25/03/2011 michelcollon.info  10min #51167

 L'Onu instrument de l'agression coloniale contre la Lybie !

La guerre contre la Libye n'est ni légale, ni morale

Après avoir reproché aux pays occidentaux leur complicité avec les régimes tunisien et égyptien, il peut sembler incohérent de s'opposer à une intervention militaire en Libye. C'est cependant le but de cet article. Dans un premier temps, nous nous interrogerons sur la légalité de cette guerre. Dans un second temps, nous essayerons de montrer que, d'un point de vue moral, elle est totalement illégitime. Pour terminer, nous expliquerons pourquoi, selon nous, il est extrêmement dangereux de la soutenir selon le principe que, dans tous les cas, elle permettra quand même de mettre un terme aux massacres

Simon de Beer

Une guerre légale ?

On a beaucoup insisté dans les médias sur le fait que la guerre contre la Libye avait été autorisée par l'ONU. Le 18 mars 2011, on lisait en une dans Le Soir que le Conseil de Sécurité avait « approuvé le recours à la force ». Dans La Libre Belgique, il était écrit que l'ONU avait donné son « feu vert à des raids[La Libre Belgique, 18 mars 2011, pp. 22-23.] ». Une intervention militaire, dès lors, pouvait être considérée comme légale en regard du droit international.

Bien qu'un recours à la force ait effectivement été autorisé par le Conseil de Sécurité de l'ONU, il convient de lire attentivement la résolution 1973 pour mesurer les conditions de ce recours. Le texte prévoit un usage de la force dans deux cas précis. Tout d'abord, « pour protéger les populations et les zones civiles menacées d’attaque en Jamahiriya arabe libyenne », ensuite « pour faire respecter l’interdiction de vol imposée » dans la même région. Toute intervention ne respectant pas ces deux objectifs enfreindrait donc le droit international.

Or, on a pu lire dans La Libre Belgique que la résolution a pour but, « sans le dire officiellement », de « destituer Mouammar Kadhafi[La Libre Belgique, 19 et 20 mars 2011, p. 4.] ». Dans Le Soir, Baudoin Loos a même parlé – tout naturellement – de « coalition anti-Kadhafi mandatée par l'ONU[Le Soir, 19 et 20 mars 2011, p. 2.] ». Dans les deux cas, de petits écarts par rapport au droit ne semble pas gêner nos journalistes, les mêmes qui, rappelons-le, ont mis tant d'énergie à souligner la légalité de la guerre. Par ailleurs, il va de soi que si le but de l'intervention était réellement de protéger les civils, le cessez-le-feu décrété par Tripoli, s'il était respecté, aurait dû mettre un terme aux projets de bombardements. Mais un tel scénario, pour le journaliste Vincent Braun, aurait été inacceptable. Selon ce dernier, « il serait dommage que la communauté internationale se voie contrainte de renoncer à [l']application » de la résolution si, les combats terminés, « la protection de civiles [était] assurée[La Libre Belgique, éditorial, 19 et 20 mars 2011, p. 64.]... ». L'objectif des bombardements est donc clair, il s'agit, plutôt que de protéger des civils, d'en finir avec le régime de Kadhafi. Cet objectif a d'ailleurs été clairement exprimé par le premier ministre Yves Leterme, qui, selon Le Soir, a affirmé que le but de la communauté internationale était de « déloger » le colonel[Le Soir en ligne, 21 mars 2011.]. Or, considérée sous cet angle, la guerre contre la Libye ne respecte pas le cadre fixé par la résolution de l'ONU. Elle est donc tout simplement illégale.

Mais les partisans des bombardements objecteront que c'est d'un point de vue moral, et en raison de « nos valeurs », qu'il convient de soutenir la guerre contre la Libye. Pour répondre à cet argument, nous prendrons trois des conditions généralement exigées pour parler de guerre juste, et montrerons en quoi elles ne sont pas ici respectées.

Une guerre morale ?

