Par Alex Lantier
3 février 2011
Les 25 et 26 janvier, le porte-parole du Nouveau parti anticapitaliste (NPA), Olivier Besancenot a rendu une visite de pure forme à la Tunisie où le dictateur soutenu par la France, Zine El Abidine Ben Ali, a dû quitter ses fonction le 14 janvier suite aux manifestations de masse. D'autres figures de l'establishment de « gauche » français - le secrétaire général du Parti communiste français, Pierre Laurent et Eva Joly des Verts - se sont également rendus en Tunisie.
Le communiqué de presse du NPA dit que Besancenot sera reçu par « les organisations de la plate-forme du 14 janvier, le regroupement unitaire de la gauche, récemment constitué. Des rencontres sont prévues avec Hamma Hammami, le dirigeant du PCOT [Parti communiste des Ouvriers de Tunisie], des dirigeants de la Ligue de gauche travailliste, des syndicalistes des postes et télécommunication, et des associations de droits de l'homme. »
Le Front du 14 janvier est une coalition de syndicalistes et de partis politiques comprenant le PCOT, le Mouvement des Unionistes nassériens, le Courant Baasiste, les Nationalistes Démocrates et le Parti du travail patriotique et démocratique. Il avait publié un court document fondateur le 20 janvier.
Besancenot s'est également rendu à une manifestation organisée à Tunis dans la soirée. Aucun reportage ne dit qu'il s'est exprimé en public et ce bien que le français soit largement parlé en Tunisie.
Ces visites font partie d'une coordination politique de haut niveau entre le NPA, le PCF, les Verts et le principal parti bourgeois de « gauche » en France, le Parti socialiste (PS). Ils ont publié un communiqué commun au moment où Ben Ali fuyait Tunis, appelant à une « véritable transition démocratique ».
Le PS - tout comme les gouvernement français et américain - espère rabibocher une coalition de partis officiels d'« opposition » et de syndicalistes pour procurer une feuille de vigne « démocratique » au régime post Ben Ali et pour mettre fin aux protestations. Les manifestations se poursuivent contre l'actuel régime dirigé par des acolytes de Ben Ali tels Mohamed Ghannouchi et Fouad Mebazza.
Besancenot a accordé une interview au Journal du Dimanche, en s'efforçant de présenter les soulèvements tunisiens comme une victoire de la politique syndicale social-démocrate. Il a dit : « Je prends note en ce qui concerne l'organisation, la structuration du mouvement, c'est passionnant. » Il n'a pourtant pas précisé quels étaient les points organisationnels qu'il avait appris en Tunisie.
En soulignant « l'effervescence collective » à Tunis, Besancenot a dit que c'était « grisant » de voir « des syndicats ultra mobilisés pour réclamer la démission du 'nouveau' gouvernement. »
Il a ajouté: « Notre boulot, en France, c'est de lutter contre notre propre gouvernement, notre propre impérialisme. Ce n'est pas la droite [l'actuel parti dirigeant UMP] qui va le faire, ça c'est clair... et le PS ne fera rien non plus ! Je vous rappelle que jusqu'à il y a quelques jours, Ben Ali faisait partie de l'Internationale socialiste... [la coalition de partis sociaux-démocrates comprenant le PS]. Et il n'y a pas que le gouvernement actuel qui a couvert le régime de Ben Ali. »
Bien que les soulèvements tunisiens aient destitué un dictateur soutenu par les partis sociaux-démocrates européens, dont le PS, Besancenot a qualifié les événements tunisiens de « révolution social-démocrate. » Il a dit, « On aura besoin nous aussi d'une révolution sociale-démocratique. »
Les déclarations de Besancenot sont un tissu de mensonges et de demi-vérités. En dépit de ses louanges à l'adresse des « syndicats ultra mobilisés », il est bien connu que l'Union générale des Travailleurs tunisiens (UGTT, l'unique syndicat tunisien) était un élément de la dictature. La direction nationale de l'UGTT a tout d'abord dénoncé les manifestations contre Ben Ali. Puis, elle a envoyé des responsables pour faire partie du gouvernement de transition impopulaire de Mebazza, pour ne se retirer qu'après qu'il est devenu évident que les protestations se poursuivraient contre Mebazza.
Quant à ses remarques sur l'impérialisme, elles soulèvent plus de questions qu'elles ne donnent de réponses. Si la direction du NPA sait que le PS est un défenseur de l'impérialisme français et un partisan de la dictature meurtrière de Ben Ali, pourquoi signe-t-elle les documents du PS sur la Tunisie ? Pourquoi s'associe-t-elle aux initiatives du PS ou à celles de ses satellites, le PCF et les Verts ? Pourquoi ne dénonce-t-elle pas de telles initiatives comme étant des tentatives de défense des intérêts impérialistes français en Afrique du Nord ?
