23/07/2025 arretsurinfo.ch  9min #285064

 Israël lance une offensive terrestre à Deir al-Balah à Gaza pour la première fois depuis octobre 2023

Gaza - Israël attaque Deir al-Balah, la dernière ville encore débout

Par  Hamza M.Salha,  Sharif Abdel Kouddous

Ordre de déplacement militaire israélien pour certaines parties de Deir al-Balah. 20 juillet 2025. Source: X

En plus d'abriter des dizaines de milliers de Palestiniens déplacés, Deir al-Balah est également le siège de plusieurs agences de l'ONU et d'ONG internationales.

Dimanche, à 7 heures du matin, Mohammed Mahmoud Abu Heswan, un enseignant de 26 ans, a reçu un message de l'armée israélienne sur son téléphone. Le message comprenait une carte indiquant les zones de la ville devant être évacuées, couvrant plusieurs quartiers au sud. "Ce fut l'heure la plus difficile de ma vie", a déclaré Abu Heswan à Drop Site. "Hier encore, je me préparais à enseigner aux enfants. Et maintenant, je dois décider quoi emporter, où aller, tout en me demandant si ma famille survivra".

Avec une famille nombreuse - un père, des oncles, cinq frères, deux sœurs et tous leurs enfants - il s'est empressé de réfléchir à la marche à suivre. "Nous nous sommes demandé si nous devions emportons-nous des meubles ou seulement des couvertures ? Pouvons-nous d'ailleurs emporter quoi que ce soit ? Où allions-nous aller ?"

La famille a décidé de se séparer. Abu Heswan a emmené la plupart des femmes et des enfants se mettre à l'abri, tandis que son père et ses frères sont restés sur place pour sécuriser la maison avant de partir. Vers 16 h 15, la zone a été frappée par de violents bombardements. "J'étais à quelques mètres quand j'ai entendu l'explosion", raconte Abu Heswan. "J'ai su immédiatement que l'explosion avait eu lieu dans notre quartier. Les gens criaient, on entendait des blessés appeler à l'aide. "J'ai paniqué : est-ce que mon père et mes frères étaient toujours là ?"

Il s'est précipité pour rejoindre son père, blessé mais vivant. Son oncle, Mohammad Shaaban Abu Heswan, âgé de 54 ans, a été tué par des éclats d'obus. À côté de lui gisait la cousine d'Abu Heswan, Sama, 11 ans, qui perdait beaucoup de sang à cause d'une jambe sectionnée. Ils l'ont transportée à l'hôpital, où les médecins ont réussi à la sauver.

La famille a fini par fuir le sud de Deir al-Balah, où se concentraient les attaques terrestres israéliennes, pour se réfugier au nord de la ville, où elle vit désormais entassée dans une tente. "Nous n'avons rien emporté d'autre que les vêtements que nous avions sur nous", a-t-il ajouté.

C'est la première fois depuis le début de la guerre, il y a 21 mois, que les troupes israéliennes lancent une offensive majeure sur cette ville située au centre de la bande de Gaza. Contrairement à toutes les autres grandes villes ou localités de Gaza, notamment Gaza, Khan Younes, Jabalia, Rafah, Beit Lahia et ailleurs, Deir al-Balah est la seule ville de Gaza qui n'avait pas encore fait l'objet d'une opération terrestre israélienne de grande envergure ni subi de destructions massives.

Les ordres d'évacuation émis dimanche par l'armée israélienne concernent environ 5,6 kilomètres carrés (2,1 miles) à Deir al-Balah, soit quatre quartiers abritant entre 50 000 et 80 000 personnes, dont quelque 30 000 réfugiées dans des dizaines de sites d'évacuation, selon les estimations de l'ONU. La zone d'expulsion s'étend jusqu'à la côte méditerranéenne, coupant de fait l'accès entre Deir al-Balah et les villes situées au sud de Khan Younes et de Rafah.

Outre les dizaines de milliers de Palestiniens déplacés, cette ville abrite également le siège de plusieurs agences des Nations unies et d'ONG internationales.

Lundi, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré que l'armée israélienne a perquisitionné ses locaux principaux à Deir al-Balah, obligeant les femmes et les enfants à se déplacer à pied vers la côte.

"Les hommes du personnel et leurs familles ont été menottés, déshabillés, interrogés sur place et fouillés sous la menace d'une arme", a déclaré l'organisation dans un communiqué. "Le dernier ordre d'évacuation à Deir al-Balah a touché plusieurs locaux de l'OMS, compromettant notre capacité à opérer à Gaza et poussant le système de santé vers l'effondrement. Le principal entrepôt de l'OMS, situé dans la zone d'évacuation, a été partiellement détruit hier lors d'une attaque provoquant des explosions et un incendie dans l'entrepôt".

Les Nations unies ont transféré la plupart de leurs activités à Deir al-Balah après l'invasion de Rafah par Israël, en mai 2024. L'ONU a déclaré qu'elle resterait à Deir al-Balah, malgré les ordres d'expulsion émis par Israël.

"Nous restons pour l'instant", a déclaré Stéphane Dujarric, porte-parole du Secrétaire général de l'ONU, lors d'une conférence de presse, lundi. "Deir al-Balah est notre pôle humanitaire. C'est de là que notre personnel est envoyé dans différentes parties de Gaza. C'est là que se trouve notre équipement. C'est là que se trouve actuellement notre quartier général".

Cette zone de déplacement accueille également des infrastructures hydrauliques essentielles, comme l'usine de dessalement du sud de Gaza, trois puits, un réservoir d'eau et une station de pompage des eaux usées. "Tout dégât causé à ces infrastructures aura des conséquences mortelles", a déclaré le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'ONU dans un communiqué.

