12/03/2011 europalestine.com  8min #50659

 La révolution égyptienne

Le goût de Tahrir : Video-reportage au cœur de la révolution égyptienne

Johnny Miller et Chris Den Hond ont suivi la révolution égyptienne pour Press TV, jusqu'à la chute de Moubarak. Ils nous livrent un reportage vidéo passionnant. (Traduction en Français ci-dessous).

par Johnny Miller et Chris Den Hond

Pendant des décennies, les rues du Caire ont été relativement tranquilles. Mais depuis le 25 janvier, des protestations contre la dictature de Mubarak ont éclaté. Nous atterrissons au milieu de la bataille du Caire.

Des manifestants anti-Mubarak se sont barricadés à la place Tahrir, la place de la Libération. Des voyous pro-Mubarak essayent de les repousser en jetant des pierres. Un journaliste japonais nous dit que la camera est directement visée : "Dès qu'ils ont remarqué ta camera, ils ont immédiatement commencé à jeter des pierres dans cette direction."

Des hôpitaux de fortune ont été mis en place sur la place Tahrir. Mr. Sergani, médecin égyptien, très connu pour être passé par un tunnel pour secourir les Palestiniens à Gaza pendant le massacre en 2008-2009, nous explique : "Nous nous sommes installés ici, juste à côté du musée. On traite tous les types de fracture, des blessures au visage ou ailleurs sur le corps, suite à des jets de pierres."

Les manifestants pro-Mubarak, à qui se sont joints des forces de la police en civil et des criminels libérés des prisons, ont commencé la violence. Depuis le début, plus de 300 personnes ont été tuées partout en Egypte et des milliers ont été blessées.

Maintenant on est très bien organisé

Un manifestant en keffieh nous raconte fièrement : "Hier, ici à côté du musée de Caire, c'était la plus grande, la plus longue et la plus sanglante des batailles. On se souviendra toujours de la bataille du musée. Nous n'étions pas très bien organisés au début, mais au fur à mesure on s'est amélioré. Maintenant on est très bien organisé et on a réussi à gagner cette bataille."

Ce n'est pas la première bataille que les manifestants ont gagnée. Vendredi 28 janvier, la police a dû se retirer des rues en Egypte, bouleversée par le nombre de manifestants partout dans le pays. Des commissariats et des voitures de police ont été incendiés. Même le quartier général du PND, le parti de Mubarak, a été mis à sac et incendié.

Quand la police s'est retirée des rues, un couvre-feu a été déclaré. L'armée a mis en place des barrages et les gens se sont organisés dans les quartiers pour empêcher le pillage.

Omar Barazi était toujours en première ligne parmi les manifestants. Il vient de perdre son boulot et tous les jours il se trouve à la place Tahrir : "Ces balles ici, je les ai trouvées dans la rue. C'est effrayant quand des gens sont tués simplement parce qu'ils demandent de meilleures conditions de vie et la démocratie. Beaucoup de mes amis diplômés à l'université sont au chômage. Ils sont dans la rue, ils ne font rien, ils boivent du thé. Même ceux qui ont un emploi ne gagnent pas beaucoup d'argent. Presque personne ne peut économiser. A la fin du mois, je dois toujours aller emprunter de l'argent."

La corruption, la brutalité de la police, le manque d'éducation,... la liste des griefs du peuple égyptien est longue.

En route pour Suez. Le canal de Suez est stratégiquement très important à cause des tankers de pétrole qui y passent. La ville même de Suez a été la scène de grandioses confrontations entre des manifestants qui envahissaient les postes de police, prenaient les armes et brûlaient les commissariats.

L'Égypte est le pays le plus peuplé du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord. En même temps, l'Égypte est un allié fidèle des États-Unis et d'Israël. Ce qui se passe en Egypte aura un impact bien en dehors du pays. Des conseillers nord-américains ont été actifs auprès du régime de Mubarak depuis le début de la crise. Le nouveau vice président, Omar Suleiman, a des liens étroits avec les USA et même avec Israël.

Entrer dans la ville de Suez a été bien plus difficile qu'on avait espéré. Arrivés à un barrage militaire, les soldats nous amènent au quartier général des renseignement militaires. Après 1,5h. ils nous relâchent avec des ordres stricts : interdiction de filmer dans la ville. Quand on entre dans la ville, on se rend compte pourquoi : des voitures de police incendiées, des maisons brûlées,... Les soldats sont omniprésents. On sent bien que la situation n'est pas normalisée ici. On a l'impression qu'à Suez, la situation est quelque part plus dangereuse qu'au Caire. Les médias de l'État ont diffusé de l'information comme quoi des journalistes étrangers agissaient comme des espions en Egypte. Il règne une sorte de paranoïa collective contre les étrangers. Les gens dans la rue nous voient filmer et nous signalent aux soldats.

On sera détenus pendant plus de 5 heures. Ils ont vérifié toutes les cassettes - du moins celles qu'on n'avait pas cachées... -, ils ont regardé de près le carnet de notes, ils ont même pris nos téléphones portables pour contrôler les numéros. Le premier ministre avait déclaré plus tôt dans la journée que les journalistes pourraient travailler plus facilement, mais je ne crois pas que quelqu'un a transmis ce message aux soldats à Suez.

Les pro-Mubarak ? Il faut les laver un peu...

