Dans sa livraison du 20 au 26 janvier derniers, l'hebdomadaire tunisien Réalités, a publié un dossier dans lequel sont étalées plusieurs affaires liées au clan du président déchu, Ben Ali.
Amine L. - Le Quotidien d’Oran
Dans ce dossier de presse, l'hebdomadaire affirme que « le pouvoir politique a couvert, soutenu et favorisé les détournements de fonds publics, malversations et prises de contrôle d'entreprises publiques privatisables de façon illégale et à prix symbolique au profit des parents et beaux-parents de Ben Ali. »
Selon cette publication, « les banques publiques tunisiennes ont été contraintes d'accorder des prêts faramineux, sans garanties, ni limites à des proches de Leïla Ben Ali pour piller les derniers publics moyennant des passe-droits ». « Les terres domaniales et les terrains des sociétés nationales, lit-on dans ce dossier, ont été usurpées au profit de Belhassen Trabelsi et de Sakher El Materi ». « Aucun secteur n'a été épargné : hôtellerie et tourisme, télécommunications et médias, transport aérien, grande distribution, concessions autos, promotion immobilière », affirme ce journal. Ce dernier dénonce « un train de vie d'un luxe tapageur et provocateur ayant provoqué la révolution du peuple ».
Le journal souligne une infraction juridique entourant l'implantation d'un hypermarché, Carrefour, près la banlieue huppée de Tunis, La Marsa. L'agrément a été accordé par l'Administration sous forme d'une « dérogation spéciale, obtenue séance tenante grâce à l'intermédiation de Slim Chiboub, apparenté au promoteur d'Ulysse distribution, moyennant éventuellement une rémunération juteuse hors TVA ». Le journal relève un fait : Carrefour s'est installé en plein centre de la ville, alors que la réglementation impose une implantation hors périmètre communal, distante au minimum de 5 km à partir des limites du périmètre communal avec financement approprié des infrastructures de raccordement. « Même la bretelle autoroutière pour desservir Carrefour qui a coûté 5 millions de DT a été financée par l'État, à concurrence de 2,5 MD, afin de permettre aux clients et fournisseurs de Carrefour d'accéder à l'hypermarché sans bouchons routiers », fait savoir l'hebdomadaire. « Le permis de bâtir que le conseil municipal de la Marsa se "faisait tirer l'oreille" pour accorder et avait exprimé des scrupules pour le délivrer, a été obligé de le faire sous la pression de Ben Ali », poursuit l'article. « Cette opération, lit-on encore, s'est soldée par la suspension du Conseil municipal élu par la population et le maire de la Marsa de l'époque, a été démis de ses fonctions en pleine réunion du conseil municipal ». Et le journal de souligner l'impact négatif de l'implantation de Carrefour sur l'économie de La Goulette à Gammarth : « Tout le tissu commercial de la région a été déstabilisé : la chaîne Touta a été acculée au démantèlement, les grossistes et les épiciers ont perdu 50% de leurs chiffres d'affaires en 24 h, Promogro a été ébranlé durant 45 jours. L'architecture commerciale de toute la région a été bouleversée de façon durable et définitive ». « Carrefour, ajoute le journal, a remporté le jackpot suite à cette dérogation réalisée grâce aux bons soins de Slim Chiboub et à la complicité passive de l'Administration qui n'aurait d'autre préoccupation que l'obéissance au doigt et à l'il, à l'appât du lucre de l'entourage du pouvoir en fuite ».
