Par Barry Grey
31janvier 2011
Une scène de rue au Caire [Photos: May Kamel]
Les Etats-Unis déploient une intense activité dans le but de réprimer les protestations de masse à la fois en Tunisie et en Egypte, soutenant les élites dirigeantes locales qui sont totalement subordonnées à l'impérialisme américain. Dans ces deux pays, ils recourent à différentes tactiques dictées en grande partie par leur importance stratégique relative à l'égard des intérêts de la classe dirigeante américaine au Moyen-Orient.
En Tunisie, Washington avait soutenu son allié de longue date, Zine El Abidine Ben Ali jusqu'au moment où il avait conclu que la position de celui-ci ne pouvait plus être sauvée en dépit de la violente répression contre les manifestations antigouvernementales durant des semaines. A peine quelques jours avant que Ben Ali ait été forcé de fuir le pays, la secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, avait dit : « Nous ne prenons pas parti » entre le dictateur et les travailleurs et les jeunes qui manifestent.
Il a été rapporté de toutes parts que les Etats-Unis avaient ordonné à l'armée tunisienne de refuser les ordres de Ben Ali de tirer à balles réelles dans les manifestations de masse à Tunis et dans d'autres villes, coupant de ce fait l'herbe sous le pied de Ben Ali et faisant du général Rachid Ammar l'arbitre politique du pays.
Les Etats-Unis ont sans aucun doute manigancé la formation du soi-disant gouvernement d'union après la fuite, le 14 janvier, de Ben Ali vers l'Arabie saoudite. Ce gouvernement qui est totalement dominé par les partisans politiques du dictateur déchu a été depuis la cible des manifestations populaires exigeant un gouvernement exempt d'anciens membres du parti dirigeant.
Le gouvernement Obama a envoyé à Tunis son secrétaire d'Etat adjoint aux Affaires du Proche Orient, Jeffrey D. Feltman, pour « s'entretenir avec le gouvernement intérimaire. » Avec la promesse de tenir des élections dans six mois, Washington soutient dans l'essentiel l'ancien régime sans Ben Ali et qualifie cette fraude cynique de « démocratie. »
Le gouvernement américain dépeint le général Ammar comme le « protecteur » de la « révolution démocratique ». Il le fait même au moment où le gouvernement intérimaire approuve une répression policière accrue contre des protestations de plus en plus dominées par les travailleurs appauvris et les jeunes de Tunis et des régions durement affectées du centre et du Sud du pays d'où était partie la révolte en décembre.
Al Jazeera a rapporté mercredi que la police anti-émeute avait fait usage de gaz lacrymogène à Tunis pour disperser les manifestants qui campaient dans le centre de la ville et défiaient le couvre-feu de 20 heures. Ceux-ci exigent le limogeage du premier ministre Mohamed Ghannouchi et des autres acolytes de Ben Ali. Selon la presse, de nombreux manifestants furent blessés.
En début de semaine, l'armée avait utilisé des gaz lacrymogènes contre les manifestants anti gouvernement pour la première fois depuis l'éviction de Ben Ali.
Les protestations se poursuivent malgré tout, à Tunis et ailleurs. Al Arabiya a rapporté mercredi que plusieurs milliers de personnes avaient manifesté à Sfax, ville de l'Est de la Tunisie. Mardi, des professeurs d'université avaient rejoint les enseignants dans une grève nationale.
Les événements importants survenus mardi en Egypte ont compliqué les efforts de Washington de contenir le soulèvement d'opposition populaire en Tunisie et dans d'autres pays arabes, dont l'Algérie, le Yémen et la Jordanie. Approximativement 50.000 personnes, en majorité des jeunes travailleurs sans emploi et des étudiants, ont défié la dictature policière du président Hosni Moubarak, régulièrement décrit comme un « ferme allié des Etats-Unis », pour exiger sa démission et la levée de l'état d'urgence.
C'était le plus grand mouvement populaire en Egypte depuis que les émeutes de la faim qui avaient secoué le pays en 1977, quatre ans avant que l'armée n'installe Moubarak comme président. En plein milieu de cette répression policière sauvage de la part du régime égyptien - au moyen de gaz lacrymogène, de balles de caoutchouc, de grenades de choc et de matraques - la secrétaire d'Etat américaine Clinton a déclaré mardi après-midi que son gouvernement soutenait Moubarak.
Au moment où au Département d'Etat Clinton disait aux journalistes: « Notre jugement est que le gouvernement égyptien est stable et recherche les moyens de répondre aux besoins et aux intérêts légitimes du peuple égyptien », le fait que deux manifestants avaient été tués par la police à Suez et que d'innombrables interpellations avaient eu lieu était déjà connu.
C'était là un signal sans équivoque que les Etats-Unis fixaient une limite au mouvement en Egypte et qu'ils ne retireraient pas leur soutien à Moubarak. Ceci équivaut à un feu vert donné au régime pour appliquer, à n'importe quel degré, la force requise pour écraser ce soulèvement populaire.