La position du NPA sur la Tunisie est un signal clair - il soutient l'impérialisme français. Il oeuvre consciemment pour soutenir des partis impérialistes tels le PS tout en se dissimulant derrière un verbiage creux et cynique sur une « révolution sociale-démocratique » pour tenter de « lutter contre notre propre gouvernement. »
Cette politique a de profondes racines objectives. La Tunisie est devenue une source majeure de main-d'oeuvre bon marché pour les entreprises françaises et internationales (Voir : « Aux travailleurs de l'usine de pneus Continental fermée de Clairoix,Continental offre des emplois à 137 euros par mois en Tunisie »), ainsi que de main-d'oeuvre immigrée en France même. Sa population est, à une écrasante majorité, opposée à la politique de l'impérialisme américain et européen : l'occupation de l'Afghanistan et de l'Irak, les réseaux mondiaux de torture et de prison développés dans la « guerre contre le terrorisme » et l'oppression de la Palestine par l'Etat israélien.
Les tâches d'un régime tunisien soutenu par le PS ou d'autres partis impérialistes seraient de maintenir les salaires à un niveau ultra bas et à supprimer l'opposition populaire contre la politique impérialiste. Une telle politique ne peut être poursuivie par des moyens pacifiques et démocratiques. Les méthodes d'Etat policier de Ben Ali proviennent directement des intérêts de classe de ses défenseurs impérialistes.
Ceci montre le lien profond existant entre la lutte pour la démocratie en Tunisie et la lutte révolutionnaire de la classe ouvrière - à la fois en Tunisie et dans les pays impérialistes d'Europe et d'Amérique. Comme le WSWS l'a souligné, la tâche cruciale à laquelle est confrontée à présent la classe ouvrière est la construction à l'échelle internationale de partis révolutionnaires pour mener cette lutte (voir : « Les manifestations de masses en Tunisie et la perspective de la révolution permanente »).
La visite de Besancenot prouve aussi la justesse de l'analyse du WSWS en ce qui concerne le caractère de la transformation en 2009 de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) en NPA. Le changement de nom de la LCR en soi, a souligné le WSWS, était une tentative de couper son ancienne association - aussi ténue fut-elle - avec la politique trotskyste. La LCR savait qu'elle allait mener une politique pro impérialiste contredisant les traditions de la révolution prolétarienne et du marxisme internationaliste associées à Léon Trotsky.
A présent, le NPA apparaît comme un promoteur cynique de la « révolution sociale-démocratique », en plein soulèvement populaire contre la dictature de Ben Ali, et soutenant divers éléments syndicalistes et nationalistes de l'« opposition » officielle. Les pourparlers du NPA avec le PCOT, qui était techniquement illégal sous Ben Ali, visent à dissimuler ces questions sous des promesses floues de « démocratie. »
Le PCOT joue le même rôle que le NPA en France: le flanc gauche de l'« opposition » officiellement approuvée. Parti maoïste promouvant les vues de l'ancien dictateur stalinien albanais, Enver Hoxha, le PCOT a lancé des appels en faveur d'une assemblée constituante et de réformes démocratiques. Avant de rejoindre le Front du 14 janvier, il faisait partie de la Coalition du 18 Octobre, formée en 2005 et dirigée par le Parti démocratique progressiste (PDP). Le PDP était le principal parti d'« opposition » reconnu sous Ben Ali.
Le PCOT promeut actuellement le point de vue que l'armée tunisienne défendra le peuple. Ce mensonge va dangereusement endormir la population et facilitera finalement la répression par l'armée tunisienne des protestations dans l'intérêt de l'impérialisme et du régime bourgeois national.
Ce sont précisément des forces d'« opposition » telles le PCOT que les puissances impérialistes utiliseront pour tenter de réconcilier les masses tunisiennes avec l'oppression continue vêtue du costume usé de la « démocratie ».
Mais en tentant d'exécuter cette manoeuvre, les politiciens influents de l'impérialisme français sont confrontés au problème que leurs liens avec Ben Ali sont bien connus. L'affiliation du PS à Ben Ali par le biais de l'Internationale socialiste est de notoriété publique, comme l'a fait remarquer Besancenot. Quant aux conservateurs français au pouvoir, la ministre des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, avait proposé d'envoyer la police pour aider Ben Ali à réprimer les protestations de masse peu de temps avant qu'il ne fuie Tunis. Si de telles personnalités s'aventuraient à se rendre en Tunisie, elles provoqueraient des protestations de masse.
La tâche d'essayer de reconstituer un nouveau régime pro impérialiste à Tunis incombe de ce fait à l'équipe B - l'escouade de sous-fifres d'Etat tels Laurent et Joly, mais surtout Besancenot, afin de conférer à l'affaire un look jeune de « protestation ». En acceptant cette mission, Besancenot joue le rôle que lui a attribué la classe dirigeante : celui de garçon de courses de l'impérialisme français.
(Article original paru le 31 janvier 2011)
Voir aussi :
Notre couverture sur les soulèvements en Afrique du Nord et Moyen-Orient