Autre révélation de ce journal : « la société Le Moteur a été privatisée et bradée dans des conditions opaques, en faveur de Cyrine Ben Ali, fille de l'ancien dictateur, épouse de Marouane Mabrouk ». « Cette société prospère et active, âgée d'un demi-siècle, poursuit le journal, détient des cartes maîtresses dans le secteur juteux de la concession-auto : concessionnaire officiel des marques Mercédès, Fiat, Land Rover puis par la suite des utilitaires japonaises et 4x4 Mitsubishi ». « Mieux encore Le Moteur possède des réserves foncières inestimables et des fonds de commerce de valeur dont l'ancien siège de l'Avenue de Carthage, plusieurs hectares de terrains et bâtiments à la Charguia I et aux Berges du Lac, ainsi qu'un réseau dense d'agences régionales », apprend-on encore. Selon ce journal, « Le Moteur est devenu un holding de plusieurs sociétés spécialisées pour répondre à l'expansion de ses activités et aux exigences des marques représentées. D'autres cartes comme Alfa Roméo sont venues enrichir un portefeuille prestigieux de représentations convoitées ». Et ce n'est pas tout : « Les quotas d'importations de voitures accordés par l'Administration n'ont pas cessé d'augmenter dont celui des voitures 4cv pour classe moyenne à privilège fiscal ». Aussi, « la société Le Moteur a reçu un coup de pouce pour acquérir la STIA, lors de la privatisation de cette dernière, une société nationale implantée à Sousse et spécialisée dans le montage des poids lourds, bus et voitures utilitaires et possédant plusieurs hectares de terrains et de bâtiments industriels ». Autre détail : « le prix de cession a été jugé décisoire : 20 millions de DT. Le cahier des charges implique 30 MD d'investissements sur 5 ans, pour rénovation et extension afin d'acquérir une dimension maghrébine. Il stipule également le maintien de l'emploi et des avantages acquis par le personnel et le recrutement de plusieurs centaines de nouveaux ouvriers ».
Et le journal d'ajouter : « des remous sociaux persistants avaient éclaté lors de la passation des pouvoirs dans l'entreprise. Ben Ali offre à Sakher une affaire en or : Ennakl. La société publique Ennakl est un des fleurons du tissu économique tunisien avec des représentations prestigieuses et exclusives de voitures - autos telles que AUDI choisie comme voiture officielle après Mercedes pour doter les ministères et les sociétés nationales en voitures de fonction, et Volkswagen, et les poids lourds de Renault - trucks ». Plus loin, le journal donne une idée sur l'étendue du patrimoine foncier de l'entreprise d'Ennakl : plusieurs hectares de terrains et de bâtiments à la Charguia I : showrooms, ateliers de maintenance, stocks de pièces de rechange et fonds de commerce des agences régionales à haute valeur. « De plus, relève ce journal, les quotas d'importation accordés par l'Administration n'ont pas cessé d'augmenter depuis la privatisation ». Aussi, « Ennakl a bénéficié de grands marchés publics lancés par le ministère tunisien de l'Intérieur pour l'acquisition pour les mairies de gros engins, sans appel d'offres transparent », poursuit l'article.
Selon les évaluations des experts, cités par ce journal, Ennakl valait au bas mot 60 millions de DT (30 millions d'euros), lors de sa cession à Sakher El Materi, époux de Nesrine Ben Ali, alors que le prix de cession officiel n'a été que de 17 MDT (8,5 millions d'euros). Sakher est présenté comme l'un des principaux futurs héritiers des Laboratoires Adwya, pionnier des industries pharmaceutiques en Tunisie. « Le chèque de garantie déposé par ce dernier, lors de l'achat soit 17 millions de DT, n'a pas été encaissé à ce jour, ni même versé à l'encaissement, faute paraît-il de provisions suffisantes », relate l'hebdomadaire. « Entre temps, poursuit-il, la société Le Moteur a connu une expansion remarquable avec attribution de marchés publics juteux octroyés pour l'acquisition de voitures administratives, les quotas d'importation sont en croissance sensible, tandis qu'il y a une expansion exponentielle du réseau d'agences, captation de nouvelles concessions, celle de KIA ». Et d'ajouter : « La représentation de la marque Porsche par le propriétaire précédent d'Ennakl qui fabrique les fameuses Cayenne, (Cayenne S et Cayenne Turbo) dont le prix d'achat unitaire dépasse celui de dix logements sociaux à la fois, avait défrayé la chronique ».