L'armée est considérée par beaucoup de gens comme une force neutre, qui n'intervient pas directement dans les confrontations. Mais selon des rapports, l'armée aurait détenu et torturé des manifestants. Trois milliards de dollar par an sont donnés à l'Égypte par les États-Unis, plus de 1,3 milliard va directement à l'armée. Cette même armée a érigé des barrages autour de la place Tahrir. Le périmètre entre manifestants pro et anti-Mubarak a été élargi. Le jet de pierres n'a plus de sens, l'accès à la place est devenu plus facile. Une fois sur la place Tahrir, l'atmosphère est carnavalesque.

Un chrétien et un musulman sur la place veulent absolument nous parler : "J'ai 55 ans. Tous ces jeunes ici ne doivent pas supporter ce que nous avons toléré. Je suis Égyptien, je suis fier de mes frères et de tous ces jeunes. Lui il est chrétien, moi je suis musulman. On s'en fout. C'est ça l'Égypte. Nous voulons la chute du régime ! Mubarak, dehors !"

Dialogue avec un manifestant blessé par les pro-Mubarak :
Qu'est-ce que tu penses de ces gens qui t'ont attaqué ?
Ce sont nos frères.
Même s'ils t'ont attaqué et blessé ?
Leur coeur est très bon, il faut juste le laver un peu pour devenir vraiment bon.

L'ambiance est indescriptible. Un bonheur profond, une joie émouvante chez des très jeunes, des beaucoup moins jeunes, des hommes, des femmes. Il y a même des gens qui se marient sur la place Tahrir. Après 30 ans de dictature, la colère et la jubilation ont explosé d'un coup. Ça fait plus de 10 jours maintenant que les gens se trouvent sur cette place. Ils sont toujours de plus en plus déterminés. Ils disent tous : "On reste jusqu'à il (Mubarak) s'en aille".

Pendant la dictature de 30 ans, des groupes d'opposition ont eu du mal à se développer. Il y a la gauche, et il y a aussi les Frères musulmans. Un membre des Frères musulmans vient nous parler : "Nous sommes simplement une fraction, une partie du peuple. Le régime de Mubarak a tout fait pour que les étrangers aient peur de nous." Pour anticiper les peurs d'une prise de pouvoir par les Frères musulmans en Egypte, ils ont décidé de ne pas présenter de candidat aux élections présidentielles, mais ils seront bel et bien présents aux élections législatives.

Un manifestant qui n'est pas membre des Frères musulmans nous confie : "Je ne suis pas membre des Frères musulmans, mais je suis un musulman. Les Frères musulmans essaient de faire quelque chose qui n'est pas du tout contre les autres ou contre une autre civilisation." Dr. Ragheb Elsergany, un universitaire des Frères musulmans, qui vient de galvaniser les masses à la place Tahrir avec un discours très déterminé et conciliant à la fois, nous donne une interview : "Tous les Égyptiens vont mettre la pression sur le gouvernement et ils vont obtenir ce que la nation veut, peu importe si ce sont les Frères musulmans ou pas."

Les Frères musulmans sont présents sur la place Tahrir parmi d'autres groupes politiques et associations. La tendance actuelle parmi tous les groupes d'opposition est vers l'action commune. Ils sont également tous unis contre l'ingérence étrangère. Sur une grande pancarte, on peut lire : "États-Unis, n'intervient pas, nous obtiendrons la démocratie par nos propres forces." Les Égyptiens veulent prendre leurs propres décisions sur l'avenir de leur propre pays. Le fait qu'aucun groupe n'ait pris en otage le mouvement est un point fort. Cela garantit que tous et toutes qui sont contre ce régime se retrouvent dans ce mouvement de contestation sur la place Tahrir et ailleurs.

Pendant l'enterrement d'Inas Abdel-Alim, un journaliste égyptien, tué par un sniper lors d'une des manifestations, sa femme, enceinte, nous confie : "Mon mari a été tué, parce qu'il filmait des choses et eux ne voulaient pas que ça se sache. Ils tiraient sur les manifestants non armés et sans défense. "Dehors," crient les journalistes égyptiens quand le responsable de l'Union des journalistes, trop proche de Mubarak, se montre. Quand il s'est enfui, les journalistes rejoignent le mouvement révolutionnaire sur la place Tahrir.

Personne ne sait jusqu'où cette révolution va aller, mais tout le monde sait que rien ne sera comme avant. Les Égyptiens ont goûté au droit de protester. Ça va être difficile de leur supprimer ce droit.

Ne soyez pas trop vite trop joyeux, le système est toujours là. Ce n'est qu'un début...

Omar Barazi : "Contrairement à il y a six mois et même il y a un mois, je suis optimiste pour l'avenir de ma fille. Il y a six mois, le maximum que j'espérais était un monitoring international des élections. Maintenant les enjeux sont beaucoup plus élevés. Pour ma fille Karma, je veux une société libre, je veux une vie décente pour elle, la dignité, on veut vivre comme des êtres humains. On le mérite. En fait, ce n'est qu'un début. Je dis à tous mes amis : ne soyez pas trop vite trop joyeux. Le système est toujours là. Il s'est endormi en ce moment et si on n'arrive pas à le déraciner, il va revenir plus vicieux que jamais... avec la vengeance en plus."

Après 18 jours de protestations, Mubarak a finalement démissionné, mais d'autres comme lui se trouvent dans la file d'attente. La révolte égyptienne a commencé le 25 janvier. Alors, si ceci va devenir une vraie révolution, ce n'est pas la fin, ce n'est qu'un début.

par Johnny Miller et Chris Den Hond

CAPJPO-EuroPalestine

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