-U.S. ou pro-Union Européenne. Qu'est ce qui empêchera les Etats-Unis de mettre en scène des manifestations, d'en grossir l'importance dans les médias en les faisant passer pour des actions massives, et ensuite de bombarder ou d'attaquer le Venezuela, Cuba, l'Iran ou la Corée du Nord? Du temps de Bush, Washington avait lancé des accusations infondées pour justifier une invasion illégale de l'Irak.
En outre, Obama s'est lancé dans une opération militaire sans consulter le congrès US, qui est la seule institution à avoir le pouvoir de déclarer la guerre. En quoi consiste notre mission là-bas, ni quand elle prendra fin nul ne le sait. Le congrès - et les Américains - doivent pouvoir débattre de notre rôle en Libye. Nous ne devons pas soutenir une troisième guerre coûteuse et illégale. Il y a un besoin manifeste de cet argent ici. Et nous devons refuser d'être complices du massacre de civils dans un conflit qui ne nous regarde pas.
Marjorie Cohn est professeure de droit à la Faculté de Droit Thomas Jefferson, ancienne présidente de National Lawyers Guild, et secrétaire générale adjointe de l'International Association of Democratic Lawyers. Son dernier livre s'intitule: "The United States and Torture: Interrogation, Incarceration, and Abuse" (NYU Press).
Lien utile:
Obama et la Libye
Et puis, traduction partielle de "Obama's War on Libya vs the Constitution"
de Michael Boldin / 22 mars 2011
La guerre d'Obama en Libye et la Constitution
Avec les opérations militaires qui ont lieu en Libye actuellement, la question essentielle qu'on doit se poser est: est-ce constitutionnel? Réponse. Absolument pas.
Délégations de pouvoirs
Les 9° et 10° Amendements définissent la Constitution. En bref, ils disent que le gouvernement fédéral n'a le droit d'exercer que les pouvoirs qui lui sont délégués par la Constitution. Et rien de plus. Tout le reste est soit interdit, soit entre les mains des états ou des citoyens eux-mêmes.
Quel rapport avec la Libye? Eh bien chaque fois que le gouvernement fédéral fait quelque chose, la première question à se poser doit toujours être : "où dans la Constitution lui est-il conféré l'autorité de le faire?"
Qui décide?
Depuis la guerre de Corée, on se réfère à l'Article II, Section 2 de la Constitution pour justifier que le président aurait carte blanche en ce qui concerne la politique étrangère - y compris l'initiative de guerres à l'étranger. Mais c'est l'Article I, Section 8 de la Constitution qui indique qui a le pouvoir de déclarer la guerre, et ce pouvoir est uniquement l'apanage du Congrès.
L'Article II, Section 2, en revanche, précise que le président est le "commandant en chef de l'armée et de la marine aux US". Ce que les pères fondateurs impliquent avec cette clause, c'est qu'une fois que la guerre est déclarée, c'est le président en tant que commandant en chef qui dirige les opérations.
(...)
James Madison écrivait à Thomas Jefferson que le pouvoir de déclarer la guerre ne doit pas être confié à l'exécutif:
"La constitution s'appuie sur le fait, et c'est ce que montre l'histoire de tous les gouvernements, que l'exécutif est le pouvoir qui est le plus tenté par la guerre, et le plus enclin à la faire. Et c'est pour cette raison que la constitution a conféré la question de la guerre au pouvoir législatif.
Ce qui se passe actuellement:
Du point de vue constitutionnel, les Etats-Unis sont actuellement en guerre contre la Libye.
La Libye n'a pas envahi les Etats-Unis, et n'a pas menacé de le faire non plus.
Le congrès n'a pas déclaré la guerre, c'est Barack Obama qui l'a fait.
Certains disent qu'Obama a le droit de déclarer la guerre s'il en fait part au congrès dans les 48h et le congrès aurait 30 jours pour autoriser cette opération, ou l'étendre.
Oui, mais, "où dans la Constitution est-il indiqué que le congrès a le droit de changer la constitution par une loi? Nulle part.
Et cette résolution, en soi, constitue une violation de la constitution.
Qu'il y ait ou non une résolution sur les pouvoirs de guerre (War Powers Resolution), sans une déclaration du Congrès, le président n'a pas le droit de lancer une offensive militaire. Point.
Conclusion? Barack Obama a commis une violation grave de la Constitution. S'il n'est pas le premier à le faire, il serait temps qu'il soit le dernier.
Michael Boldin est le fondateur du Tenth Amendment Center.
Voir le [texte original en anglais]
Note perso:
Le cas de la Libye constitue un précédent qui peut, en effet, avoir des conséquences graves à l'avenir. A savoir que n'importe quel pays peut envahir un autre pays si la fameuse "communauté internationale" décide qu'il faut prêter main forte à un gouvernement pour réprimer un mouvement d'opposition, ou pour renverser un chef d'état qui se rebelle contre son auto
rité.
Evidemment, les Etats-Unis et leurs satellites ne s'embarrassent pas, loin de là, de lois internationales, puisque ces lois qui ont été faites par eux ne leur sont pas applicables, mais cette nouvelle résolution ouvre encore la porte à d'autres abus.
Et si nous descendions massivement dans la rue et que Sarkozy demandait des renforts pour écraser le mouvement?
Et, pas d'illusions à se faire, le cas inverse ne se produira pas.
Aujourd'hui, tout le monde veut interdire ou permettre ce qui le dérange ou lui convient personnellement.
Le foulard te dérange? Interdisons le foulard.
La burqa te dérange, même jusqu'au fin fond de ta campagne? interdisons-la.
L'islam te dérange? Interdisons les vêtements et signes religieux qui désignent les musulmans.
Ceux qui prient dans la rue où tu ne passeras jamais te dérangent? Dénonçons quand même!
Les fumeurs te dérangent? Interdisons de fumer partout, même sur ton balcon, parce que ça gêne ton voisin.
Ces cons de chauffards qui te doublent te dérangent? Plaçons des radars partout.
Les petits dealers de ta rue te dérangent? T'inquiète, on va te mettre des caméras.
Les SDF occupent les bancs? Pas de problème, on va pas se faire chier, on enlève les bancs. De toute façon, tu n'en as pas besoin, t'as l'écran plat dernier modèle pour regarder le match de foot à la télé.
Et, pourtant, en acceptant les lois liberticides pour les autres, nous nous condamnons nous-mêmes.
Ces lois sont adoptées les unes après les autres avec la complicité de tout l'éventail politique et pour la plus grande joie du pouvoir qui multiplie les atteintes aux libertés et nous enferme dans sa norme.
Aujourd'hui, le consensus se fait autour de la Libye. Eh bien, je m'aperçois que pour des raisons à courte vue, pratiquement l'ensemble de la gauche, traditionnellement pacifiste, s'est rangée derrière le pire chef d'état que nous ayons eu depuis plus de cinquante ans, un chef d'état qui non seulement ne préserve pas les institutions, mais qui les détruit une à une jusqu'à ce qu'il s'octroie les pleins pouvoirs. Mais, nous avons le regard fixé sur autre chose.
Les élections cantonales sont révélatrices: le PS appelle à voter contre le Front National, le PG pour le PS. La messe est dite.
On prend les mêmes et on recommence.
Et toi, tu as le choix de quoi?
Tu as le choix de râler, dans une démocratie.
Triste époque.