par Fathi Chamkhi
A peine quelques heures après sa nomination, le nouveau ministre de l’Intérieur a décrété le couvre-feu de 20h à 5h30 sur 4 gouvernorats du pays qui constituent ‘le grand Tunis’, qui abritent environ le ¼ de la population de la Tunisie et où se concentre plus de la moitié de son activité économique. De plus, la police continue de tirer sur les manifestants, et le bilan des victimes ne cesse de s’alourdir.
Bien entendu, personne en Tunisie ne croit que le nouveau ministre est à l'origine de l'ordre du couvre-feu ni de celui de la poursuite des assassinats, pas plus que son prédécesseur n'était le responsable directe des massacres précédents. Nous savons tous que rien ne se décide en Tunisie sans l'aval de Ben Ali, surtout en matière de sécurité, domaine qu'il tient sous son contrôle depuis bien avant son ascension à la tête de l'Etat en 1987.
Le remplacement du ministre de l'Intérieur qui est jugé par certains observateurs comme étant une mesure d'apaisement est loin d'en être une. D'ailleurs, qu'est ce qui a changé, sinon vers plus de répression ?
En réalité, Ben Ali, tout en désignant un bouc émissaire (à toute fin utile, qui sait ?), cherche à soulager la pression qui pèse sur certains 'gouvernements amis' du Nord du fait de leur silence complice vis-à-vis des massacres en Tunisie, notamment les gouvernements français et italien.
1-La protestation sociale a débuté le 17 décembre dernier à Sidi Bouzid (Centre ouest de la Tunisie) à la suite de l'immolation d'un jeune chômeur de 26 ans, diplômé de l'université, avant de s'étendre au reste du pays et de s'amplifier.
Pendant la première semaine la contestation est restée circonscrite à Sidi Bouzid et dans certaines petites villes des alentours, jusqu'à ce que la première victime tuée par balle tombe le 24 décembre.
2-L'usage de balles réelles contre les manifestants a été la réponse du pouvoir face à l'extension de la contestation à d'autres régions, notamment Tela et Kasserine. Mais, l'usage d'armes à feu est resté 'modéré' pendant une dizaine de jours, avant de tourner au massacre au cours du deuxième weekend de janvier et de se poursuivre depuis. Le nombre de victimes se compte par dizaines et celui des blessés par centaines.
3-Depuis hier, une étape décisive dans l'extension du mouvement social a été atteinte quand la révolte a fini par s'installer à Tunis, capitale et coeur névralgique du pays.
Suite à l'impuissance de la répression sanglante à étouffer le mouvement, comme ce fut le cas lors du soulèvement du bassin minier en 2008, le pouvoir a déployé l'armée depuis une semaine, d'abord dans les villes de l'intérieur, puis sur tout le territoire, notamment à Tunis.
La décision du couvre-feu intervient donc alors que le mouvement s'est étendu à l'agglomération de Tunis.
Cela nous amène à faire les remarques suivantes :
Un mouvement de contestation spontané qui gagne rapidement tout le pays, et s'installe dans la durée (27 jours maintenant), malgré une répression sanglante.
Dans un pays qui est donné en modèle pour 'sa réussite économique' et qui est considéré comme 'pays émergeant' grâce, surtout, à sa discipline dans l'exécution des politiques capitalistes libérales des institutions financières internationales, qui finit par exploser comme un baril de poudre
Finalement, un système économiquement prédateur et socialement très injuste fort d'¼ de siècle d'une répression systématique qui a abouti à une pacification quasi-totale de la société, a fini par voler en éclats à force d'avoir accumulé tant de tension sociale, d'humiliation et de haine aussi. Comment il va se terminer ? Personne ne peut le dire à l'heure actuelle, mais une chose est sûre ; il est d'ores et déjà mort !
Une chose est sûre, le pouvoir s'affole car il n'arrive pas à comprendre pourquoi sa machine répressive ne produit plus ses effets habituels ! Ce pouvoir a pratiqué la répression et le déni de droit, à tel point, qu'on peut dire, à juste titre, qu'il ne sait faire que ça ! Un tel pouvoir n'est pas réformable ! C'est d'ailleurs ce que confirme le déploiement de l'armée puis le couvre-feu, et la cécité qui est la sienne et qui l'empêche de comprendre le sens historique du mouvement social qui se déroule devant lui. Ceci étant dit, tous ceux qui espèrent encore, dans l'opposition, une ouverture démocratique du pouvoir, un tant soit peu, se trompent gravement. Une telle erreur ne peut que prolonger les souffrances du peuple tunisien.
Certains, dans le pouvoir comme dans l'opposition, veulent dissuader Ben Ali de l'utilisation de la force armée, et d'opter pour une ouverture démocratique. La formule de 'gouvernement de salut national' me parait résumer assez bien ces tentatives. S'y résignera-t-il si la situation l'exige ? J'en doute fortement !
La révolution est en marche, elle seule possède la réponse à toutes ces questions.
Tunis, 12 janvier 2011
Fathi Chamkhi
RAID-ATTAC/ CADTM TUNISIE