L'édification d'un centre Porsche s'est faite dans des conditions suspectes pour ce qui est du titre foncier, du permis de bâtir et du financement. L'hebdomadaire ne s'arrête pas là. Il évoque « une vaste escroquerie aux banques Bricorama, ayant été promues par Imed Trabelsi, qui n'a rien à son actif, ni diplôme, ni expérience professionnelle, ni passé en management, ni fonds propres transparents ; mais au contraire un passif de mafiosi avec des procédés de grand banditisme. Sa parenté avec Leïla Ben Ali lui a permis d'investir 25 millions de DT, empruntés aux banques ou issus des revenus occultes procurés par le commerce parallèle de produits bas de gamme introduits en Tunisie de façon illégale et en infraction aux réglementations douanières ». Le journal cite aussi une grande surface de 10 000 m² qui a été construite pour la vente de 38 000 articles de bricolage, employant 250 salariés.
Une affaire qualifiée d'« opération d'escroquerie aux banques alors que le Tunisien est réputé peu bricoleur ». Autre affaire citée par le journal : le groupe Carthago, un vaste empire économique bâti sur du vent par Belhassen Trabelsi. Les détails : « Il a commencé par le secteur hôtelier et touristique avec l'hôtel Khamsa Corinthia, avant de créer une chaîne hôtelière les Carthago palace, bouclée avec le rachat du Palace de Gammarth ». Le journal s'interroge sur l'origine des ces fonds. « Cette chaîne hôtelière est devenue un groupe intégré avec une agence de voyages et une compagnie de transport aérien en Tunisie. »
Carthago Airlines en Tunisie et une autre low-cost basée à Sharm Echeïkh Blue Line, en association avec le groupe de l'Égyptien Sawiris, relate le journal. Et d'ajouter : « Belhassen Trabelsi qui a essuyé des déboires en voulant investir dans Batam, 'victime' d'une faillite retentissante, s'intéresse à d'autres secteurs d'activité comme les matériaux de construction avec Carthage Cement, les Médias avec Mosaïque FM et CACTUS, PROD, la concession auto avec Ford, Jaguar et Rover ». Le journal ajoute que l'atout majeur et unique de celui qui fut un illustre inconnu, il y a vingt-trois ans, est d'être le frère de Leïla Ben Ali. Cette dernière est qualifiée d'« intrigante de premier plan, doublée d'une voleuse ».
Autre révélation : « Belhassen Trabelsi concocte une fusion - absorption entre Carthago Airlines et Nouvelair de Aziz Miled, ce qui est une aberration totale ». Explication du journal : « Carthago Airlines était dans une situation financière catastrophique, surendettée et maintenue artificiellement en activité grâce à des expédients et des abus alors que Nouvelair était active et demeure prospère. Les évaluations des actifs ont conclu à 81% du capital en faveur de Nouvelair et 19% pour Carthago, or c'est Belhassen Trabelsi qui devient PDG ». Sakher El Materi se paye un avion privé, un château au Canada, des milliers d'hectares d'oliviers Bio usurpés sur les terres domaniales et crée une banque islamique Zitouna. Il n'a pas de fortune personnelle alors il emprunte aux banques classiques sans garanties ni justifications. Il fait pression sur les principaux groupes industriels et financiers pour les amener à participer au capital et à entrer au conseil d'administration. En cas de refus ces groupes risqueraient gros : répercussions fiscales, refus ou retraits d'agréments, harcèlements et vexations diverses. Avec 30 MD de capital initial, doublé en six mois, Sakher construit un siège prestigieux qui absorbe 30 MD, ouvre plusieurs agences luxueuses et lance une campagne médiatique sans précédent.
