Grégoire Lalieu
AFP
Depuis près d'un an, le Hezbollah lançait des tirs sur le nord d'Israël en exigeant la fin des opérations à Gaza. Si le mouvement libanais est resté cantonné au même registre, Netanyahou n'a cessé de chercher l'escalade. Jusqu'à entrer ouvertement en guerre avec le Liban. Lundi, l'armée israélienne a mené une série de frappes faisant près de 500 morts. Quels objectifs Netanyahou poursuit-il ? Avec quelles conséquences ? Le politologue Majed Nehmé analyse cet embrasement du Proche-Orient et souligne l'impasse d'Israël en tant que projet colonial.
Investig'Action: Après les échanges de tirs à la frontière, l'assassinat de responsables du Hezbollah ou encore plus récemment les attentats commis avec des bipeurs et talkies-walkies piégés, Israël bombarde le Liban. Quels sont les objectifs de Netanyahou ?
Majed Nehmé: Difficile de parler d'objectifs. Ce sont plutôt des hallucinations, des fantasmes qui malheureusement se traduisent par des bains de sang. D'abord à Gaza. Et maintenant au Liban. Le gouvernement ultrafasciste de Netanyahou poursuit sur cette voie, mais il n'y a aucun espoir qu'il puisse remporter la guerre au Liban. Il n'a d'ailleurs atteint aucun des objectifs qu'il s'était fixés à Gaza.
Cela suppose que les objectifs déclarés, notamment éradiquer le Hamas et libérer les otages, étaient les objectifs réellement poursuivis. Mais pratiquement tout le monde disait dès le départ qu'une organisation comme le Hamas ne pourrait pas être éradiquée avec des bombes et des tanks. Par ailleurs, l'armée israélienne mène aussi des opérations en Cisjordanie où le Hamas est absent. L'objectif réel n'est-il pas de chasser les Palestiniens au profit d'un Grand Israël ? On se souvient qu'en septembre 2023, Netanyahou avait montré à la tribune des Nations Unies une carte du « Nouveau Moyen-Orient » sur laquelle la Palestine ne figurait pas...
Cet objectif est également irréalisable. Les Palestiniens ne partent pas. Et la Cisjordanie est devenue un volcan alors que les autorités israéliennes pouvaient compter sur les collabos de l'Autorité palestinienne qui n'a d'autorité que le nom.
En réalité, Netanyahou poursuit la guerre parce qu'il ne peut pas envisager d'autres options. C'est tout d'abord une manière de se maintenir au pouvoir plutôt que d'assumer ses responsabilités devant une commission d'enquête pour la faillite désastreuse du 7 octobre et sa gestion calamiteuse des otages. C'est aussi une façon de repousser la fin annoncée du projet sioniste. En effet, une solution politique impliquerait de revenir aux résolutions de l'ONU avec la création d'un État palestinien et un Israël contenu dans les frontières de 1967. C'est presque irréalisable et Netanyahou n'en veut pas. Une autre solution serait de créer un seul État où tous les citoyens auraient les mêmes droits. Netanyahou n'en veut pas non plus. Une troisième solution consisterait à expulser les Palestiniens, mais Netanyahou ne le peut pas. Notamment parce que la Jordanie et l'Égypte, alignées sur les États-Unis, déchireraient les accords de paix.
Le projet sioniste est donc dans une impasse. Et c'est en partie un résultat des opérations du 7 octobre. Avant cela, plus personne ne parlait de la Palestine. Certains pays arabes avaient normalisé leurs relations avec Israël et d'autres, comme l'Arabie saoudite, étaient sur le point de le faire.
Cette impasse explique l'extension de la guerre au Liban ?
Oui, mais il n'y a pas de véritable logique, pas de stratégie, pas d'objectifs réalisables. Le Hezbollah n'est pas le Hamas. Le mouvement libanais compte de nombreux combattants. Il n'est pas reclus dans un territoire assiégé. Il a amassé un important arsenal et n'a pas sorti les grands moyens jusqu'à présent. Il dispose également d'une forte base populaire qui le soutient. Et il n'est pas coupé de ses nombreux alliés régionaux. D'ailleurs, on n'en a pas beaucoup parlé, mais c'est important : lundi, le grand ayatollah d'Irak, Ali Sistani, a appelé la population irakienne à soutenir la résistance libanaise. Ce n'est pourtant pas le plus fervent supporter du Hezbollah.
Cette guerre d'Israël contre le Liban est donc vouée à l'échec. Netanyahou ne parviendra pas à neutraliser le Hezbollah ni à faire revenir de la sorte les quelque 60.000 Israéliens ayant quitté les localités situées à la frontière libanaise. Rappelons qu'en 2006, Israël ne pensait faire qu'une bouchée du Hezbollah. Il était soutenu par les États-Unis, disposait d'un puissant arsenal et le Liban était dirigé par un gouvernement aligné sur Washington. Mais l'opération s'est soldée par un échec et le Hezbollah en est sorti plus puissant.
D'autres acteurs pourraient-ils s'impliquer dans le conflit ? Beaucoup de regards sont tournés vers l'Iran, mais aussi les États-Unis...
L'Iran n'a pas besoin d'entrer en guerre. Il lui suffit de continuer à soutenir l'Axe de la Résistance.
Quant aux États-Unis, quels que soient les résultats des prochaines élections présidentielles, ils ne pourront pas continuer à soutenir Israël comme ils le font. D'abord parce qu'il y a une pression de la société civile de plus en plus forte. On a pu voir une importante mobilisation contre les opérations d'Israël impliquant notamment des représentants de la communauté juive aux États-Unis. De plus, le projet colonial israélien a été créé et soutenu par les Occidentaux pour servir de gendarme au Moyen-Orient. Or, aujourd'hui, non seulement Israël n'est pas capable de mâter les pays arabes. Mais les États-Unis doivent aussi intervenir pour protéger cette colonie avec un rendement égal à zéro.
Source: Investig'Action