Épuisement des ressources pacifiques

Une première condition, pour parler de guerre juste, est d'avoir épuisé les solutions diplomatiques et pacifiques avant de recourir à la force. Dans le cas de la Libye, où s'affrontent deux groupes armés, cela consisterait en une offre de médiation. Or, ni l'Europe ni les États-Unis n'ont fait une telle offre. Ils se sont bornés, tout comme l'ONU, à poser des ultimatums unilatéraux à Kadhafi. Le Venezuela, en revanche, a proposé une « mission de médiation internationale formée de représentants de pays d'Amérique latine, d'Europe et du Moyen-Orient pour tenter de négocier une issue entre le pouvoir libyen et les forces rebelles[France 24, 3 mars 2011.]  ». Selon Al Jazeera, qu'on ne peut suspecter d'être pro-Kadhafi, cette offre avait été acceptée par le gouvernement libyen et refusée par l'opposition, la France et les États-Unis[Voir « Gaddafi accepts Chavez talks offer », 03 mars 2011 ; « Chavez Libya talks offer rejected », 04 mars 2011.]. Toute sortie de crise pacifique n'était donc peut-être pas compromise. Pourquoi, dès lors, l'Occident ne s'est-il pas engagé sur une telle voie si son but était bel et bien de « protéger les populations et les zones civiles », comme le prévoit la résolution de l'ONU ? Encore une fois, il semble que ce soit avant tout un changement de régime qui motive nos dirigeants à passer à l'action. Bombarder la Libye leur paraît plus important que de mettre fin aux massacres.

Des chances de succès

Une deuxième condition, pour parler de guerre juste, est de s'être assuré que la situation après la guerre sera meilleure que celle avant. Bien qu'on ne puisse jamais être certain des résultats d'une intervention militaire, il convient d'évaluer les risques occasionnés par celle-ci et les chances de succès. Or, que nous enseignent les exemples d'interventions occidentales dans le monde ? Depuis 1945, aucune d'entre elles ne s'est soldée par des résultats positifs. Nous ne parlerons pas ici, pour prendre un exemple récent, de la guerre en Afghanistan (10 000 civils morts), ni de celle en Irak (100 000 civils morts), mais de celle du Kosovo qui, sur bien des points, ressemble au cas de la Libye. En 1999, prétextant un génocide[L'accusation a été ouvertement abandonnée après le conflit.], l'OTAN s'est lancée dans une campagne de bombardements de 78 jours contre la Serbie. Ce pays avait eu le malheur de riposter aux attaques armées d'une guérilla albanaise indépendantiste dont, ironie du sort, on apprenait récemment dans La Libre Belgique qu'elle n'était peut-être pas la glorieuse équipe de résistants que le journal avait soutenus dix ans plus tôt[La Libre Belgique, 18 mars 2011, pp. 24-25. Le fait que La Libre publie un tel article dans un numéro où, par ailleurs, elle affirme son plein soutien à l'intervention en Libye et aux insurgés, en dit long sur la capacité de la rédaction à tirer des leçons du passé.].

Mais venons-en aux conséquences des bombardements. Avant ceux-ci, la situation au Kosovo avait été décrite par une mission de l'OSCE comme un échange de combats entre les forces de l'ordre yougoslaves et la guérilla albanaise dans les zones où celle-ci était présente[Mission d'observation de l'OSCE, KOSOVO/KOSOVA As Seen, As Told, 1999, p. 65.]. Depuis 1998, ces combats avaient fait selon Amnesty plusieurs centaines de morts dans les deux camps et causé la fuite de milliers de gens[Amnesty International, Rapport annuel 1999, p. 393.]. Le 15 mars 1999, le nombre total de réfugiés culminait à 311 000[Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, Rapport 1999, p. 22.]. Grâce à l'intervention de l'OTAN, ce chiffre grimpa en quelques jours à près d'un million[HCR, Rapport 2000, p. 17.]. Les sévices, viols et massacres ont également monté en flèche, la répression serbe s'est intensifiée, faisant de nombreuses victimes, et au moins 500 civils yougoslaves ont été tués par l'Alliance[Voir Amnesty International, Rapport annuel 2000 et Human Rights Watch, World Report 2000.]. Une étude d'un groupe d'économistes a par ailleurs établi que la guerre avait fait chuter le PIB serbe de 40%, mis au chômage 250 000 travailleurs et réalisé quelques 26 milliards de dollars de destructions matérielles[Ce groupe est le G17, un groupe d'économistes yougoslaves favorable à l'économie de marché. L'étude est citée dans Troude A., Géopolitique de la Serbie, Paris, Ellipses, 2006, p. 218.]. Une fois la « paix » rétablie par l'Occident, les non-Albanais furent victimes – selon l'ONU – d'« un climat de violence et d'impunité, de discrimination généralisée, de harcèlements et de menaces », qui poussa « plusieurs centaines de milliers » d'entre eux à fuir le Kosovo[HCR, Rapport 2000, p. 18.]. Aujourd'hui, ils sont encore 220 000 à vivre réfugiés dans le reste de la Serbie[HCR, Rapport global 2009, p. 292.]. Et alors que l'entièreté du territoire est toujours quadrillée par des patrouilles internationales, Human Rights Watch écrivait en 2010 que « la situation politique instable, les perp-étuels incidents inter-ethniques [275 en 2009] [...] et les mauvaises conditions -économiques » ne permettent pas d'envisager leur retour[Human Rights Watch, World Report 2010, p. 444.]. On ne peut donc pas vraiment dire que le bombardement de la Serbie – comme par ailleurs les invasions de l'Afghanistan et de l'Irak – ait amélioré la situation sur place. Pourquoi penser que ce sera le cas en Libye ?

