Alors que les informations sur les soulèvements qui se multiplient dans les pays arabes se répandent comme une traînée de poudre à travers le monde, des citoyens, dans d'autres pays, sous leur propre gouvernement oppressif et un chômage galopant, se réjouissent dans les rues, sur Twitter et sur Facebook. La bande de Gaza occupée ne fait pas exception.
Pam Bailey - E.I
Rassemblement de Palestiniens dans la bande de Gaza en solidarité avec la Tunisie, 16 janvier.
(Pam Bailey)
« Nous, Palestiniens, nous saluons le peuple tunisien et toute nation arabe qui se soulève contre l'injustice, » dit Saber Zanin, coordinateur du Comité d'initiative locale de Beit Hanoun, dans le nord de la bande de Gaza. Cependant, les plus enthousiastes sont probablement les jeunes de Gaza, qui voient dans les soulèvements de Tunisie, Égypte, Yémen et Jordanie, la preuve de la puissance latente de leur génération.
« Ce qui se passe crée beaucoup d'enthousiasme. J'ai passé toute une journée simplement à suivre les évènements de Tunisie, et j'étais vraiment très fier de ce que les gens faisaient, » dit Sameeha Elwan, blogueur de 23 ans, peu après le soulèvement. « Cela m'a donné de l'espoir et je retrouve la foi que j'avais dans le peuple. »
Jehan « JeJe » al-Farra, étudiant de 20 ans en littérature anglaise, déclara aussitôt après le soulèvement tunisien : « Le message que je reçois du mouvement tunisien, c'est que ce sont les peuples qui font les changements. Si ce que vous voulez, c'est le changement, alors vous devez le faire vous-même. Si vous attendez le monde, vous devrez attendre, et attendre, et attendre. La seule façon pour vous de faire quelque chose, c'est par la révolte ».
Le plus grand défi que doit relever le monde arabe aujourd'hui est le chômage des jeunes. D'après le magazine Foreing Policy, l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient ont maintenant le plus fort pourcentage de jeunes au monde. Soixante pour cent de la population de la région ont moins de 30 ans, deux fois plus qu'en Amérique du Nord. Et avec un pourcentage de 10 % ou plus de sans-emploi, la région possède le taux de chômage régional le plus élevé ; pour les jeunes, il est quatre fois plus fort.
Cependant, c'est même pire à Gaza. Sharek, le Forum des jeunes (récemment fermé par le gouvernement Hamas), rapporte qu'environ 60 % des jeunes entre 15 et 30 ans ne pouvaient y trouver un travail en 2009, malgré un pourcentage élevé de jeunes sortant d'université.
En Cisjordanie, le Premier ministre désigné de l'Autorité palestinienne, basé à Ramallah, Salem Fayyad, a fait immédiatement le parallèle entre Gaza et la Tunisie, et il a passé plus de deux heures le 16 janvier, à discuter avec quarante journalistes palestiniens à son bureau de Ramallah de la situation économique et des conditions de vie en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Il tentait de rassurer les journalistes, leur disant que les conditions économiques étaient bonnes malgré les rapports sur la hausse des prix à la consommation, le taux relativement élevé de sans-emploi et les chiffres de la pauvreté.
Le gouvernement de l'Autorité palestinienne sous direction Hamas basé dans la bande de Gaza a, comme le Jihad islamique, organisé des manifestations dans le centre-ville de Gaza pour fêter l'insurrection tunisienne. Dans une déclaration à l'agence d'informations Ahlul Bayt, un porte-parole du Hamas a déclaré que son mouvement « respectait la volonté et le choix des Tunisiens et les assurait qu'il était à leur côté ». Et Fathi Hammad, ministre des Affaires étrangères du gouvernement de Gaza, a ajouté, « Nous sommes avec les Tunisiens dans le choix de leurs dirigeants, quels que soient les sacrifices nécessaires ». Il ne semblait pas envisager la possibilité qu'une même force puisse se retourner contre son parti, vainqueur aux élections législatives palestiniennes de janvier 2006.
Mais Muayed Elmishal, un dirigeant de Sora, organisation de jeunes à Gaza, fait le rapprochement entre les frustrations des Tunisiens et celles des jeunes Palestiniens : « Le peuple tunisien a subi la dictature pendant de longues années, et les promesses de démocratie et de liberté n'ont jamais été tenues. Le peuple palestinien fait la même expérience : depuis les élections démocratiques de 2006, jamais renouvelées jusqu'à présent, nous avons deux gouvernements séparés - un dans la bande de Gaza, l'autre en Cisjordanie. Ceci a entraîné de profondes frustrations chez les Palestiniens et leur fait ressentir un besoin désespéré de faire quelque chose ».
Les auteurs du manifeste de la jeunesse de Gaza, Gaza Youth Break Out, - qui ont publié sur Facebook un appel de colère invectivant le Hamas, les Nations-Unies, les États-Unis et Israël - l'approuvent. « Il y a un soulèvement à venir à Gaza » dit l'un d'entre eux, qui a demandé à ne pas être nommé de craintes de représailles.
Malgré cette frustration, presque tout le monde dans la bande de Gaza est d'accord sur le fait qu'il y a une grande différence entre la Tunisie et la Palestine : les Palestiniens sont occupés par Israël qu'ils considèrent comme le responsable de la plus grande partie de leurs problèmes.
« Le peuple tunisien a des problèmes avec une corruption importante dans son gouvernement ; c'est son principal problème » a dit Ghassan al-Khaldi, ingénieur des travaux publics, peu après l'insurrection tunisienne. « Ce n'est pas comme avec notre gouvernement, et le peuple palestinien a un premier ennemi : Israël, qui prend nos terres, nos rêves, nos fils ».
L'Égypte, cependant, est une autre histoire. Son gouvernement coopère avec Israël pour maintenir le peuple de Gaza emprisonné à l'intérieur de son territoire exigu et occupé. Les avis sur ce que veulent les Égyptiens et sur ce qui résultera du soulèvement en Égypte varient à Gaza, allant de l'euphorie au scepticisme sur la chute de Moubarak, à l'inquiétude que l'alternative à Hosni Moubarak ne soit un gouvernement islamiste pareil à celui du Hamas qui est devenu impopulaire pour de nombreux Palestiniens à Gaza.
Wasim Zaher, membre d'une nouvelle organisation de jeunesse appelée Yala : « Je ne pense pas que l'insurrection en Égypte fera tomber Moubarak, mais j'espère qu'elle l'amènera, lui et le gouvernement égyptien, à changer de politique concernant le peuple égyptien, et aussi la Palestine et Gaza. »
Quelles que soient les appréciations, il ne fait aucun doute que la population de Gaza observe de très près les évolutions de la force du peuple le plus proche de sa frontière.
Pam Bailey est une militante pour la paix, et une professionnelle de la communication, du Maryland. Elle a récemment reçu un Prix des droits de l'homme pour son travail au nom des Palestiniens par l'Association onusienne de l'Espace national du Capitole. Elle est actuellement dans la bande de Gaza. Elle peut être contactée à peacenut57yahoo.com.