Il n'aura pas fallu attendre longtemps. Aux premières heures de mercredi, la police anti émeute a violemment dispersé plusieurs milliers de manifestants qui campaient sur la place Tahrir, dans le centre du Caire. Des policiers en civil y ont battu des manifestants et des reporters ont été attaqués et emprisonnés.
Ceci fut suivi par un décret gouvernemental interdisant toute autre manifestation et menaçant toute personne manifestant d'arrestation immédiate. Plus tard dans la journée de mercredi, la police a fait usage de balles de caoutchouc et de matraques pour disperser 2.000 manifestants à Suez. Quelques 350 personnes auraient été blessées.
Dans le centre du Caire, des dizaines de personnes se sont rassemblées pour protester et des journalistes égyptiens ont manifesté devant le bâtiment de leur syndicat.
Al Jazeera a fait état d'une manifestation à Assuit dans le Nord de l'Egypte et de l'annonce par les Frères musulmans qu'au moins 121 de leurs membres étaient détenus dans cette ville.
On estime aussi qu'un troisième manifestant a été tué par la police. Le gouvernement égyptien a confirmé mercredi que 860 personnes avaient été arrêtées depuis mardi.
C'était là le contexte dans lequel on demanda mercredi au porte-parole du président Obama si les Etats-Unis soutenaient Moubarak. Selon l'agence de presse française AFP, Gibbs a répondu par l'affirmative, disant que l'Egypte demeurait un allié proche et important.
Le soutien public du gouvernement américain à Moubarak a exposé au grand jour combien la déclaration faite mardi par le président Obama dans son discours sur l'état de l'union était creuse et hypocrite : « Ce soir, que ce soit clair : les Etats-Unis d'Amérique sont solidaires des Tunisiens et soutiennent les aspirations démocratiques de tous les peuples. »
L'impérialisme américain estime que les enjeux sont trop importants en Egypte pour permettre l'éviction de Moubarak d'une manière identique à celle de Ben Ali en Tunisie. L'Egypte, le plus peuplé et politiquement le plus important des Etats arabes et le bénéficiaire de dizaines de milliards de dollars d'aide militaire américaine, est le principal rempart de la domination impérialiste dans le monde arabe.
Comme l'a noté un rapport réalisé en 2009 par la Brookings Institution : « L'Egypte est l'allié arabe le plus proche des Etats-Unis, constitue un soutien stratégique clé pour les opérations militaires américaines au Moyen Orient et est un acteur crucial dans l'effort de paix israélo-arabe. »
Mercredi, dans un article paru à la une, le New York Times expliquait avec une franchise cynique quelles étaient les différentes tactiques opérées en Tunisie et en Egypte. Washington « procède avec précaution, » avait-il écrit, « en jonglant avec les aspirations démocratiques des jeunes Arabes et des intérêts commerciaux et stratégiques impitoyables. Ceci implique parfois le soutien de gouvernements autocratiques et impopulaires - ce qui a dressé beaucoup de ces jeunes gens contre les Etats-Unis.
« Le président Obama a appelé M. Moubarak la semaine passée après le soulèvement en Tunisie pour discuter de projets communs tel le processus de paix au Moyen Orient tout en soulignant le besoin de satisfaire les aspirations démocratiques des manifestants tunisiens...
« Un soulèvement en Tunisie, un acteur périphérique de la région, n'est pas la même chose qu'un soulèvement en Egypte, une clé de voûte. Le gouvernement égyptien est un allié crucial de Washington... »
L'extension du mouvement en Afrique du Nord et au Moyen Orient est une manifestation puissante de l'entrée des masses dans la lutte révolutionnaire et du pouvoir social de la classe ouvrière. Cependant, le mouvement est confronté à de grands dangers de la part de l'impérialisme et de l'ensemble des factions de la bourgeoisie nationale, ainsi que des forces politiques qui cherchent à subordonner la classe ouvrière à la soi-disant bourgeoisie « démocratique. »
La classe ouvrière du Moyen Orient doit reconnaître le gouvernement Obama et l'impérialisme américain comme ses ennemis les plus déterminés tout en comprenant que la classe ouvrière américaine - elle-même confrontée à des attaques contre son niveau de vie et ses droits démocratiques - est sa plus grande alliée. Les travailleurs américains doivent prendre la défense de leurs frères arabes et les masses arabes devraient lancer un appel direct à la classe ouvrière américaine.
La question cruciale est le développement d'une direction révolutionnaire partout dans le monde arabe afin d'établir l'indépendance politique de la classe ouvrière et de rassembler tous les opprimés sur la base de la perspective socialiste de la révolution permanente. Ceci signifie la construction de partis trotskystes du Comité International de la Quatrième Internationale pour unifier les masses dans la lutte pour une Fédération socialiste du Moyen Orient.
(Article original paru le 27 janvier 2011)