Les révolutions populaires qui ont éclaté en Tunisie et en Égypte sont d'essence démocratique. Leur aboutissement est la chance qu'auront les courants démocratiques de ces pays d'offrir à leurs peuples une alternative de cette nature, crédible.
L'Occident est en train de rater une opportunité historique
par Kharroubi Habib
Le maintien de Hosni Moubarak à son poste, défendu par l'armée et soutenu par les États-Unis et d'autres puissances occidentales, fait que la mobilisation populaire ne désarme pas en Égypte et que la concertation entre le pouvoir et l'opposition dans le cadre du dialogue initié par le vice-président Omar Souleimane achoppent sur cette question.
Pour aussi conciliants qu'ils voudraient l'être, les partis et personnalités ayant accepté de prendre part à ce dialogue ne peuvent donner leur aval à une solution qui verrait Moubarak continuer à exercer ses prérogatives présidentielles. En l'agréant, ils se couperaient du peuple qui campe dans son exigence d'un départ immédiat du vieux dictateur.
Un compromis a été présenté au vice-président Omar Souleiman, qui l'a refusé, consistant à ce que le président contesté lui délègue ses pouvoirs conformément aux prérogatives que lui donne l'article 139 de la Constitution.
En fait, en excluant que Moubarak soit d'une façon ou d'une autre mis hors course, l'armée et le sérail entendent faire la transition à leur condition et selon une règle du jeu édictée par eux. Les Américains font pression pour qu'il en soit ainsi. Une transition en dehors du garde-fou que constitue sa conduite par l'entourage de Moubarak est trop incertaine à leurs yeux, car risquant de déboucher sur l'instauration d'un pouvoir susceptible de ne plus tenir compte de leurs intérêts géostratégiques en Égypte et dans la région du Moyen-Orient.
En somme, les États-Unis, relayés par les tenants du pouvoir égyptien en place encore, manuvrent pour que des réformes soient engagées dans le pays, mais sans qu'elles donnent lieu à la rupture et au changement radical que les manifestants de la place Ettahrir exigent en guise d'alternative structurante de l'après-Moubarak. Enfermés dans les préjugés dévalorisants qu'ils cultivent à l'égard des peuples arabes et s'étant faits à la conviction que le démantèlement des pouvoirs dictatoriaux en place dans la région ne se fera qu'au profit des islamistes.
Les États-Unis et l'Occident sont en train de passer à côté d'une opportunité historique de contribuer à l'affaiblissement de l'influence de ces islamistes dans le monde arabe. Les révolutions populaires qui ont éclaté en Tunisie et en Égypte sont d'essence démocratique. Leur aboutissement est la chance qu'auront les courants démocratiques de ces pays d'offrir à leurs peuples une alternative de cette nature, crédible. Faute de quoi, ces peuples, à nouveau floués dans leurs aspirations, verront dans ces islamistes l'ultime recours contre le statu quo dans lequel l'étranger veut maintenir leurs pays.
Les révolutions pour lesquelles les Tunisiens et les Égyptiens se sont mobilisés s'inscrivent en totale contradiction avec la stratégie et les objectifs qui sont ceux des islamistes extrémistes, dont Ben Laden et son organisation terroriste Al Qaïda. Que l'Occident s'acharne à vouloir les vider de leurs revendications démocratiques et libertaires en essayant de les détourner sur des compromis au contenu lourd d'une menace de retour aux régimes autoritaires et inféodés aux politiques occidentales, est la démonstration de son aveuglement. Cela veut dire en effet qu'il n'estime pas les peuples arabes mûrs pour la démocratie et l'exercice de celle-ci. Pourtant, c'est bien tout ce que véhicule le vent qui souffle sur le monde arabe. La volonté et la détermination de ses peuples à bâtir une voie autre que celle de vivre sous régime dictatorial, qu'il soit laïc ou islamiste.
Responsabilité historique
par K. Selim
Entre Ben Laden et Bush. Depuis septembre 2001, les sociétés arabes étaient enfermées, par les régimes comme par les Occidentaux, dans ce choix sommaire et faux. L'idée d'une démocratie dans les pays arabes était réservée aux naïfs qui ne comprennent pas qu'un vote libre n'a lieu « qu'une fois » dans nos contrées.
La thèse, contestable et soluble en général dans un système électoral proportionnel qui permet une représentation fidèle des courants politiques, a servi d'argument pour l'ensemble des régimes autoritaires dans le monde arabe. Le fait que les islamistes n'aient pas été les initiateurs des mouvements pour le changement en Tunisie et en Égypte perturbe ces idées reçues, élevées pratiquement au rang de dogmes.
En Occident, on défendra, mollement, la démocratie, mais on a décidé que les sociétés arabes et musulmanes étaient réfractaires à la démocratie. Il y avait déjà la Turquie, mais on insistait sur le caractère très « spécifique » de ce pays.
Un souci propagandiste a tendu à présenter les sociétés arabes comme très tentées par le modèle iranien, alors que c'est bien la voie turque qui était la plus intéressante. Dans ce pays, non seulement l'islamisme a évolué dans le sens d'une intégration des valeurs de la démocratie, mais le système autoritaire a dû accepter de composer et de prendre la mesure de l'évolution de la société. Le fait que la Turquie devienne une économie émergente et une puissance régionale qui affirme ses vues n'est pas séparable de ce mouvement de démocratisation qui fait rêver les jeunes Arabes. L'échec du processus démocratique en Algérie, qui a débouché sur une décennie de grande violence, aura servi le discours antidémocratique.
Les mouvements de contestation en Tunisie et en Egypte contraignent cependant à des révisions. Plus personne n'ose affirmer que les sociétés arabes n'ont de choix qu'entre la dictature et l'islamisme. Ces deux grands évènements, dont les effets seront durables, même s'ils ne sont pas mécaniques, montrent que les sociétés arabes ne sont pas uniquement réceptives aux islamistes comme vecteur du changement. D'autres forces peuvent influer sur l'évolution de la situation. Et même si les islamistes sont présents et représentent une force non négligeable, les cas tunisien et égyptien dévoilent, déjà, que ces sociétés disposent de ressorts qui leur permettent de s'opposer au remplacement d'un autoritarisme par un autre.
L'hypothèse qu'il n'y aura qu'un seul vote démocratique dans un pays musulman est contestable. Elle est fondée sur une présupposition, sur une peur. Jusque-là, les islamistes ont eu tendance à l'alimenter. Il est vrai également qu'on les bâillonnait - avec le reste des courants politiques -, ce qui donnait le soin aux ultras du genre Al-Qaïda d'imposer une vision menaçante de l'islamisme et même de l'islam.
Les islamistes tunisiens et égyptiens se retrouvent devant une responsabilité historique. Jusque-là, ils ont servi de repoussoir pour permettre aux pouvoirs en place de refuser la démocratie. Ils sont aujourd'hui dans la situation de pouvoir apporter la preuve qu'ils peuvent être des acteurs de la démocratie. Les islamistes tunisiens paraissent très soucieux de ne pas faire les erreurs des islamistes en Algérie.
Dans ce moment particulier, les islamistes en Tunisie et en Égypte savent qu'ils sont surveillés et qu'ils ont contre eux tous les Bush et Ben Laden de la terre.
De K. Selim :
Les Américains préservent le soldat Hosni !
Shame on you, Mister Obama !
Bougez, si vous ne voulez pas être bougés !
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Le mérite du peuple tunisien
Lorsqu'un jour le peuple veut vivre
Disgrâces
De K. Habib :
La place Ettahrir n'a pas dit son dernier mot
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