Des buts uniquement humanitaires

Une troisième condition, pour parler de guerre juste, est que l'intervention ne soit motivée que par des buts humanitaires. Il ne peut y avoir d'autres enjeux, notamment économiques. La Libye, comme on le sait, est un pays producteur de pétrole. Si elle n'est pas le plus important exportateur des pays arabes, ses réserves sont tout de même suffisamment grandes pour susciter des convoitises. Or, bien que ces dernières années – et notamment dans le contexte de l'après-11 septembre – le régime de Kadhafi se soit de plus en plus conformé aux volontés de l'Occident, il a toujours conservé une politique économique relativement indépendante par rapport aux autres pays du Maghreb. Péché mortel qui, déjà en 1986, lui avait valu d'être bombardé par les États-Unis. La carte du Proche-Orient se redessinant, il n'est pas insensé d'imaginer que la Libye – avec ou sans son colonel – aurait pu revoir ses alliances et participer, avec ses voisins tunisien et égyptien, à une union économique locale et autonome. Un tel scénario, naturellement, aurait été un coup de plus porté à l'Occident. Aussi était-il sans doute plus prudent d'intervenir militairement pour s'assurer que, si Kadhafi tombait, son successeur serait en partie redevable de sa prise de pouvoir aux « démocraties ». En outre, une telle intervention avait le mérite de redorer le blason de l'Europe et des États-Unis, ouvertement compromis par leur soutien aux dictatures arabes.

Conclusion

La guerre contre la Libye est une guerre dont les enjeux ne sont pas humanitaires. Elle a été entreprise sans tentatives préalables de résolution pacifique et rien ne laisse penser qu'elle améliorera la situation sur place. Une telle guerre n'est ni juste ni morale. Comme on l'a montré plus haut, il se pourrait même qu'elle soit illégale.

Certains, bien sûr, objecteront que l'on ne peut attendre indéfiniment, que rien ne nous dit que l'intervention ne sera pas un succès et que, quand bien même il y aurait des enjeux cachés, elle permettra néanmoins de se débarrasser d'un dictateur et de mettre fin à des massacres ayant cours en ce moment. C'est vrai, peut-être que l'intervention mettra un terme aux massacres. Peut-être aussi qu'elle permettra de se débarrasser de Kadhafi. Mais il faut bien être conscient que raisonner de la sorte, c'est tomber dans le piège que nous tendent nos dirigeants. C'est accepter que, à la première occasion, ils se servent du moindre drame – réel ou inventé – pour justifier des interventions qui n'ont en fait comme autre objectif que de maintenir par la force un ordre économique mondial profondément injuste et inhumain. C'est pourquoi, pour mettre un terme, non pas à la brutalité d'un Kadhafi, mais à la nôtre, il faut refuser d'emblée de jouer le jeu de nos gouvernements, et s'opposer fermement à la guerre contre la Libye.

Source :  www.michelcollon.info

Investig'Action

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