Par Martin Jay, le 6 septembre 2025
En matière de coups tordus, la décision d'Israël d'annexer 80 % de la Cisjordanie est aussi ambitieuse que risquée. Mais sera-t-elle mise en œuvre ? Et surtout, est-ce une menace sérieuse ou du bluff ?
La Cisjordanie est souvent sous-médiatisée et ne bénéficie que rarement de l'attention méritée. La récente annonce des ministres d'extrême droite israéliens envisageant l'annexion de la Cisjordanie peut paraître sortir de nulle part. En réalité, les Israéliens envisagent ce projet depuis un certain temps déjà. Sans l'attaque du Hamas du 7 octobre 2023, les Israéliens auraient sans doute adopté une politique plus graduelle et mesurée, laissant les colons agir à la place de l'armée, avec de brèves interventions militaires ponctuelles. Certains iront même jusqu'à affirmer que la spoliation des terres et les agissements des colons armés, qui s'emparent de maisons et de terres, ont joué un rôle clé dans l'attaque du Hamas. Mais en réalité, cette idée n'a rien de nouveau et Israël a toujours voulu s'emparer de territoires supplémentaires et contrôler la Cisjordanie. Il dispose désormais du prétexte idéal et de la couverture parfaite.
Le moment choisi pour cette annonce mérite qu'on s'y attarde. Si l'on estime qu'Israël a remporté de nombreuses victoires ces derniers mois, notamment en décapitant le Hezbollah au Liban, en s'emparant de la Syrie et en menant, selon certains analystes occidentaux, une frappe réussie contre l'Iran, on peut avancer sans se tromper que Netanyahu et ses acolytes sont au summum de leur arrogance. Les extrémistes d'extrême droite vont le pousser à "tout tenter" à Gaza et en Cisjordanie, car ils ont Trump à la Maison Blanche et pensent que tout est possible, compte tenu de son ignorance et de sa servilité. Prenons l'exemple de la Cisjordanie.
C'est pourtant la récente décision d'un certain nombre de pays de l'UE de reconnaître la Palestine qui serait à l'origine de cette manœuvre. Même si le vote à l'ONU marquera un tournant, avec la France, le Royaume-Uni, le Portugal, le Canada et l'Australie qui poussent à la reconnaissance de la Palestine, les États-Unis continueront d'y mettre leur veto. La symbolique de cette décision prendra toutefois toute sa valeur dans le long cheminement de la Palestine vers son propre État. Israël veut donner une leçon aux Européens, et le plan pour la Cisjordanie, bien qu'assez grossier, pourrait être efficace : 'Vous exigez un État palestinien ? Nous créerons le nôtre en Cisjordanie'.
Les Israéliens pensent certainement qu'il suffira qu'un seul de ces pays occidentaux revienne sur son soutien enthousiaste à la création d'un État palestinien pour que tout s'écroule comme un château de cartes. Ils misent peut-être sur le Royaume-Uni, qu'ils considèrent comme le maillon faible, car même les plus fidèles partisans de Keir Starmer doutent qu'il mette à exécution sa menace de soutien au vote en faveur de la création d'un État palestinien. Après tout, les revirements de Starmer ne sont pas sans précédent.
Sans doute est-ce dans cet esprit que le président israélien Isaac Herzog a été invité à se rendre à Londres pour rencontrer Starmer dans les prochains jours.
Cependant, force est de constater qu'Israël opère toujours sans aucune stratégie à long terme. L'entité sioniste agit au jour le jour pour le meilleur ou pour le pire. En effet, même s'ils pensent que l'Occident a son point faible - l'annexion de la Cisjordanie -, ils ont eux aussi leur talon d'Achille, que l'élite des Émirats arabes unis ne connaît que trop bien. Dès l'annonce de ce plan dans les médias occidentaux, les responsables des Émirats arabes unis ont rapidement prévenu qu'il s'agit d'une "ligne rouge", ajoutant que les accords d'Abraham signés par Abu Dhabi seraient réduits à néant si ce plan voyait le jour. Israël serait-il assez imprudent pour saboter un accord aussi crucial que la normalisation de ses relations avec les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Soudan et le Maroc, alors que l'Arabie saoudite envisage également y adhérer, pour remporter une victoire symbolique sur une poignée de pays de l'UE et leur posture politique hypocrite ? C'est peu probable.
En réalité, l'escroquerie qu'Israël tente de mettre en œuvre est un bluff monumental susceptible de se retourner contre lui. Même s''il prétende avoir gagné la "guerre" à Gaza sur plusieurs fronts, et qu'il réalise ses objectifs en Cisjordanie, il a perdu la guerre médiatique, car des centaines de millions de personnes à travers le monde ne peuvent tout simplement plus tolérer le degré de barbarie atteint par les dirigeants israéliens avec le génocide et le nettoyage ethnique en cours à Gaza et en Cisjordanie. Une génération entière pour qui l'Holocauste est une réalité grâce à des films comme La Liste de Schindler ne saurait tolérer l'horreur des bombardements de tentes abritant des femmes et des enfants ou de la famine imposée à des populations entières. Cela dépasse tout simplement les limites de l'entendement et révèle au monde entier le vrai visage d'Israël. La ruse de la Cisjordanie n'est en réalité qu'un nouvel exemple de la mauvaise perception qu'ont Netanyahu et sa coterie du regard que le monde porte sur eux, et des limites du pouvoir des médias occidentaux, désormais moins influents qu'il y a vingt ans, quand Israël a évacué la bande de Gaza.
Traduit par Spirit of Free Speech