Cette dernière directive signifie que près de 88 % de la bande de Gaza sont désormais sous le coup d'ordres d'évacuation ou se trouvent dans une "zone militarisée" israélienne, et que plus de deux millions de personnes sont censées s'entasser dans seulement 12 % de l'enclave. "On pouvait difficilement imaginer que le cauchemar puisse empirer. Et pourtant, il empire", a déclaré Volker Türk, Haut Commissaire aux droits de l'homme de l'ONU.

Cette offensive intervient alors que la campagne de famine imposée par Israël à Gaza atteint un point critique. Selon le ministère de la Santé de Gaza, 33 Palestiniens sont morts de malnutrition et de faim au cours des deux derniers jours seulement. Des malades arrivent aux urgences dans un état d'épuisement et de fatigue extrêmes, ou s'effondrent dans les rues.

Les Palestiniens qui tentent de se procurer de quoi manger dans les "centres de distribution" gérés par la Fondation humanitaire de Gaza, soutenue par les États-Unis et Israël, ou dans les rares camions de l'ONU transportant de la farine et autorisés à entrer dans la bande de Gaza, sont quotidiennement victimes de tirs, de bombardements et d'attaques des troupes israéliennes. Plus de 1 000 personnes ont été tuées lors de massacres perpétrés contre des convois humanitaires en moins de deux mois.

"Faites cesser le bain de sang. Faites cesser la famine. Les gens s'évanouissent dans les rues parce qu'ils ont faim", a déclaré Ahmed Rayhan, un habitant de Deir al-Balah âgé de 25 ans, à Drop Site. "Nous avons besoin d'une trêve immédiate. Il faut que les checkpoints soient ouverts pour acheminer nourriture et médicaments, et permettre l'évacuation des blessés".

Rayhan a été expulsé de force de son domicile à Deir al-Balah, dimanche, avec les huit membres de sa famille, après qu'Israël a émis ses ordres d'expulsion. Il l'a appris lorsque son voisin a reçu un appel de l'armée israélienne contenant un message enregistré. Il a déclaré que l'attaque contre la ville a eu lieu dans l'après-midi. Son cousin, Khaled al-Fleet, âgé de 47 ans, a été grièvement blessé par des éclats d'obus qui se sont logés dans son crâne. "Nous n'avons pas fermé l'œil de la nuit. Les avions bombardaient toutes les cinq minutes. Les hélicoptères tiraient sans discontinuer. L'artillerie n'a pas cessé un instant. Et les quadricoptères, les plus terrifiants, rentrent dans les maisons, tournent en rond et tirent". Lui et sa famille ont finalement réussi à se réfugier dans un abri au centre de la ville.

Réactions des pays occidentaux en plein génocide

Lundi, alors que l'offensive militaire israélienne et la campagne de famine se sont intensifiées, 28 pays, dont de grandes puissances européennes comme la Grande-Bretagne et la France, ont publié une déclaration commune dans laquelle ils affirment que "la guerre à Gaza doit cesser immédiatement".

"Les souffrances des civils à Gaza ont atteint de nouveaux sommets. Le dispositif d'acheminement de l'aide du gouvernement israélien est dangereux, alimente l'instabilité et prive les Gazaouis de leur dignité", indique le texte. "Nous condamnons l'acheminement au compte-gouttes de l'aide et le meurtre inhumain de civils, y compris d'enfants, qui cherchent à satisfaire leurs besoins les plus élémentaires en eau et en nourriture", indique le texte. "Nous appelons le gouvernement israélien à lever immédiatement les restrictions sur l'acheminement de l'aide et à permettre à l'ONU et aux ONG humanitaires de mener à bien leur travail de sauvetage en toute sécurité et efficacité".

Israël et les États-Unis ont rejeté cette déclaration. Dans un message publié sur X, l'ambassadeur américain en Israël, Mike Huckabee, a déclaré : "C'est écœurant ! Vingt-cinq nations font pression sur Israël au lieu de s'en prendre aux sauvages du Hamas ! Gaza ne souffre que pour une unique raison : le Hamas rejette toutes les propositions. Il est indécent de blâmer Israël".

Si la déclaration des pays européens et d'autres pays se voulait très ferme, elle n'a toutefois apporté aucune évolution politique.

"Il faut voir cette déclaration comme une manœuvre délibérée des pays occidentaux pour détourner l'attention de leur incapacité à prendre des mesures significatives pour atteindre les objectifs affichés", a déclaré Mouin Rabbani, coéditeur de Jadaliyya et ancien fonctionnaire de l'ONU ayant travaillé comme conseiller spécial sur le conflit israélo-palestinien pour l'International Crisis Group, à Drop Site.

"Ils ont à leur disposition tous les leviers et tous les moyens nécessaires pour réaliser les objectifs qu'ils prétendent poursuivre, mais ils ont fait le choix politique délibéré de ne pas le faire. Leur principale contribution à ce génocide est d'envoyer des armes à Israël afin de s'assurer de l'absence de conséquences significatives pour ce pays".

"L'administration Trump a au moins eu la décence et l'honnêteté de ne pas prétendre s'en soucier", a ajouté Rabbani. "Mais ces gouvernements européens et occidentaux ont publié une déclaration dont ils savent qu'elle est totalement vaine, destinée uniquement à apaiser l'opinion publique pour donner l'impression qu'ils se soucient réellement de la situation et qu'ils agissent, tout en profitant de cette couverture pour continuer à faire comme si de rien n'était".

 Hamza M.Salha et  Sharif Abdel Kouddous

Deir al-Balah, 22 juillet 2025

Source:  Israël attaque Deir al-Balah, la dernière ville de Gaza

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