Le programme prévoit l'ouverture en dix ans, de 400 agences et de conquérir 5% du marché bancaire. Profitant d'une discorde entre les héritiers de feu Habib Cheïkhrouhou, propriétaires du groupe de presse Essabah (Essabah, Le Temps et El Ousboui), Sakher El Materi achète, moyennant 10% de son prix réel, l'ensemble du groupe de presse privé : une imprimerie, un immeuble prestigieux de cinq niveaux ainsi que les fonds de commerce. El Materi touche aussi aux télécoms. Selon le journal, « Orascom vend ses parts au capital de Tunisiana (50%), le premier opérateur GSM privé, très florissant. Or Watania, le Quatari a racheté la part de Sawiris-Orascom, mais il a besoin de l'agrément du gouvernement tunisien pour valider son rachat. Sakher se fait fort de l'obtenir vu sa qualité de gendre de Ben Ali et négocie, il obtient la revente de 25% de Tunisiana en sa faveur auprès de Watania qui n'avait pas le choix ». Autre affaire citée par l'hebdomadaire : « Belhassen Trabelsi, avec un apport dérisoire et moyennant un montage financier factice se fait coter à la Bourse et lève sur le marché financier près de 130 millions de DT alors que la cimenterie n'existe que sur le papier. Une infraction à la réglementation de la Bourse ». La publication de ce dossier a suscité des réactions de la part des entreprises citées.
Les mises au point
La première mise au point affirme que la privatisation de la société Le Moteur, « faite suite à un appel d'offres initié par la Société tunisienne de Banque détentrice avec ses filiales, de seulement 54% des actions de la Société Le Moteur S.A., sous l'égide du Secrétaire d'État à la Privatisation, en 1999 et dont l'issue est concrétisée en avril 2000, au profit de la Société IDM (Holding Financière Investissement et Développement Mécanique), dont le capital et détenu exclusivement par le Groupe Mabrouk et ce, dans une totale transparence ». L'adjudication a été conclue pour un montant de 21 millions de DT pour les 54% de la STB ce qui valorise globalement la société Le Moteur S.A. à 39 millions de DT par un capital nominal de 3 MDT.
Le règlement des 21 millions de DT a été effectué par l'intermédiaire de la Société de Bourse de Tunisie. Le règlement des 40% restants du capital, a été également effectué par la Société de Bourse de Tunisie, par le biais d'une OPA.
Pour sa part, l'ancien conseil municipal de La Marsa dit « avoir fait preuve d'indépendance d'esprit et d'avoir toujours agi dans le respect de la légalité et le refus des passe-droits. Pour le permis de bâtir de Carrefour, ni la Commission technique, ni le bureau municipal, ni le Conseil n'ont subi de pressions lors de l'étude de ce dossier. La dissolution du Conseil municipal a été motivée par des visées sur le patrimoine foncier de la commune, dont le Conseil municipal a fait de sa préservation une priorité, en vue de la constitution d'une réserve foncière ».
De son côté, Carrefour, s'est dit « surpris » et a affiché son « désarroi à la lecture de l'article dont il a souligné "l'irresponsabilité rédactionnelle" », dénonçant « des contre vérités ». Carrefour affirme « n'avoir eu à bénéficier d'aucun favoritisme, passe-droit ou dérogation, puisque a loi dont il fait référence est datée du 29.12.2003, et que le permis de construire a été obtenu en juillet 1999 et que l'ouverture de « Carrefour » s'est faite le 16.04.2001 ».
Pour ce qui est des infrastructures de raccordement, Carrefour souligne la même erreur ayant fait référence à la même loi 78-2003. A l'époque de la construction de l'hypermarché Carrefour, la loi n'obligeait pas le promoteur à financer les infrastructures de raccordement. Or et malgré cette absence d'obligation, nous avons participé avec une part importante dans le financement de l'échangeur autoroutier et assumé à 100% les coûts du sens giratoire bien qu'appartenant au domaine public routier ». Autre précision de Carrefour : « loin d'être sous pression et séance tenante, l'obtention du permis de bâtir s'est faite sur 16 mois, au cours desquels la municipalité de la Marsa a fait part de ses remarques, en mars 1998, totalement prises en compte pour qu'enfin, en juillet 1999, le permis de construire soit accordé. » Et l'enseigne française de soutenir : « la suspension du conseil municipal de la Marsa n'est pas consécutive à notre dossier et n'a rien à voir ni de près ni de loin avec Carrefour ». Concernant l'accusation de déstabilisation de la région, Carrefour estime que son implantation a permis de créer « 1500 emplois directs et indirects et a dynamisé son environnement immédiat ».