Des centaines de Tunisiens ont défié le couvre-feu nocturne et parcouru des centaines de kilomètres dans le cadre de ce qu'ils appellent « la Caravane de la Libération » pour se joindre à d'autres manifestants dans la capitale du pays, où la colère contre le gouvernement intérimaire ne cesse de croître.
Al Jazeera
Les Tunisiens ne veulent pas se laisser flouer et ils n'accepteront pas que leur soulèvement soit détourné au profit de "benalistes" dont le seul mérite est de plaire à l'Occident...
Les manifestants ont commencé à défiler samedi soir à partir de Menzel Bouzaiane, une petite ville située dans la même province que Sidi Bouzid - là où a eu lieu le suicide par auto-immolation qui a déclenché un mois de manifestations et a finalement renversé l'ancien président Zine El Abidine Ben Ali.
Les participants à la marche ont parcouru à pied environ 50 kilomètres avant de monter dans des autobus à destination de Tunis, où ils sont arrivés le dimanche et ont commencé à s'assembler devant le ministère de l'Intérieur - le lieu par excellence des manifestations anti-gouvernementales.
Alors que plus de gens continuaient à arriver dans la capitale depuis Sidi Bouzid, on s'attendait à ce qu'ils commencent à manifester devant le bureau du Premier ministre.
Dans le même temps, l'agence étatique d'information a rapporté dimanche que des alliés de Ben Ali - Abdelaziz bin Dhia, porte-parole de Ben Ali et conseiller en chef, et Abdallah Qallal, ex-ministre de l'Intérieur et chef du parlement tunisien - ont été assignés à domicile.
L'agence a également déclaré que la police recherchait Abdelwahhab Abdalla, conseiller politique de Ben Ali, qui a disparu.
Des policiers se joignent aux manifestations
Le samedi, des milliers de manifestants dont des policiers, des avocats et des étudiants, sont à nouveau descendus dans les rues de Tunis pour protester.
Au moins 2000 policiers ont participé aux défilés, selon l'Associated Press. Ils ont été rejoints par des membres de la garde nationale et des services anti-incendies.
La foule s'est rassemblée devant le bureau de Mohamed Ghannouchi, le Premier ministre par intérim, et sur l'avenue Habib Bourguiba, la principale rue de Tunis.
Ce rassemblement est le dernier dans un mois de révoltes qui ont abouti au renversement de Zine El Abidine Ben Ali, dirigeant de longue date de la Tunisie, enfui en exil en Arabie saoudite le 14 Janvier.
Bien que de nombreux manifestants continuent à exiger la dissolution du gouvernement intérimaire, les agents de police qui ont rejoint les manifestations sont en quête de meilleures conditions de travail et d'une amélioration de ce qu'ils appellent une image injuste présentée dans les médias.
Nazanine Moshiri d'Al Jazeera rapporte depuis Tunis que les policiers ont défilé avec les manifestants, portant des brassards rouges en signe de solidarité avec la foule en marche.
« Ils disent vouloir être avec le peuple maintenant, ils veulent faire partie de la révolution », nous dit-elle.
« Ils ne veulent plus être persécutés : 'S'il vous plaît ne nous blâmez pas pour la mort des manifestants'. »
Au bureau du premier ministre, Hashem Ahelbarra d'Al Jazeera a signalé que des manifestants a franchi les barricades, mais qu'il n'y a pas eu de violence.
Il a indiqué que l'escouade anti-émeute a discuté avec la foule, disant : « Faites ce que vous voulez, mais s'il vous plaît ne prenez pas d'assaut le bureau du premier ministre. C'est une ligne rouge. »
Mais les manifestants avaient déjà commencé à briser les barricades en fin d'après-midi.
Masoud Romdhani, un militant syndical participant au rassemblement, a déclaré à Al Jazeera que les manifestations doivent se poursuivre afin d'éliminer entièrement le Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD), ancien parti au pouvoir.
De nombreux Tunisiens sont en colère contre l'inclusion de plusieurs membres éminents du gouvernement de Ben Ali dans le nouveau cabinet intérimaire.
Romdhani a ajouté que les militants syndicaux estimaient que « rien n'est fait » tant que le RCD ne sera pas supprimé.
Répondant à ces critiques, Sami Zaoui, le secrétaire tunisien pour les technologies de la communication, a déclaré à Al Jazeera que « la société civile » et les partis d'opposition représentent plus des deux tiers du gouvernement de transition.
Il a également rejeté l'idée que Ghannouchi était « dans une situation difficile » et a minimisé les manifestations en cours comme étant « des manifestations très localisées ».
« Nous ne pouvons pas dire que l'ensemble du pays soit actuellement en train de manifester », a dit Zaoui.
Demande de dissolution
Depuis que Ben Ali a fui plus tôt ce mois-ci, des milliers de manifestants ont organisé des manifestations quotidiennes, exigeant la dissolution de l'administration intérimaire.
Dans une tentative pour atténuer cette colère, Ghannouchi, qui est un ancien allié de Ben Ali, s'est engagé à quitter la politique après les élections qui selon lui auront lieu dès que possible.
Dans une interview à la télévision tunisienne le vendredi, Ghannouchi a indiqué qu'il quitterait le pouvoir après une phase de transition qui mènera à des élections législatives et présidentielles « dans les plus brefs délais ».
Malgré sa démission du RCD, il a du mal à rétablir le calme sous un nouveau gouvernement qui selon l'opposition conserve trop de membres du parti. Fouad Mebazaa, le président par intérim, a également démissionné du RCD.
« Mon rôle est d'aider mon pays à sortir de cette phase transitoire et même si je suis nommé, je refuserai et quitterai la politique », a déclaré Ghannouchi.
Il n'a pas précisé quand les élections auraient lieu, alors que la Constitution exige une élection présidentielle dans les 60 jours. Il a dit que les élections doivent être un succès « pour montrer au monde que notre pays a une civilisation ».
Ghannouchi a également déclaré que tous les actifs détenus à l'étranger par le clan de Ben Ali avaient été gelés et reviendraient en Tunisie, après enquête.
Selon Ayman Mohyeldin d'Al-Jazira, rapportant depuis Tunis, Ghannouchi a également annoncé que l'État indemniserait les familles de ceux qui sont morts pendant le soulèvement.
L'armée et le ministère de la Justice ont reçu l'ordre de conserver tous les documents et toutes les preuves qui ont pu être recueillis lors du soulèvement, afin d'enquêter sur l'ancien gouvernement, nous dit notre correspondant.
Le gouvernement de transition a également dit qu'il allait lever l'interdiction sur les groupes politiques, incluant le parti islamique d'Al-Nahda [La Renaissance].
Le chef en exil du parti autrefois interdit, Rachid al-Ghannouchi, a déclaré à Al Jazeera ce samedi que al-Nahda est un parti démocratique et qui ne doit pas être craint. Il rejette toute comparaison entre lui et l'ancien ayatollah d'Iran, Ruhollah Khomeini.
« Nous sommes un mouvement islamiste modéré, un mouvement démocratique, basé sur les idéaux démocratiques dans la culture islamique.... Certaines personnes me font porter les vêtements de Khomeiny, alors que je ne suis ni Khomeiny ni chiite », dit-il.
Mohamed Ghannouchi, le Premier ministre par intérim [sans lien de parenté avec al-Rachid Ghannouchi] a déclaré que le responsable de al-Nahda ne pouvait pas rentrer en Tunisie tant que sa condamnation à la prison, datant de 1991, ne serait pas levée.
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