Bons baisers de Suez
par Jean Bonnevey
On peut rappeler que la dernière expédition franco-britannique remonte à Suez en 1956. On ne le savait pas à l'époque, mais cette expédition - succès militaire et désastre diplomatique - allait marquer la fin de la domination européenne du monde. C'est en effet 10 ans après la fin de la Deuxième guerre mondiale que la situation nouvelle, que ce conflit avait créée, va véritablement se concrétiser.
Suez marque en effet la fin des deux grands empires coloniaux qui se partageaient le monde et qui vont renoncer à tenir leur rôle au profit des USA et de l'URSS... La décolonisation massive des années 60 en est la conséquence au moins logique sinon inévitable.
Le 6 novembre 1956, à minuit, prend fin l'expédition de Suez. Les parachutistes français et britanniques doivent cesser le feu quelques heures à peine après avoir sauté sur le canal et défait les troupes égyptiennes. Imposé par les Soviétiques et les Américains, ce cessez-le-feu sonne pour la France et la Grande-Bretagne la fin de l'ère coloniale et de leur influence au Moyen-Orient. Il annonce l'émergence du Tiers Monde et des pays arabes, ainsi que l'intervention des États-Unis dans la politique moyen-orientale.
A l'époque, il s'agissait de rétablir des droits sur le canal, tout en assurant la sécurité d'Israël. L'Etat israélien était alors considéré comme le bastion de l'Occident en terre arabe ; une thèse aujourd'hui à nouveau répandue dans certains milieux. Un certain Jean Marie Le Pen à d'ailleurs participé à cette intervention aux côtés de nos paras, en une époque où il estimait que défendre les colons israéliens c'était défendre les Français d' Algérie contre un nationalisme arabe représenté par Nasser, figure totalement éloignée de l'islamisme et de Ben Laden.
Guy Mollet :punir Nasser
Tout commence le 4 août. Le socialiste Guy Mollet, chef du gouvernement français, a reçu un télégramme de Robert Lacoste, nommé quelques mois plus tôt ministre résident en Algérie. Ce dernier lui demande de punir Nasser, coupable d'héberger au Caire les chefs de la rébellion algérienne et dont la radio, La voix des Arabes, diffuse des messages séditieux. Guy Mollet se rallie à l'idée d'une guerre préventive, contre l'avis de Pierre Mendès France et du président de la République, René Coty. Il est soutenu par le ministre de la Défense, Maurice Bourgès-Maunoury, mais aussi par le ministre de la Justice, un certain François Mitterrand qui plaide pour la «défense de la civilisation».
Suez: une réussite militaire mais un désastre historique
De son côté, le jeune État d'Israël, fidèle allié de la France, manifeste le souhait d'une guerre préventive contre l'Égypte, soupçonnée de vouloir laver l'affront subi par les Arabes en 1948. Nasser était alors présenté dans la presse française comme une sorte d'émule arabe d'Hitler, entouré de vieux nazis rêvant de poursuivre sur place l'extermination des Juifs.
L'opération militaire est une réussite, mais un désastre historique. Les franco-britanniques, menacées de représailles par les USA et l'URSS, vrais vainqueurs de la guerre mondiale et qui l'ont fait savoir, sont repartis victorieux, mais la queue entre les jambes. Nasser, défait, est devenu un temps le héros du monde arabe rêvant d'unité et de revanche sur les colonisateurs.
Nasser devient le héros du monde arabe
L'histoire, on le sait, ne se répète pas ; elle bafouille. Mais voir Sarkozy entraîner la G8 dans une opération militaire en Libye fait penser à Mollet et Eden... Sauf que la France et la Grande Bretagne ne sont plus ce qu'elles étaient, même à l'époque, et que, cette fois, les USA suivent, en traînant les pieds, et que l'Israël de Moshe Dayan n'est plus là.
Vaincu militairement, Nasser est sorti renforcé politiquement et diplomatiquement de la guerre de 1956. Qu'en sera-t-il de Kadhafi, reconnu finalement par le Conseil de Sécurité comme dirigeant libyen, alors que Paris et Londres affirmaient qu'il n'avait plus aucune représentativité, ni légitimité.
Faire la guerre au dictateur libyen est peut être une obligation morale ; c'est aussi une aventure aux conséquences immaîtrisables. Sarkozy a trouvé son Irak et Juppé se prend pour Rumsfeld. La route de l'Élysée passerait-elle maintenant par Benghazi ? Peut être. Mais «remember Suez!»