par Fathi Chamkhi
Par ailleurs, a commencé hier à Sfax, deuxième ville de Tunisie, l'application de la grève générale régionale tournante, décidée par le syndicat ouvrier (UGTT). Une grève très suivie et qui a été l'occasion d'une manifestation qui a réuni des dizaines de milliers de personnes, du jamais vu à Sfax. Aujourd'hui, c'est le tour de Kairouan et de Jendouba, où se déroulent actuellement des manifestations semblables. Demain, ça sera le tour de Tunis, pour une grève générale de 9h à 11h sans appel à manifester.
De plus, tout à l'heure, Ben Ali va, pour la troisième fois en deux semaines, faire une allocution télévisée. Avant cela, il a convoqué le Secrétaire général de l'UGTT qui a réitéré son soutien à Ben Ali.
Enfin, on apprend de sources syndicales, que les forces de police sont en train de se retirer de plusieurs villes qui sont, dans le même temps, livrées à des milices armées, sans rapport avec les manifestants, qui pillent et qui brulent sans distinction bien publics et privés !
Quels sont les enjeux de l'important affrontement social en cours en Tunisie, et qui est sans précédent dans son histoire récente ?
Pour la première fois, peut-être depuis la révolte de 1864 contre le Bey de Tunis, les masses populaires tunisiennes font irruption, massivement, sur la scène politique, sous la forme de ce que l'on peut appeler, maintenant, une révolution.
Cette révolution qui s'est déclenchée loin des concentrations démographiques et économiques du pays, autour de revendications sociales, notamment l'emploi, a embrasé, par la suite, l'ensemble du pays, en réclamant le départ de Ben Ali.
Contrairement à la crise de 1987, où les opprimés étaient complétement absents de la scène politique laissant ainsi le champ libre à la bourgeoisie d'organiser pour réajuster son régime, au cours de la crise actuelle, ce sont les classes populaires qui sont en train, à mains nues, de mettre à bas le régime qui les exploite et les opprime depuis un demi-siècle.
C'est un enjeu historique sans précédent pour le développement futur de la Tunisie qui est actuellement en train de se jouer : ou bien le maintien du système d'oppression et d'exploitation actuel, ou bien le renversement de ce système et la poursuite du processus démocratique et social qui l'a mis à bas. Si cette dernière option l'emporte, ça sera aux masses elles-mêmes de décider, par des élections libres pour une assemblée constituante, de la forme et du contenu du nouveau régime.
La victoire de la révolution en Tunisie, si elle se réalise, ouvrira des perspectives réelles pour un développement économique et social, ce qui est en soi un enjeu social d'importance. Un tel processus, aura, sans doute, une influence bénéfique au niveau de toute la région du Maghreb, en plus de ses effets bénéfiques pour la majorité des tunisiens.
De plus, celle-ci aura des répercussions importantes sur l'avenir social et politique de la région. D'abord, en discréditant le prétendu 'exemple tunisien' qui est souvent avancée par les chantres du capitalisme libéral comme étant le modèle à suivre ! De même que, la chute éventuelle du régime tunisien, affaiblira la domination impérialiste dans la région, dans la mesure où il constitue, dans le maintien de l'ordre capitaliste mondial, un point d'ancrage solide dans la région maghrébine, voire arabe. Enfin, une certaine spécificité tunisienne, notamment au niveau de la condition de la femme, mais aussi une longue tradition syndicale indépendante du pouvoir, peuvent être autant de points d'appui pour une dynamique de progrès social dans la région.
Enfin, un autre aspect de la révolution en cours qui ne manque pas d'intérêts non plus. Il s'agit de l'idéologie religieuse, qui ne constitue pas, actuellement, la référence du mouvement. Ceci s'explique du fait que la religion ne constitue en rien un enjeu dans ce conflit, de plus, il n'existe pas sur le terrain des luttes, de force politique organisée et agissante dont l'islam constitue la référence programmatique. Ce fait aide à clarifier les enjeux des luttes en cours, de même qu'une victoire qui émerge d'une telle réalité ne peut qu'aider à désamorcer la question religieuse, non seulement en Tunisie, mais dans une région où l'islam est omniprésent.
Tunis, 13 janvier 2011
Fathi Chamkhi
RAID-ATTAC/ CADTM TUNISIE